Féminisation des mots : trouble dans le langage

par hommelibre
mercredi 27 mai 2015

Retour sur cette info : le mot chef ne peut pas être féminisé. Son origine latine ne le permet pas. Conséquemment l’usage du féminin cheffe est un non-sens linguistique et grammatical. Il n’existe nulle part de cheffe. Pourquoi ?

La cheffe est morte, vive le chef !

Dans la décennie 1980 la France, par son gouvernement d’alors, crée une commission pour la féminisation du langage dans les titres, grades et professions. Un décret signé par Lionel Jospin en 1998 impose cette féminisation et sanctionne même son non-usage dans les débats de l’Assemblée Nationale.

Première observation : on est tombé sur la tête. Depuis quand une force politique pourrait-elle manipuler le dictionnaire ? Le gouvernement français n’a aucune compétence ni rôle dans l’évolution de la langue. C’est un abus de pouvoir et une décision autoritaire.

Une langue ne doit pas être soumise au bon vouloir et aux lubies des politiciens. L’évidence veut que l’on soustraie la langue, bien commun à tous les habitants d’un pays ou d’une région, aux aléas des majorités politiques qui se succèdent au pouvoir. Quand un pouvoir change le dictionnaire, on est dans les prémisses de 1984 et de la novlangue. Il ne devrait donc pas prendre de décisions portant sur l’évolution d’un idiome. Et l’on comprend que si des politiciens se permettent cela, si l’exemple de la suprématie idéologique sur l’intelligence et de l’arbitraire sur la règle vient de si haut, les élèves n’aient plus rien à foutre de l’orthographe ni de la discipline à l’école (la France étant l’un des pays cancres de l’OCDE sur ce dernier point).

Le mot chef, comme brièvement mentionné hier, vient du latin caput, mot de genre neutre : « Du lat. class. caput « tête » [par l'intermédiaire d'un lat. vulg. *capum, -i attesté au viies., v. TLL s.v. 384, 40-41], « extrémité (d'où début) », « ce qui est important (notamment d'un écrit) », « celui qui est à la tête de, auteur  ».

Il désigne matériellement la tête, mais sert aussi de métaphore pour indiquer la notion de commandement. Un homme peut prendre « la tête » d’un groupe. Il peut dire : « Je suis la tête pensante ». Il n’est pas féminisé pour autant. Et quand une femme dit « Je suis le chef » cela ne laisse en rien penser qu’elle soit un homme. Ce mot ne peut être féminisé puisqu’il est neutre à l'origine, le neutre étant destiné à éviter la sexuation et la ségrégation causées par les genres masculin et féminin.

Genre marqué, genre non marqué

L’Académie Française suit et valide ou non l’évolution de la langue. Elle veille à ce que cette évolution suive certaines règles de base afin de rester compréhensible par tous. Le développement d’une langue est un processus long et complexe. Il ne peut être confié à quelques groupuscules politiques.

L’Académie avait recommandé que les noms de métiers soient féminisés - elle-même en tient compte dans son dictionnaire - mais que les fonctions abstraites restent au masculin non marqué, forme supplétive au neutre, et n'appartiennent pas à des personnes spécifiques femmes ou hommes. Car le français a progressivement abandonné le neutre hérité du latin, même s’il en reste quelques traces. Le « il » peut désigner une personne de sexe masculin ou un fait neutre comme dans « il neige » ou « il faut ». Le contexte ou le sens décide et c’est une des beautés de la langue française de disposer d’autant de nuances. En allemand le neutre est largement répandu. Il ne s’agit donc pas d’une question idéologique et la thèse d’une volonté de rendre les femmes invisibles socialement est paranoïaque. Pourquoi en français et pas en allemand ? Et pas en anglais où le « you » vaut pour le masculin et le féminin, le singulier et le pluriel ?



Il n’y a pas de volonté systémique et universelle d’écarter les femmes. Il se trouve qu’en français le masculin a absorbé la forme neutre. Il y a en réalité deux masculins : le marqué et le non marqué. Le masculin non marqué, dans « L’Homme » par exemple, n’est pas spécifique aux personnes de sexe masculin. Il est extensif et universel. Par contre dans la phrase : « un homme et son épouse traversent la rue » le mot homme est marqué. Il désigne uniquement une personne de sexe masculin, il est donc intensif et amène à une distinction ou une forme de ségrégation. C’est ce qui fait dire à l’Académie : « Le choix systématique et irréfléchi de formes féminisées établit au contraire, à l’intérieur même de la langue, une ségrégation qui va à l’encontre du but recherché  ».

Le masculin non marqué est le neutre actuel. Dans ce sens personne n’imagine que l’expression Droits de l’Homme ne concernerait pas les femmes. Le féminin est toujours un genre marqué puisqu’il introduit une spécificité morphologique. Le féminin ne concerne que les femmes, à la différence du masculin qui, dans sa fonction extensive, non marquée, représente l’ensemble des humains des deux sexes. Si l’on voit cela comme une discrimination alors il faut réinventer la forme neutre. Qui sait, dans cinq siècles ? Retenons ici que l’Académie Française considère que la féminisation systématique est contraire à l’esprit et à certaines règles de la langue et qu'elle établit une ségrégation dans le langage et dans la réalité sociale.

Invisibles ?

