Fin de partie(s)
par Elric Menescire
mardi 20 décembre 2022
"il ne faut pas politiser le sport"
Emmanuel macron
Agir
Le football a toujours été un sport populaire.
Populaire, c'est je crois le mot qui convient : aimé par une majorité du peuple, que celui-ci soit riche ou pauvre, détestable ou vertueux.
D'où lui vient cette popularité ?
Tout d'abord sans aucun doute par ce qui en constitue le coeur : un langage universel, qui entre gosses et moins gosses se passe de mots. Taper dans un ballon, et le regarder rouler...pouvoir agir sur lui, le faire bondir, rebondir... puis interagir avec les autres, avec l'équipe : monter des stratégies, avoir un but, découvrir l'adversité, l'équipe en face. Subir son premier tacle : je me souviens, quand j'étais ado, j'adorais jouer en défense, et mon premier claquage fut mémorable. Cette douleur intense, et cette frustration aussi : celle de devoir rester assis sur le banc, et de regarder les autres agir à ma place.
Impuissant comme un chômeur échoué dans une gare de la startup nation.
Agir -le mot est lâché.
Selon les psychologues, le jeu, chez les enfants, est capital pour l’affirmation de soi, car c’est un moyen de structuration de la personnalité, d’apprentissage de la vie, de découverte des autres, de développement des facultés d’imagination, de logique, d’adresse physique. Le plaisir rend facile ce qui est difficile. Mais pour les adultes ?
Dans son ouvrage culte "Bullshit jobs", David Graeber convoque un psychologue allemand, Karl Groos, spécialiste du jeu chez l’enfant, qui écrivait en 1901 que « la joie d’être cause » est un facteur décisif du développement psychique, et dont l’absence « ébranle les fondations mêmes de votre sentiment de soi ».
L'adulte en principe agit sur le monde, et rien ne lui est plus insupportable que de réaliser son absence de pouvoir sur les choses.
Les nazis l'avaient bien compris, eux qui, pour briser les prisonniers les plus endurants, les faisaient non pas travailler dans un but précis (par exemple construire un entrepôt, un dortoir, qui aurait une utilité par la suite), mais plutôt exécuter des tâches sans aucun sens :construire un entrepôt le lundi, le détruire le mardi, puis recommencer le mercredi...déplacer des rochers le jeudi, les remettre à leur place initiale le vendredi...
De cette manière, l'estime de soi était très rapidement démolie, et le moral atteint. Le reste suivait.
Un peu comme dans l'entreprise -et le monde- moderne.
Un peu comme dans la startup nation.
Pardon : la footup nation.
Donc...Pourquoi les gens aiment-ils les jeux, au fond ? Que ce soit avec le PMU, le golf, le ball trap ou le foot, c'est la même mécanique qui est à l'oeuvre : en jouant, on retrouve les premières sensations que l'on avait lorsqu'on était un gosse, et qu'on découvrait que l'on pouvait agir sur ce monde nouveau qui nous entourait. On est, quelque part, un tout petit peu un dieu.
Rien à foot
Le foot, donc.
Il n'aura échappé à personne que le plus gros évènement mondial dans le domaine s'est terminé il y a quelques heures, dans un coin de désert reculé, peuplé de bédouins fondamentalistes.
Lesdits bédouins étant par dessus tout désireux d'asseoir leur soft power sur le monde occidental, comprenez : s'acheter une image positive auprès de tous les mécréants que nous sommes, et ceci à coups de centaines de milliards de pétrodollars aussi bien qu'à coups de milliers de travailleurs immigrés esclavagisés durant plus de dix ans.
Les Qataris peuvent être fiers d'eux : la coupe du monde est une réussite footballistique indéniable.
Mais côté image, on aurait pu mieux faire : entre la tentative de corruption (ratée ? je ne crois pas) au Parlement européen, et celle en cours depuis plus de dix ans en France (et réussie, celle-là), les enturbannés commencent à se faire voir pour ce qu'ils sont. En gros, des individus peu recommandables comme il en existe une très grande majorité chez ceux qui gouvernent le monde, et qui finalement s'entendent comme larrons en foire avec nos dirigeants, et ce malgré leurs "valeurs" à la con, pardonnez-moi l'expression.
Car qui peut encore gober la fable des "droits de l'Homme", lorsque notre gouvernement est un des principaux fournisseurs avéré d'armes à l'Arabie Saoudite...armes qui ont contribué à l'anéantissement de plus de 400 000 civils yéménites ?
Qui peut encore croire aux jérémiades de macron sur la sobriété et la nécessité pour le pékin moyen que nous sommes d'éteindre nos ampoules et le wifi, lorsque celui-ci émet autant de CO2 en deux jours qu'un français moyen en 53 ans, en deux petits coups de jet seulement ?
Quoi qu'il en soit, le but des Qataris est-il atteint ? Que cherchent-ils à faire, en fait ?
On se le demande : la coupe leur a coûté au bas mot 220 milliards, (une paille), et, même si nous savons que le devoir de charité est un des piliers de l'Islam (un peu comme chez les chrétiens bien de chez nous en fait), il y a sans doute quelque chose d'autre comme motivation d'avoir mobilisé autant de moyens, qu'ils soient financiers ou politiques -lobbying au Parlement européen inclus.
Footup nation
Comme me le disait un camarade l'autre jour, l'appel au boycott de cette coupe du monde était sans doute une erreur politique majeure pour ceux qui l'ont commise -surtout s'ils se réclamaient "de gauche". On se coupe très rapidement du prolo en refusant de comprendre l'importance du jeu dans une vie dont les trois quarts du temps sont dédiés au labeur, le vrai, le concret.
