Faut-il interdire l’Ancien Testament et la Torah ?

par Serge LAURENT
lundi 3 février 2014

Notre époque s’acharne à faire interdire les écrits stupides ou malsains et même à deviner les véritables pensées qui se cachent derrière des paroles ambiguës pour mieux les dénoncer ou les interdire. Pourtant, nous tolérons des textes qui sont ouvertement des appels au crime, à la haine et à la répression impitoyable des actes contraires à la foi de leurs adeptes.

Je suis toujours frappé par l’anachronisme des romans historiques qui sont bien plus le reflet de la pensée de leur époque que de celle qu’ils entendent décrire. Ce genre de livre vieilli par conséquent très mal. La lecture des textes de l’antiquité est beaucoup plus intéressante car elle nous permet d’accéder à l’univers mental des hommes qui nous ont précédés.

Le lecteur est surpris par la superstition de Xénophon dans l’Anabase, qui consulte sans cesse les Dieux immortels avant chaque décision importante. De même Suétone énumère les présages qui annonçaient l’avènement et la mort de chaque empereur dans « la vie des douze Césars ». Les athéniens étalent leur cynisme en menaçant les méliens d’extermination si ces derniers refusent de s’allier à leur Athènes contre Sparte dans « La guerre du Péloponnèse » de Thucydide. César se vante d’avoir coupé les mains des prisonniers capturés lors de la prise d’Uxellodunum dans « La guerre des Gaules » : « En conséquence, il fit couper les mains à tous ceux qui avaient porté les armes et leur accorda la vie sauve, pour qu’on sut mieux comment il punissait les rebelles. »

Néanmoins, ces textes ne sont pas pris pour autre chose que ce qu’ils sont, le témoignage d’une époque révolue, un ailleurs qui nous fait réfléchir sur nos propres croyances et à priori. Texte fondateur de la civilisation judéo-chrétienne, l’ancien testament est considéré comme une source de sagesse et un texte inspiré par « dieu » pour de nombreuses personnes dans notre pays. La Torah regroupe une partie des textes de l’ancien testament, notamment le Lévitique, le Deutéronome et les Nombres. Ce n’est pas l’Ancien Testament/Torah qui a ouvert le chemin vers la liberté et les droits de l’homme, c’est au contraire un texte qui procède d’une pensée totalitaire et génocidaire qu’il convient de bannir.

Tyrannie en matière de sexualité

Le Lévitique instaure la peine de mort pour toutes sorte de délits sexuels dont la plupart n’ont rien de répréhensible à nos yeux, ni aux yeux des gréco-romains contemporains des hébreux.

C’est le cas pour l’homosexualité :

« 13 Si un individu cohabite avec un mâle, d'une cohabitation sexuelle, c'est une abomination qu'ils ont commise tous les deux ; qu'ils soient punis de mort, leur supplice est mérité. » (Lévitique 20)

L’adultère est aussi interdit sous peine de mort :

"10 Si un homme commet un adultère avec la femme d'un autre homme, avec la femme de son prochain, l'homme et la femme adultères doivent être mis à mort." (Lévitique 20)

Il vaut mieux également éviter de fréquenter les femmes qui ont leurs règles sinon :

"18 Si un homme cohabite avec une femme qui souffre du flux, et découvre sa nudité, Il a mis à nu la source de son sang, et elle-même a dévoilé cette source ; lis seront retranchés, tous deux, du sein de leur peuple."

Cet inconvénient est toutefois modéré, pour les hommes, puisque la polygamie n’est pas du tout interdite quoique certaines unions soient prohibées :

"14 Celui qui épouse une femme et sa mère, c'est une Impudicité : on les fera périr par le feu, lui et elles, pour qu'il n'y ait point d'impudicité parmi vous."

La zoophilie ajoute une punition de la pauvre bête innocente au meurtre du « coupable » :

"15 Un homme qui s'accouplerait avec un animal doit être mis à mort, et l'animal, vous le tuerez"

L’inceste est puni de mort, même si il ne s’agit pas de consanguins :

"11 Si un homme cohabite avec la femme de son père, c'est la nudité de son père qu'il a découverte : qu'ils soient mis à mort l'un et l'autre, ils ont mérité leur supplice."

