Fin de « l’affaire du zizi » : la palme du ridicule à la hiérarchie de Éducation nationale

par Paul Villach
jeudi 24 mars 2011

Zip ! La fermeture-éclair est enfin remontée : « L’affaire du zizi », survenue à l’école de Liernais (Côte d’Or), est close. On se souvient que l’instituteur, Jean-Paul Laligant, avait été poursuivi en justice sur plainte d’une mère d’élève pour avoir réprimandé maladroitement, le 25 septembre 2008, son fils exhibitionniste en l’avertissant, un cutter à la main, devant les autres élèves qui s’étaient plaints de la conduite de leur camarade, qu’ « (il coupait) tout ce qui dépasse  ». (1)

Il avait été condamné en première instance à 500 euros d’amende avec sursis, le 30 mars 2009. Mais la Cour d’appel de Dijon l’avait relaxé le 17 décembre suivant, rappelant à la raison Justice de première instance, Gendarmerie et Éducation nationale (2). Oui, la réaction de l’instituteur était psychologiquement inappropriée, mais, replacée dans le contexte de la vie quotidienne d’une école primaire, cette erreur pédagogique n’était pas un délit et n’aurait jamais dû sortir de l’enceinte scolaire.
 
Deux violations de la loi par le recteur de Dijon
 
Ce n’était pourtant pas du tout l’avis de la très consciencieuse hiérarchie de l’Éducation nationale qui, elle, vient une fois de plus d’exhiber, pire qu’un « zizi », son incompétence, sa partialité, et en tout cas son aptitude à violer la loi quand ça l’arrange, comme d’habitude.
 
- Une demande légitime de protection de la Collectivité publique par l’instituteur attaqué
 
M. Lalligant, attaqué à l’occasion de ses fonctions par la mère de l’enfant exhibitionniste, avait légitimement demandé la protection de la Collectivité publique au recteur de l’académie de Dijon. L’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, prévoit, en effet, que « la collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires » attaqués à l’occasion de leurs fonctions. Cette protection est à la fois matérielle et morale : les frais de justice sont pris en charge et le soutien moral de la hiérarchie dans cette épreuve est important.
 
- Les deux violations de la loi par le recteur
 
Or, le 7 janvier 2009, le recteur avait refusé d’accorder cette protection statutaire obligatoire sous prétexte que l’instituteur avait commis, écrivait-il, « une faute d’une particulière gravité  ». Ce qui est sidérant, c’est qu’un si haut responsable se permette en toute tranquillité de reprocher une faute à un subordonné en violant lui-même deux lois à la fois :
 
1- une première violation est celle de l’article 11 qui, organisant la protection de la Collectivité, est formel ; celle-ci est un devoir ; « la Collectivité publique est tenue de protéger  » le fonctionnaire attaqué, quitte à ce qu’en cas de condamnation ultérieure, celui-ci soit appelé par une action récursoire à rembourser les frais que l’État a engagés pour sa défense.
 
2- La seconde violation est celle de la présomption d’innocence selon laquelle tout citoyen est présumé innocent tant qu’il n’a pas été déclaré coupable par un tribunal. Ça n’empêche pas le recteur de délivrer avant l’heure son verdict pour fonder son refus de protection statutaire, offrant un bel exemple de violation de la loi à la communauté scolaire. Mais qui se soucie du respect de la loi dans l’Éducation nationale ? Il y a 25 ans, le Conseil d’État dénonçait déjà cette institution comme particulièrement rétive à l’exécution de ses arrêts !
 
Une Éducation nationale à deux classes : les nobles et les manants
 
Pour ne rien arranger, M. Lalligant n’était qu’un vulgaire instituteur. Il existe, en effet, deux classes sociales à l’Éducation nationale : les nobles que sont les fonctionnaires d’autorité et les manants, c’est-à-dire tous les autres. La loi devient un privilège réservé aux premiers et refusé aux seconds. Un chef d’établissement en position d’agresseur a plus de chance de bénéficier de la protection statutaire que sa victime, un professeur par exemple. Les tribunaux administratifs ont souvent dans le passé annulé le refus de protection rectoral et condamné l’État pour la faute commise par son représentant. Mais qu’est-ce qu’une telle condamnation peut bien faire à un recteur ? Ce n’est pas lui qui paie pour ses fautes et sa carrière n’en souffre pas. (3) En attendant, c'est la victime qui doit se défendre seule et payer les frais de justice pour tenter de faire condamner son agresseur.
 
L’annulation du refus rectoral de protection statutaire par le Tribunal administratif
 
Qu’allait donc faire le tribunal administratif de Dijon ? On avait quelques craintes, car les annulations de refus de protection statutaire se sont faites rares depuis quelques années. Le contexte de la justice en France est si délétère qu’il rend illusoire aujourd’hui une procédure intentée contre une autorité. À l’audience, en décembre 2010, la rapporteur publique (sorte de procureur devant la juridiction administrative) faisait même craindre le pire : pour elle, la faute personnelle de l’instituteur était établie et le refus du recteur de lui accorder la protection statutaire, justifié en droit : elle avait donc demandé le rejet du recours.
 