Les noms de métiers sont pour beaucoup féminisés de longue date. Le terme chanteuse existe depuis le XVIIe siècle, et chanteresse depuis presque mille ans. Pourtant cantatrice, par exemple, n'a pas de masculin. Rappelons ici que la volonté de féminiser la langue a accouché d’une barbarie, le langage épicène ou à double genre masculin et féminin. Les unes écrivent le féminin en ajoutant un tiret, d’autres un point, d’autres des parenthèses. Ce qui dans tous les cas subordonne la forme féminine à la forme masculine, le féminin n'étant graphiquement, symboliquement, qu'un appendice caudal ou un ersatz du masculin. D’autres, plus cohérents, écrivent les deux formes dans la même phrase : « les électeurs et les électrices ».

Les fonctions étant non sexuées, elles sont écrites au masculin non marqué. « Le juge est une femme » est une expression juste. Par contre les professions peuvent suivre les différences sexuées. Cela clarifie même la communication. La féminisation tient compte de l’évolution récente des métiers qui pour la plupart n’existaient pas au XIXe siècle. Mais ce n’est pas tout : la politisation s’en mêle. Des féministes l’affirment, relayées ici par Anne Dister de l’Université de Louvain-la-Neuve en Belgique : « La volonté déclarée des auteurs du décret était d’assurer la visibilité des femmes à travers la langue. En effet, l’utilisation d’une seule forme, au masculin, pour désigner les hommes et les femmes dans l’exercice de leur profession occulte la place qu’occupent aujourd’hui les femmes dans le monde du travail.  »

Les femmes étaient-elles donc invisibles ? Cela fait partie de la mythologie victimaire. En réalité la visibilité n’était pas la même selon que l'on était femme ou homme. La répartition des pouvoirs se traduisait par le règne des femmes sur la maison et l’éducation, et celui des hommes sur la défense donc sur la politique. Les femmes travaillaient dans les exploitations agricoles (95% de la population était rurale), étaient artisanes, marchandes, etc. L’industrie a ensuite favorisé les nouveaux métiers et a eu besoin du travail des femmes. Ce sont des directeurs hommes qui engageaient des femmes en masse dans les grands magasins et les usines françaises du passé. On est très loin d’une oppression et d’une mise à l’écart généralisées, économique et sociale, des femmes. En réalité celles-ci ont toujours eu une vraie place et une vraie visibilité dans la société. Les histoires des femmes se sont racontées dans les familles.

Changement à la carte ?

Aujourd'hui l'Académie a assoupli sa position :

« Cependant, la Commission générale de terminologie et de néologie considère – et l’Académie française a fait siennes ces conclusions – que cette indifférence juridique et politique au sexe des individus « peut s’incliner, toutefois, devant le désir légitime des individus de mettre en accord, pour les communications qui leur sont personnellement destinées, leur appellation avec leur identité propre. » Elle estime que, « s’agissant des appellations utilisées dans la vie courante (entretiens, correspondances, relations personnelles) concernant les fonctions et les grades, rien ne s’oppose, à la demande expresse des individus, à ce qu’elles soient mises en accord avec le sexe de ceux qui les portent et soient féminisées ou maintenues au masculin générique selon le cas ». La Commission générale conclut justement que « cette souplesse de l’appellation est sans incidence sur le statut du sujet juridique et devrait permettre de concilier l’aspiration à la reconnaissance de la différence avec l’impersonnalité exigée par l’égalité juridique ».

Dès lors si l'on privilégie l'usage sur la règle le mot cheffe, bien que neutre dans son origine latine, pourrait être féminisé bien qu'il représente une fonction et non une personne. Ce n'est pas le pire. Le mot entraîneuse n'est pas lu comme féminin d'entraîneur... Selon le degré de victimisation ou de.

L'Académie rappelle enfin :

« L’application ou la libre interprétation de « règles » de féminisation édictées, de façon souvent arbitraire, par certains organismes français ou francophones, a favorisé l’apparition de nombreux barbarismes.

 Il convient tout d’abord de rappeler que les seuls féminins français en -eure (prieure, supérieure...) sont ceux qui proviennent de comparatifs latins en -or. Aussi faut-il éviter absolument des néologismes tels que professeure, ingénieure, auteure, docteure, proviseure, procureure, rapporteure, réviseure, etc. Certaines formes, parfois rencontrées, sont d’autant plus absurdes que les féminins réguliers correspondants sont parfaitement attestés. Ainsi chercheure à la place de chercheuse, instituteure à la place d’institutrice. On se gardera de même d’user de néologismes comme agente, cheffe, maîtresse de conférences, écrivaine, autrice... L’oreille autant que l’intelligence grammaticale devraient prévenir contre de telles aberrations lexicales.

Enfin, seul le genre masculin, qui est le genre non marqué (il a en effet la capacité de représenter les éléments relevant de l’un et de l’autre genre), peut traduire la nature indifférenciée des titres, grades, dignités et fonctions. Les termes chevalière, officière (de tel ordre), députée, sénatrice, etc., ne doivent pas être employés ».

L'Uni Genève et l'Académie française recommendent de réfléchir davantage avant de transformer le langage pour des enjeux politiques. Un clip pour ados témoigne de la confusion ambiante - on pourrait écrire, paraphrasant une certaine madame Butler : « Trouble dans le langage » (ciel, un Alzheimer culturel ?). On se dirige peut-être vers des changements de grammaire et de vocabulaire à la carte, pour convenance personnelle, ou motivés par le degré de victimisation réelle ou supposée que vivent les chefs des mouvements victimaires. Ne faudrait-il pas plutôt réhabiliter la forme neutre originelle, afin d'éviter les barbaresques néologismes et autres épouvantables épicénats ?

 

Image 2, Académie Française. Image 4, Corine Diacre, entraîneuse du Clermont Foot.


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