Fidel Castro et Che Guevara : deux politiques différentes

par Jean Dugenêt
vendredi 10 décembre 2021

Dans le contexte de la guerre froide, la révolution cubaine victorieuse ne pouvait évoluer que dans trois directions :

Fidel Castro a choisi la deuxième solution et Che Guevara a choisi la troisième. Nous ne pouvons qu’approuver le choix de Che Guevara mais nous le faisons avec des réserves. La méthode de prise du pouvoir préconisée par Che Guevara n’était pas celle des marxistes. Il ne cherchait pas à construire un parti révolutionnaire capable de prendre la direction de la classe ouvrière pour la mener à la victoire dans une situation révolutionnaire. Pour lui, une guérilla pouvait aboutir à une révolution. Il croyait ainsi pouvoir reproduire la révolution cubaine mais, en fait, il n’avait pas compris ce qui s’était passé à Cuba. J’ai déjà évoqué cette question dans un article intitulé : « Rita Hayworth et le marxisme  » mais il faudra y revenir.

Nous reconnaissons à Che Guevara l’immense mérite d’avoir cherché à étendre la révolution cubaine à d’autre pays de l’Amérique Latine et d’avoir mis ses actes en accord avec ses idées. Il l’a payé de sa vie. Il est des nôtres.

Je reproduis ci-dessous un article de Miguel Sorans publié en 2016 lors du décès de Fidel Castro. Je l’ai traduit en me souciant davantage du sens que de la forme.

Jean Dugenêt, le 9 décembre 2021

La mort de Fidel Castro a donné lieu à toute sorte d’interprétations, sur sa trajectoire et son héritage politique, aussi bien dans les médias bourgeois qu’entre les militants combatifs. Une grande partie de la gauche tend à récupérer sa figure positivement, mais en cachant son vrai parcours politique.

Notre courant socialiste révolutionnaire, fondé par Nahuel Moreno, a alerté, depuis les premières années de la victoire de la révolution cubaine, sur les risques que contenaient en germe les caractéristiques propres au mouvement castriste. Mais notre courant a aussi défendu, de manière inconditionnelle, la révolution cubaine et a condamné le blocus imposé par les USA et toute forme d’agression impérialiste.

C’est pourquoi, face à la mort de Fidel Castro nous devons souligner nos profondes divergences avec ses positions politiques et celles de toute la direction du Parti Communiste Cubain. Pour être clair : depuis plus d’un demi-siècle nous avons dénoncé son rôle d’abandon de la révolution socialiste à Cuba et au-delà (Dans toute l’Amérique Latine et le monde).

Cette affirmation surprendra beaucoup de jeunes qui ignorent la vraie trajectoire de Fidel Castro. Son décès remet à l’ordre du jour cette discussion. La vérité, c’est que, après les premières années de la révolution, Fidel Castro a abandonné sa position de révolutionnaire nationaliste et indépendant, dirigeant du Mouvement du 26 juillet. Au milieu des années 60, Fidel Castro, dirigeant du PC, a décidé de s’allier avec la direction bureaucratique du PC de l’ex-URSS, alors dirigé par Nikita Khrouchtchev puis par Brejnev. Cela a amené des conséquences tragiques pour le processus révolutionnaire latino-américain et mondial. Jusqu’alors Fidel Castro et la direction cubaine, avec la méthode erronée du « foquisme » (Il s’agissait de promouvoir des foyers de guérilla), encourageaient et soutenaient, avec une politique certes erronée, la révolte populaire latino-américaine. Il y a eu, dans cette perspective, des réunions internationales comme la « Tricontinental » ou « l’OLAS ». Mais après avoir pactisé avec la bureaucratie du Kremlin, cette orientation politique a été abandonnée progressivement.

Fidel Castro a adopté la politique contre-révolutionnaire du PC de Moscou de “coexistence pacifique” avec l’impérialisme que Staline et la bureaucratie avaient promue. Cela signifiait qu’il fallait s’abstenir de promouvoir des nouvelles révolutions socialistes afin qu’en échange l’impérialisme respecte les états dirigés par les dictatures pseudo “socialistes” de l’URSS et de l’Europe de l’Est. Cette politique a été justifiée idéologiquement par la théorie stalinienne du “socialisme dans un seul pays” et par la théorie non moins stalinienne de « la révolution par étapes ». Cette dernière justifie de soutenir des gouvernements de collaboration de classes avec des “mouvements nationalistes progressistes mais néanmoins pro-capitalistes” en reportant à un avenir indéterminé la lutte pour le socialisme. Avec cette théorie, la bureaucratie stalinienne des PC russe et chinois a promu la trahison de toute sorte de révolutions dans le monde, en commençant par la révolution espagnole de 1936.

