Faut-il des programmes ?

par Pierre Bilger
vendredi 19 mai 2006

L’un des principaux arguments qu’opposent à Ségolène Royal ceux qu’indispose son irrésistible ascension dans les sondages serait son absence supposée de programme.

Je ne sais si cette candidate potentielle maintiendra jusqu’au bout de son parcours l’attitude consistant à renvoyer ceux qui l’interpellent sur cette question au futur programme du Parti socialiste. Je ne sais pas non plus si sa popularité d’aujourd’hui persistera suffisamment pour la faire sélectionner par le Parti socialiste et pour la faire élire, le cas échéant, par les Français. Mais je dois dire que sa réticence au moins apparente à s’engager dans la course aux programmes, que confirme encore son interview dans Les Echos de ce matin, retient favorablement l’attention, à vrai dire aux côtés de quelques autres traits de son discours, en dépit de quelques scories ici ou là.

On ne dira jamais assez le mal qu’ont fait à la France et aux Français les "programmes" de ceux qu’ils portent à leur tête. Le général de Gaulle n’avait pas de "programme". Il avait des convictions et une vision de la France, et cela suffisait. Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing, malgré quelques dérapages, s’étaient tenus grosso modo à cette ligne. C’est avec François Mitterrand que les choses ont changé. Désormais les présidents de la République ou les futurs Premiers ministres de cohabitation se sont fait élire ou choisir sur une liste de promesses et d’engagements qui devait être mise en oeuvre en "cent jours" ou pendant la législature ou le quinquennat.

Certes, proposer un "programme" pour se faire élire a toutes les apparences d’une démarche démocratique. Mais en réalité il s’agit d’un attrape-nigaud. Le bon sens populaire le sait bien quand il se réfère aux promesses qui n’engagent que ceux qui les reçoivent. Et encore, ce qui peut arriver de mieux à certaines de ces promesses, c’est qu’lles ne soient pas exécutées. La France ne se porterait-elle pas mieux si les "programmes" des uns et des autres n’avaient conduit à réduire la durée du travail quand la question du financement des retraites commençait à se poser, à baisser les impôts quand la situation des finances publiques imposait de les stabiliser, sinon de les augmenter, à accroître le nombre des fonctionnaires par des titularisations massives quand il fallait songer à le réduire, à supprimer hâtivement les mesures d’aide à l’emploi, mises en place par les prédécesseurs, au lieu de les maintenir avant de les rétablir, à finasser sur les frontières du secteur public alors qu’il fallait privatiser sans faiblir ? La liste est longue des mesures, issues des "programmes", sur lesquelles, une fois qu’elles ont été mise en oeuvre, il a fallu revenir, directement ou indirectement, au prix souvent de difficiles contorsions et en ayant perdu beaucoup de temps pour le pays.

Ce résultat n’est pas pour étonner quand on observe le mode d’élaboration de ces "programmes". Le plus souvent la source principale en est des comités "d’experts" constitués plus ou moins spontanément autour des candidats. Ces "experts" relèvent de quatre catégories : ceux qui, ayant exercé des fonctions importantes au cours de la période précédente, ont une revanche à prendre, mais n’ont plus depuis plusieurs années la connaissance directe de leur domaine d’expertise supposé ; ceux qui, occupant des positions de haut potentiel dans l’appareil gouvernemental, aspirent à entrer dans le premier cercle à la faveur de l’élection, mais n’ont pas encore l’information globale et l’expérience qui permettraient de garantir la fiabilité de leurs avis ; ceux qui, venant de l’extérieur et souvent frustrés d’une carrière publique dont les circonstances les ont privés, croient dangereusement avoir la solution des problèmes qui se posent ; ceux, enfin, qui viennent défendre des causes idéologiques ou catégorielles et n’ont pas pour préoccupation première l’intérêt général.

La conséquence est que le candidat ne peut pas avoir la certitude de disposer, à travers ces personnes, d’un diagnostic exact et à jour de la situation qu’il trouvera réellement si les Français lui confient la responsabilité du pays. S’engager sur les mesures concrètes qu’un "programme" est supposé inclure constitue donc un exercice à la fois périlleux et irresponsable.

Dès lors, sur quoi l’électeur peut-il fonder sa décision ? Ce qui semble déterminant, c’est de connaître les convictions, la vision, la méthode et, si possible, le caractère du candidat. Pendant les cinq années où le futur président sera en fonction, les situations changeront et des circonstances imprévues surgiront. L’important est de se convaincre de la capacité du candidat choisi à y faire face, et d’être d’accord avec lui sur l’essentiel, sur lequel il ne transigera en aucun cas. L’important est aussi de s’assurer que sa vision du pays est en accord avec ce que devraient être, aujourd’hui, au jugement de chacun, ses vraies priorités.

Bien entendu, les points de vue des électeurs seront nécessairement différents au sujet des convictions qui importent ou de la hiérarchie des priorités. Mais si le débat reste à ce niveau, il aura le mérite de porter sur l’essentiel, et ne s’engluera pas dans des discussions surréalistes, opposant de manière stérile telle mesure à telle autre mesure, alors que la situation du pays pourra et devra conduire celui ou celle qui le gouvernera à adopter, au plan opérationnel, une tout autre approche, dictée par les circonstances réelles du moment, sans qu’il renonce pour autant à ses convictions ni à sa vision.


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