Eh bien, surprise ! Le tribunal administratif de Dijon n’a pas suivi la rapporteur à quatre chandelles, il vient d’annuler le refus de protection que le recteur a opposé à l’instituteur attaqué à l’occasion de ses fonctions.
 
« - Considérant, juge-t-il, qu’il ressort des pièces du dossier que, si les paroles proférées par M. LALIGANT ont été maladroites, l’instituteur n’a pas réellement menacé le jeune élève en cause et n’a pas eu l’intention de lui faire mal, mais a agi dans le seul souci de faire comprendre au mineur que le geste qu’il venait d’accomplir ne pouvait être toléré, en particulier au sein d’une classe ;
- que, dans ces conditions, ce comportement, s’il peut être considéré comme fautif, ne saurait s’analyser en une faute personnelle détachable de l’exercice des fonctions ;
- qu’il s’ensuit qu’en refusant d’accorder à M. LALIGANT sa protection au titre des poursuites pénales dont il a fait l’objet, le recteur de l’académie de Dijon a fait une inexacte application des dispositions de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 ;
- que la décision du 7 janvier 2009 doit dès lors être annulée (…) »
 
Le tribunal a condamné l’État à payer les frais de justice exposés par la victime devant les juridictions pénale et administrative, soit 3.800 Euros.
 
Un bilan désastreux pour des institutions discréditées
 
Sans doute ne faut-il pas croire trop vite à une résurrection de la Justice française : une hirondelle ne fait pas le printemps. Mais on ne boude pas son plaisir quand « Justice est fête » ! Car M. Lalligant revient de loin :
 
1- il a été, dès le 25 novembre 2008, suspendu de ses fonctions par le recteur pour quatre mois conservatoires qui ont été reconduits ;
 
2- il a été traité deux jours plus tard, avec prélèvement d’ADN, comme un malfrat par la gendarmerie pendant 9 heures de garde à vue le 27 novembre ;
 
3- on a tenté de lui faire accepter une Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité (CRPC) pour violence aggravée sur mineur de moins de 15 ans avec arme, en lui faisant miroiter une peine allégée ;
 
4- on a cherché à le dissuader de faire appel de sa condamnation en première instance ; il prenait un risque : le tribunal pouvait aggraver la peine avec inscription au casier judiciaire susceptible d’entraîner une radiation de la Fonction publique ;
 
5- le recteur lui a refusé la protection statutaire au mépris du respect de la présomption de son innocence et de la loi organisant la protection statutaire ;
6- une rapporteur publique a estimé juridiquement fondé ce refus ;
 
7- et il a fallu que le tribunal administratif fasse remarquer à ces braves gens que «  si les paroles proférées par M. LALIGANT ont été maladroites, l’instituteur n’a pas réellement menacé le jeune élève en cause et n’a pas eu l’intention de lui faire mal, mais a agi dans le seul souci de faire comprendre au mineur que le geste qu’il venait d’accomplir ne pouvait être toléré, en particulier au sein d’une classe. »
 
Mais quelles brillantes études dans de prestigieuses écoles ont donc fait tous ces potaches pour se montrer aussi aveugles devant l’évidence ? Et n’ont-ils rien appris depuis la fin de leur scolarité ?
 
Heureusement qu'il s'est trouvé un Comité de soutien, composé de gens sensés, pour venir en aide à M. Lalligant : sa pétition a réuni plusieurs milliers de signatures. 
 
Gendarmerie, Justice de première instance et hiérarchie de l’Éducation nationale ont, dans cette affaire montée en épingle, rivalisé d’incompétence et de manque de discernement. La palme du ridicule revient sans conteste à la hiérarchie de l’Éducation nationale, une fois de plus ! On frémit d’être administré par de tels incapables. La République ne prend-elle pas de grands risques à leur confier des institutions aussi essentielles à la cohésion sociale ? Ne serait-il pas juste que les responsables de cette nouvelle faillite soient sanctionnés ? Mais ça ne risque pas d’arriver : même les responsables du naufrage d’Outreau, autrement plus tragique, ne l’ont pas été à la hauteur de leurs carences qui ont détruit la vie d’une dizaine de citoyens, l’un d’eux s’étant même suicidé en prison. Alors, vogue la galère ! Paul Villach 
 
(1) Paul Villach, « L’instituteur avait dit : « Je coupe tout ce qui dépasse » à un élève qui montrait son zizi... », AgoraVox, 12 janvier 2009
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-instituteur-avait-dit-je-coupe-49893
(2) Paul Villach,
- « L’affaire du zizi, de l’École et de la Justice qui dépassent les bornes » bientôt en appel à Dijon », AgoraVox, 14 novembre 2009
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-affaire-du-zizi-de-l-ecole-et-de-64988
- « L’affaire du zizi : l’instituteur relaxé en appel, sa hiérarchie discréditée sans appel  », AgoraVox, 18 décembre 2009
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-affaire-du-zizi-l-instituteur-66939
(3) Paul Villach, « Les infortunes du savoir sous la cravache du pouvoir », Éditions Lacour, Nîmes, 2003 ; « Un blâme académique flatteur », Éditions Lacour, Nîmes, 2008.

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