Faut-il enseigner la morale à l’Ecole ?

par Robin Guilloux
lundi 7 juillet 2014

Le CSP a planché sur l'Enseignement moral et civique voulu par Vincent Peillon.Le texte en projet sur les principes généraux est paru le 3 juillet 2014.

La culture morale et civique comporte quatre dimensions, étroitement articulées entre elles : une dimension sensible (culture de la sensibilité) ; une dimension normative (culture de la règle et du droit) ; une dimension cognitive (culture du jugement - moral -) et une dimension pratique (culture de l’engagement)... L’évaluation fera l’objet d’une proposition ultérieure.

http://cache.media.education.gouv.fr/file/Organismes/32/8/CSP-Projet_EMC_337328.pdf

D'un point de vue philosophique, on peut se demander quel est le statut des propositions que les enseignants seront obligés d'enseigner. Il y a une réelle ambiguïté à ce niveau puisque l'on fait comme si ces propositions avaient une valeur de vérité, alors qu'elles n'en ont pas. ce sont des propositions injonctives, subjectives et relatives.



Pour reprendre une distinction kantienne, admise par la philosophie analytique (Alfred Ayer, Language, Truth and Logic), lorsque vous enseignez une discipline scolaire ou universitaire, que ce soit une discipline scientifique ou une discipline  littéraire, vous le faites avec le sentiment d'énoncer des propositions "vraies", validées soit en raison de leur contenu analytique (a priori) comme les mathématiques, ou en raison de leur contenu synthétique, par l'accord avec l'expérience sensible induite par une hypothèse, comme dans les sciences naturelles ou par l'existence d'un état de fait (la langue française, latine, grecque, anglaise, allemande, etc.) que vous décrivez et que vous apprenez à employer.

La nature des propositions morales (éthiques) ou esthétiques est entièrement différente, puisqu'elles ne sont ni analytiques (ce ne sont pas des tautologies), ni synthétiques (elles ne sont pas démontrables) et elles n'énoncent aucun fait.

Ce qui me gêne également dans ce projet, c'est le fait que l'on éprouve le besoin "d'injecter de la morale" dans un ensemble qui en serait dépourvu, comme si la recherche de la vérité, la rigueur intellectuelle, le sens de l'effort, l'honnêteté intellectuelle n'avaient pas une valeur éthique intrinsèque.

Rêvons un peu : peut-être les rédacteurs de ce projet, dans un bref moment de lucidité, se sont-ils arrêtés un instant pour se demander "mais enfin, les gars, de quoi parlons-nous au juste ?" ... avant de s'écrier : "N'y pensons-pas, continuons, on est payés pour ça, non ?"

... Mais la différence entre morale et éthique et la question de la "relativité des valeurs" ne semble pas les avoir effleurés, ce qui intellectuellement parlant, n'est pas très... "moral", non ?

"Travaillons donc à bien penser. Voilà le vrai principe de la morale." (Pascal)... Pas sûr qu'on en prenne le chemin avec ce catalogue plein de bonnes (?) intentions dont on sait que l'enfer est pavé.

Dans les années 60, on avait un peu de morale (et un peu d'évaluation) et beaucoup de travail (les instruments de pensée), aujourd'hui c'est l'inverse : beaucoup de morale - en fait, il s'agit de "socialisation" et de conformisme - et ça donne furieusement envie de relire Nietzsche et d'escalader les montagnes pour chercher les edelweiss - beaucoup d'évaluation et de moins en moins de travail.

Et si les enfants d'aujourd'hui, comme de toujours avaient envie qu'on leur f... la paix en matière de "morale", tout en leur rappelant "jusqu'où il ne faut pas aller trop loin", mais qu'on soit très exigeant en matière de travail ?

 


Lire l'article complet, et les commentaires