Che Guevara s’est opposé à la politique stalinienne

Mais en réalité depuis 1964-65, deux lignes ou deux politiques sont apparues dans la direction cubaine. D’abord, celle de Fidel Castro et de la majorité pro-URSS et ensuite, celle dirigée par Che Guevara qui, sans attaquer directement Fidel Castro, a manifesté sa divergence. Cela a amené Che Guevara à renoncer à ses fonctions et à quitter secrètement Cuba.

Notre courant a toujours été critique avec la conception de la “guerre de guérillas” de Che Guevara et avec d’autres aspects de ses orientations qui l’amenaient en fait à chercher des substituts au rôle révolutionnaire de la classe ouvrière et à la construction de partis révolutionnaires. Mais par-delà ces divergences nous reconnaissons son internationalisme conséquent et sa défense de la révolution socialiste. Au point qu’à sa mort, en octobre 1967, Nahuel Moreno le définissait comme un “héros et martyr de la révolution permanente”.

Le Che était déçu par ce qu’il avait vu en l’URSS. Il s’est opposé au cours de diverses discussions, à la perception qu’il a eu de l’“économie socialiste”. Sa vision internationaliste l’a amené à comprendre que la défense de la révolution cubaine passait par l’extension de la révolution à d’autres pays d’Amérique Latine. Il a alors commencé à se heurter de plus en plus aux positions de la bureaucratie soviétique qui refusait que de nouvelles révolutions socialistes apparaissent. En février 1965, il a prononcé un célèbre discours à Alger dans lequel il a contesté la politique de coexistence pacifique de l’URSS et il a exigé le soutien inconditionnel, avec armement gratuit, au peuple du Vietnam. Ce qui a justifié sa “lettre-testament” :

“l’impérialisme nord-américain est coupable d’agression […] mais sont aussi coupables, ceux qui maintiennent une guerre de calomnies et de crocs-en-jambe commencée depuis longtemps par les représentants de deux principales puissances du champ socialiste [l’URSS et la Chine] “.

Le Che y opposait la politique de « deux ou trois Vietnam ». Il est mort finalement en Bolivie, isolé de tout soutien, en essayant, avec une stratégie erronée, d’étendre la révolution. Son objectif était juste. Le Che avait aussi lancé une mise en garde contre la bureaucratisation qui risquait d’amener des reculs avec sa formule « la Révolution Socialiste ou la caricature de révolution socialiste ».

Fidel Castro a refusé d’étendre la révolution à d’autres pays

Beaucoup de sympathisants de Fidel Castro peuvent penser : “devant le blocus yankee et l’isolement des années 60, Fidel Castro n’avait pas d’autre alternative que le pacte avec Moscou”. Ce n’est pas le cas. L’alternative, pour casser le blocus et l’isolement de Cuba était d’étendre la révolution. C’est ce que disait le Che et les courants politiques comme le nôtre. Il y avait des conditions favorables pour cela : le Vietnam était en passe de gagner la guerre (les yankees ont fui en 1975). En 1968, il y a eu une montée du mouvement des masses en Amérique latine. Au Chili des 1970-73 Salvador Allende est arrivé au pouvoir, mais il a échoué puisqu’au lieu de s’engager résolument sur la voie de la mobilisation ouvrière vers le socialisme, il a choisi de chercher un pacte “pacifique” avec la bourgeoisie chilienne et les militaires “progressistes ( !!!)” comme Pinochet. En 1979, au Nicaragua la révolution était victorieuse contre le dictateur Somoza avec le peuple armé et la dictature tombait. Quelques années plus tard, tombait aussi la dictature du Salvador. L’Amérique centrale était une poudrière et, une nouvelle fois, Fidel Castro donnait la consigne de ne pas faire de « nouveaux Cuba » et de marcher pacifiquement vers le socialisme.

De nos jours au Nicaragua et au Salvador les ex-guérilleros castristes continuent de gouverner en affamant les peuples et en préservant le capitalisme. C’est la triste réalité. Fidel Castro n’a pas appuyé les révolutions arabes de 2011 et il a justifié les massacres de Bashar Al Assad.

Dès les années 90, Castro a continué de donner son appui aux gouvernements faussement “progressistes” de l’Amérique latine qui dévoyaient les luttes vers le terrain parlementaire et il a soutenu un capitalisme “national et populaire”.

 

Jean Dugenêt, d’après un article de Miguel Sorans publié en 2016.

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Unité Internationale des Travailleurs – Quatrième Internationale (UIT-QI)


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