Autorité dans la famille

Quel que soit leur comportement, les parents ont droit au respect de leurs enfants, sous peine de mort, bien évidemment :

"Or, tout homme qui aura maudit son père ou sa mère, doit être mis à mort : il a maudit son père ou sa mère, il a mérité son supplice." (Lévitique 20)

Chasse aux sorcières

La lapidation est conseillé par cet ouvrage antique pour tout ce qui ressemble à de la sorcellerie :

"27 Un homme ou une femme chez qui serait constatée une évocation ou un sortilège devront être mis à mort ; on les lapidera : ils ont mérité leur supplice." (Lévitique 20)

Fanatisme (syndical ?) sur le travail pendant le Sabbat

A l’heure où on s’interroge sur les moyens d’empêcher les magasins d’ouvrir le dimanche, Moïse a une solution que l’on peut qualifier d’extrême :

"32 Pendant leur séjour au désert, les enfants d'Israël trouvèrent un homme ramassant du bois le jour du Sabbat. 33 Ceux qui l'avaient trouvé ramassant du bois le conduisirent devant Moïse et Aaron, et devant toute la communauté. 34 On le mit en lieu sûr, parce qu'il n'avait pas été expliqué comment il fallait agir à son égard. 35 Alors l'Éternel dit à Moïse : "Cet homme doit être mis à mort ; que toute la communauté le lapide hors du camp." 36 Et toute la communauté l'emmena hors du camp, et on le fit mourir à coups de pierres, comme l'Éternel l'avait ordonné à Moïse." (Nombres, 15)

Apologie du Génocide et de la colonisation

L’ancien testament justifie l’extermination des habitants de la Palestine, qui s’appelait alors « pays de Canaan », par la crainte d’une révolte future des indigènes assortie d’une menace de punition divine pour les colons hébreux que ce crime aurait pu gêner, les justes hébreux en quelque sorte. Il faut noter qu’il s’agit d’un génocide qui aurait été planifié par « L'Éternel » et ses sbires. Cet épisode est probablement une fiction car les données historiques et archéologiques semblent indiquer que les hébreux n’ont pas du tout envahi la région ni exterminé ses habitants. Au contraire, les cananéens seraient restés les plus nombreux dans les zones les plus riches et se sont probablement convertis progressivement à la religion hébraïque.

" L'Éternel parla ainsi à Moïse dans les plaines de Moab, près du Jourdain vers Jéricho : 51 "Parle aux enfants d'Israël en ces termes : Comme vous allez passer le Jourdain pour atteindre le pays de Canaan, 52 quand vous aurez chassé devant vous tous les habitants de ce pays, vous anéantirez tous leurs symboles, toutes leurs idoles de métal, et ruinerez tous leurs hauts-lieux. 53 Vous conquerrez ainsi le pays et vous vous y établirez ; car c'est à vous que je le donne à titre de possession. (…) 55 Or, si vous ne dépossédez pas à votre profit tous les habitants de ce pays, ceux que vous aurez épargnés seront comme des épines dans vos yeux et comme des aiguillons à vos flancs : ils vous harcèleront sur le territoire que vous occuperez ; 56 et alors, ce que j'ai résolu de leur faire, je le ferai à vous-mêmes." ( Nombres 33)

Le Deutéronome détaille l’exécution du génocide, vraisemblablement imaginaire, conformément au plan monstrueux de ses auteurs :

"34 Nous prîmes alors toutes ses villes, et nous frappâmes d'anathème toute ville où étaient des êtres humains, même les femmes et les enfants ; nous ne laissâmes pas un survivant. " (Deutéronome, 2)

"3 Et l'Éternel, notre Dieu, nous livra pareillement Og, roi du Basan, avec tout son peuple ; et nous le défîmes au point de n'en pas laisser survivre un seul. " (Deutéronome, 3)

Apologie du vol et du pillage

La jouissance des biens des pauvres victimes de l’extermination est exaltée comme une récompense destinée aux criminels soumis à « l'Éternel », leur « Dieu », ce qui est absolument immoral :

"10 Or, quand l'Éternel, ton Dieu, t'aura installé dans le pays qu'il a juré à tes pères, Abraham, Isaac et Jacob, de te donner, pays aux villes grandes et belles, que tu n'as point bâties ; 11 avec des maisons abondantes en biens, que tu n'y as pas répandus, des citernes toutes faites, que tu n'as pas creusées, des vignes et des oliviers, que tu n'as point plantés ; quand tu jouiras de ces biens et t'en rassasieras, 12 garde-toi d'oublier l'Éternel, " (Deutéronome, 6)

