Faut-il revoir l’instruction au tir des policiers ?

par Desmaretz Gérard
samedi 22 octobre 2016

Les fonctionnaires habilités peuvent désormais conserver leur arme 24h/24 et 7j/7 en tout temps et tous lieux afin d'être en mesure de réagir dans le cadre de la légitime défense de soi ou d'autrui. Si l'intention est louable, là où le bât blesse, c'est que la plupart des policiers ne maîtrisent pas l'utilisation de leur arme dans toutes les situations qu'ils pourront rencontrer : au volant d'un véhicule, dans un ERP, attablé dans un restaurant, dans un escalier, au milieu d'une foule, etc. Personne ne soulève le problème de leur instruction ni celui de leur entraînement au tir avec à peine une soixantaine de cartouches tirées par an !

La discipline est bien plus complète qu’elle est généralement enseignée. Le tir implique le cerveau (interprétation d'une scène, prise de décision, réflexe), le corps (déplacements, positions de tir), la vue (elle représente 85% de la perception), l'ouïe (localisation, détonation), l'odeur (de la poudre, de la graisse), le toucher ( prise en main, manipulation), le sens kinésique (recul), sans oublier le risque d'une blessure, autant d'aspects importants rarement évoqués lors des stages de formations au tir. La discipline est le règne des compartiments étanches, associer est dangereux et réunir téméraire.

Chaque tireur a une morphologie différente, une souplesse différente, des acquis différents, et un tempérament différent. Un mouvement naturel et adapté sera toujours plus rapide qu'un mouvement forcé. On pourrait faire la comparaison avec les gauchers contrariés et l'écriture. Si la dextérité prévaut au stand, en situation de riposte on combat autant avec le mental. « C'est l'esprit qui attaque, l'arme ne fait que suivre l'esprit ». Pour être capable de réagir convenablement à une situation de danger donnée, l'homme doit être informé en temps réel des modifications de son corps dans le dit milieu. Qu'il s'agisse de se tenir en équilibre, de se déplacer ou de maintenir une position, l'action repose sur l'équilibre du corps. Chaque exécution d'un mouvement quelconque, position statique ou dynamique (déplacement, position de tir, pivot) a ses spécificités et ses contraintes qui se retrouvent au niveau de l'anatomie, de la biomécanique, de la physiologie et de la respiration, principalement.

Personne ne connait précisément la situation qu'il aura à affronter ni les conditions. Si tout ce qui peut contribuer à sauver une est le bien venu, cela n’est possible qu’avec la maîtrise de soi et de l’arme au travers d'un entraînement régulier et varié. L'instruction au tir en stand ressemble trop à des Katas, c'est à dire à l'étude de positions et d'enchaînements prédéterminés. Si cette partie reste très importante pour l'acquisition des fondamentaux techniques, elle doit être suivie de séances de tir d'assaut ou combat. Lors d'une attaque, il faut s'y adapter sans jamais se laisser mener par des idées préconçues. Il faut décider d'une position, d'une ligne d'action instantanément et en changer au gré de l'évolution de celle-ci. Ceci ne veut pas dire qu’il y ait une bonne et une mauvaise manière d'affronter une situation dangereuse donnée. S’aplatir contre le sol est mieux que rien, mais n’est pas sans présenter certains risques face à des agresseurs prêts à se sacrifier. Un abri ou un couvert sommaire est rarement fiable plus d’une dizaine de secondes. Il faut être capable de décrocher vers une position plus adaptée à la situation. Selon la distance à laquelle se trouve le ou les agresseurs, on riposte à l'initiative lorsque la situation est inévitable par une technique de tir appropriée. La réponse repose essentiellement sur - le caractère soudain de l'attaque - de la distance d'engagement - du temps nécessaire de la riposte - de la direction de tir - des personnes alentours - de la mise à couvert - de la reprise de l'initiative - la capacité à discerner les attaquants les plus déterminés ou qui représentent une menace immédiate - à conserver l'initiative.

Le tir de défense du policier, gendarme, officier de sécurité (garde du corps), convoyeur de fonds, transporteur de valeurs (bijoutiers), etc., est spécifique à un usage donné. Selon les circonstances il va s’apparenter à différentes méthodes de tir. Dans la plupart des cas, le ou les agresseurs ont l’avantage de l’engagement. Pour maximaliser l'efficacité de la riposte, on ne peut y répondre que par un tir dit « instinctif ” (pour être plus exact, il s’agit d’un réflexe visant à court-circuiter le cortex cérébral) ne laissant pas le loisir à courte distance de soigner sa visée. La défense consistera peut être à pivoter sur soi, avancer sur l'agresseur, reculer, de se déplacer latéralement afin de ne pas présenter une cible statique à l'assaillant. Le temps de réaction restreint souvent le choix technique. Il n'est plus question d'adopter la position de tir à bras franc des duellistes immobiles d'antan, position à laquelle ils finirent par renoncer à travers une évolution du duel au pistolet afin de pouvoir tirer en se déplaçant.