Racisme

Bien entendu, l’ancien testament a en horreur le métissage qui est interdit. Beaucoup de personnages de la Bible sont d’ailleurs punis pour avoir épousé des idolâtres étrangères :

« Point de pacte avec eux, point de merci pour eux ! 3 Ne t'allie avec aucun d'eux : ta fille, ne la donne pas à son fils, et sa fille, n'en fais pas l'épouse du tien ! « (Deutéronome, 7)

Mais alors pourquoi, dieu a-t-il mis des gens en Palestine avant les Hébreux ? Ce n’est pas juste pour construire les infrastructures (voir plus haut) mais également pour empêcher la prolifération des nuisibles :

" 22 L'Éternel, ton Dieu, écartera ces peuples de devant toi, mais peu à peu ; tu ne pourras pas les détruire rapidement, car les bêtes sauvages se multiplieraient autour de toi " (Deutéronome, 7)

Un texte totalitaire

L’ancien testament énumère quantité de règles absurdes destinées à régler toutes les circonstances de la vie d’un habitant des plateaux centraux du pays de Canaan vers 1000-600 avant notre ère. Il rappelle aussi constamment qu’elles n’étaient pas respectées.

Le texte biblique est totalement imbibé par une pensée totalitaire qui se retrouve dans l'ensemble de l’Ancien Testament, au-delà des chapitres cités précédemment. Elle a horrifié les romains et les grecs de l’Antiquité qui lui ont été confronté notamment lors de plusieurs explosions de violence messianique.

Les religions juives, chrétiennes puis islamiques du Moyen Âge ont transmis et fait progresser les notions de Liberté et de respect de la personne humaine qui étaient apparues dans le monde gréco-romain, mais elles nous ont aussi transmis la vision totalitaire des anciens Hébreux à travers le l’Ancien Testament et ses déclinaisons.

Ce livre a aussi inspiré les colonisateurs européens qui ont exterminés de nombreux peuples « idolâtres » au nom de dieu (Tasmaniens, Guanches, Caraïbes, Hereros…). De nos jours, il a encore de nombreux adeptes mais la plupart ont fait l’effort d’en gommer les aspects les plus barbares en leur donnant un sens allégorique. Même ceux qui prétendent vivre en suivant strictement les règles instaurées à l’Âge du bronze, sont amenés à s’en écarter car elles sont incompatibles avec le respect de la personne humaine et la coexistence pacifique avec les modernes. Il faut tout de même s’interroger sur le danger que représente la diffusion massive de ce texte malsain.

Sans entrer dans les détails pour ne fâcher personne, il n’est pas rare que des criminels justifient leurs actes par les prescriptions de « l’Éternel » mais c’est souvent dans des pays plus religieux que le nôtre. Je crains que notre siècle ne soit « spirituel » et que des esprits faibles ne soient tentés de donner un sens à leur vie en prenant au sérieux ce qui est écrit, même chez nous. Il faut, au contraire, une grande complexité de raisonnement pour trouver de la sagesse dans cet édifice de justification de la tyrannie.

De toute évidence, l’Ancien Testament, la Torah et les textes dérivés seraient interdits s’ils étaient écrits à notre époque, car ce sont des écrits de haine. Pourtant, ces textes sont régulièrement présentés comme « la parole de dieu » et des « sources de sagesse » dans des écrits, des « spectacles » et des émissions télévisées. Les interdire serait évidemment une source de troubles civils graves.

Mais la crainte n’est pas la seule raison de les tolérer. La plus part des adeptes ont réussi à y lire autre chose que ce qui y est écrit et les non religieux s’en moquent. Il ne faut donc pas sous-estimer la capacité de nos concitoyens à ignorer les idées dangereuses.

Notre époque s’acharne à faire interdire les écrits stupides ou malsains et même à deviner les véritables pensées qui se cachent derrière des paroles ambiguës pour mieux les dénoncer ou les interdire. Pourtant, nous tolérons des textes qui sont ouvertement des appels au crime, à la haine et à la répression impitoyable des actes contraires à la foi de leurs adeptes.

Nous avons réussi à vivre avec la Torah et l’Ancien Testament grâce à notre capacité critique et notre amour de la Liberté, c’est pourquoi nous devons tolérer sans crainte excessive que bien des bêtises soient dites. Il est à mon avis préférable de discuter que d’interdire, même les paroles choquantes.


Lire l'article complet, et les commentaires