L'agresseur peut surgir de n'importe quel côté (sauf en présence d'obstacles bien entendu) et le tireur ne peut toujours changer de positions à chaque évolution de la situation. Il se doit donc être capable d'engager la riposte sur 360°. Il n'y a pas de miracle, pour dégainer, tirer vite et juste (adversaire très proche) ou juste et vite (adversaire proche) afin d'atteindre l'agresseur sans toucher un innocent, il faut s'entraîner régulièrement et « griller » plusieurs milliers de cartouches. Confronté à plusieurs agresseurs ou à une attaque de plusieurs minutes, la capacité d’un magasin pourra se révéler être insuffisante, il faudra donc en changer au cours de l'engagement. Le porte-magasin ne doit contenir que des chargeurs pleins, toute confusion pouvant être mortelle ! Se retrouver avec la culasse en arrière (comme au cinéma) lors d'une confrontation réelle peut signifier la mort. On s'efforce de gérer ses munitions au mieux. Il n’est pas exclu d'être blessé à une main, il faut donc s'entraîner à tirer avec la main faible mais aussi apprendre à changer de magasin et armer la culasse d’une seule main !

Chaque méthode à ses spécificités, certaines s’attardent sur la technique, fixer la cible, fixer les appareils de visée, sur la précision, sur la rapidité (fluidité), d’autres sur les positions, sur la gestion des incidents de tir, sur les déplacements, sur la finalité du tir, etc. En clair, aucune méthode ne représente la panacée et leurs auteurs persuadés de détenir la vérité commercialisent leur dextérité dans un parcours leur convenant. Force est de reconnaître que les performances des grands noms du tir ignorent la possibilité de parvenir à la « victoire » par n’importe quelle autre approche qui n’est pas la leur.

On combat autant avec l'esprit qu'avec les armes. Les agresseurs ont prévu leur attaque, et à n’en pas douter, ils utiliseront au maximum le terrain. Ils disposeront peut être d’une supériorité numérique et en puissance de feu, mais ils bénéficieront toujours de l’effet de surprise, ce qui peut entrainer à sa suite la précipitation. Un maitre en escrime japonaise disait à ses disciples « L'esprit ne suit pas le corps et le corps ne suit pas l'esprit. Prêtez attention à l'esprit, mais sans prêter attention au corps. Ne rien faire d'inutile. »

Dans le tir, comme les arts martiaux, le disciple ne peut jamais égaler le maître. Et pour cause, le maître a calqué sa méthode sur son mental, sa morphologie, son tempérament et autres petits riens qui le caractérisent. Le même résultat peut souvent s'obtenir de différentes manières. Chaque être vient au monde avec un certain potentiel et chacun d'entre-nous dispose d'une morphologie et d'aptitudes physiques particulières. Chaque individu a aussi acquis des expériences personnelles qui ont contribué à forger sa personnalité ou tempérament. Le milieu culturel joue également un rôle prépondérant dans la formation de la personnalité, et nos valeurs guident notre façon d'appréhender le monde. Chaque personne a des réactions qui lui sont propres quelle que soit la situation rencontrée. Or, les tireurs qui suivent des entraînements standardisés, ont tendance à réagir de la même façon face à un même événement, et le rôle de l'instructeur de tir contribue à imprégner une certaine emprise sur le tireur. Ces tireurs vont présenter des caractéristiques communes. Un instructeur de tir de combat dispensant une méthode dont je ne citerai pas le nom, s’obstinait toujours à faire un pivot en croisant les jambes ! Sa réponse lorsque quelqu'un le lui faisait remarquer, était : « Monsieur... cest comme ça et pas autrement. » La « surprise » (pour lui) fut de le voir réaliser un temps médiocre lors d'un 'exercice de tir consistant à se placer devant le principal et à engager trois cibles. Il fut battu par un garde du corps qui ne tirait quasiment jamais, alors que lui grillait plus de 2 000 munitions par mois ! Il avait acquis la précision, il mais ne possédait ni les « tai sabaki » ni cette fluidité pourtant indispensable au tir de riposte et encore moins l'esprit du combattant. Même après démonstration du bien fondé à opter pour une autre technique de pivot, il reste toujours accroché à son mouvement. Si cela ne l'empêche pas d'être parmi les meilleurs en tir de précision, il y a fort à parier que dans une situation de combat réelle, ces quelques dixièmes de seconde pourraient lui coûter la vie. Cela pour vous démontrer qu’une position doit s’adapter au tireur et que les arts martiaux peuvent se révéler un plus bien utile pour les pivots, idem pour les déplacements. Le fonctionnaire peut être appelé à se déplacer pour engager différentes cibles dynamiques ou statiques, ou servir de support (appui feu).

Quelle que soit la position, haute, médium, basse, l'arme doit pouvoir être pointée en direction de la cible et en suivre le déplacement latéral sur 360 degrés et en hauteur (limite des articulations et du champ visuel). Cela requiert de savoir enchaîner différentes positions, car c’est le corps et non seulement les bras qui font office de « plate forme » de tir. Il faut travailler toutes les positions sans rester statique. Se déplacer : avant, arrière, en latérale, et enchaîner les positions : bodyguard – Fairbairn – Ayoob - weaver – crouch - genoux isocèle - genoux weaver – couchez – roulez - relevez-vous, grenouille crevée, à genoux, roulé-boulé. Un mouvement nécessite d'avoir été accompli un millier de fois avant de commencer à le ressentir avec tout le corps. « En toute chose s'habituer au jugement intuitif. Connaitre d'instinct ce que l'on ne voit pas et ne rien faire d'inutile. » Et n'oubliez pas, on tire tant que l’agresseur représente une menace pour la vie humaine.

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