Il est vrai que nos députés et autres "élus" de la République, avec leur salaire équivalent à 4 ou 5 fois le salaire minimum, ne savent très rapidement plus ce que le prolo vit -s'ils l'ont jamais su. Combien de députés ont connu le bleu de travail, les trois huit, le travail manuel épuisant ou le dos flingué à quarante ans ?
Excepté un Ruffin -fin connaisseur du ballon rond, amoureux de ce sport et qui insiste pour ne se verser qu'un Smic sur son mandat de député, le reste allant à des associations caritatives-, sans doute que très peu de responsables politiques "de gauche" ont trouvé grâce aux yeux du français moyen, surtout pour ces raisons-là.
La prétendue "gauche politique" n'est pas exempte de critiques, convenons-en, mais le vrai problème est bien plus profond. Vouloir s'arrêter à la comédie électorale n'est pas digne de nous. Il nous faut creuser encore un peu, voulez vous ?
Quel est donc le problème du jeu politique ? C'est qu'il constitue un jeu, un peu comme le foot, mais avec la perversion en supplément.
Il faut sans cesse dribbler et parfois marquer contre son camp. Le but n'étant pas de jouer collectif, mais bien de sauver ses miches lorsque sonnera le coup de sifflet final.
Les politiques ne défendent pas des idées, ils défendent l'image qu'ils croient que les gens doivent se faire de leurs idées. Vous voyez l'idée ?
D'où la colère de plus en plus grandissante, mais aussi sourde, et rentrée, d'une partie de plus en plus large de la population, qui sent bien que l'arbitre est en train de tricher.
Ehhhhh ! y a carton rouge, là ! comment ça se fait que cet abruti il l'ait pas vu bordel ! Aux chiottes !
Et puis patatras ! la fin de partie approche : les gens sont vraiment vraiment, bien dans la merde aujourd'hui. C'est pas deux-zéro à la mi temps là : c'est plutôt 20% d'inflation contre +230 milliards pour le CAC40 et mmmhh..comment dire ? Vous pensez que l'envahissement du terrain n'est pas pour bientôt, avec toutes les saloperies que vous nous faites là, sous le nez ?
Panem et circenses
Car au fond, le fait que le foot soit un sport immensément populaire, que la coupe ait été suivie par plus de 3 milliards de personnes, et que les footballeurs vedettes soient aujourd'hui pour les masses l'équivalent de dieux vivants -ou des gladiateurs de jadis- ne changera rien à l'affaire.
Cette "célébration" a étalé le caca au grand jour.
Tout le monde a pu constater combien des gamins prétentieux et surpayés, qui se prévalent d'un talent chèrement acquis, après des années d'efforts, et une sélection le devant plus à la chance et au hasard qu'à la vraie destinée dont se parent leurs égos démesurés, tout le monde a pu le toucher du doigt : ce furent les jeux du cirque.
Alors oui, ok, je sais : pas de mises à mort sur la pelouse. Pas d'empereur qui lève le pouce à la verticale, et pas d'esclaves pour nettoyer le sang après le repas des lions.
Quoique : les esclaves étaient là, invisibles, comme ces dizaines de milliers de petites mains népalaises, philippines, srilankaises ou indiennes qui ont construit, entretenu, nettoyé les infrastructures et les stades, dans un pays où seulement 20% des habitants ont la citoyenneté Qatarie.
Le sang était sous la pelouse de chaque stade donc.
Le pouce levé ou abaissé ? C'est macron ou Bin Salman qui se rencontrent, et qui se mettent d'accord pour un contrat d'armement juteux, contrat qui expédiera ad patres infiniment plus d'innocents qui n'avaient rien demandé, que les 4 criminels de droit commun qu'on jetait aux lions dans la fosse à l'époque.
La forme a changé, mais le fond reste le même.
Infiniment plus moderne. N'avons-nous rien appris ?
Il semblerait que non : aujourd'hui on fait la gueule, parce qu'on a pas réussi une épreuve mondialement organisée à grands frais, alors que des millions de personnes crèvent de faim, de froid, de maladie. Et que des millions de jeunes à travers le monde angoissent sur le fait qu'ils n'ont aucun avenir d'ici dix ans, avec un climat qui s'emballe et la fuite en avant dans le greenwashing et le grand n'importe quoi de toutes nos "zélites".
A quoi auraient bien pu servir ces 220 milliards ?
Aujourd'hui les Argentins se pintent la gueule, parce qu'ils ont juste réussi, par convention, à proclamer "on a gagné, ils ont perdu"... mais où est l'essence de ce sport populaire là-dedans ?
"Faire rêver les gosses", est-ce là une excuse pour autant d'indécence et de cynisme ?
Le pire, c'est que les gens le savent : les gens le voient ! Ils voient ce que les stars mondiales du ballon rond et leurs sponsors sont. Ils voient la comédie humaine qu'est tout cela. Que ce soit sur ça, ou sur les menaces existentielles qui pèsent sur l'Humanité, les gens ne sont pas bêtes. Ils savent la contradiciton majeure dans laquelle nos sociétés évoluent. Des dizaines d'études le montrent.
Mais ils s'en foutent...
2000 ans et pas une ride
A la toute fin, l'Empire Romain s'est lui aussi, effondré.
De toute sa puissance, de toute sa splendeur, du haut de son immense gloire.
De tout son long, il est allé au tapis.
Malgré ses dénégations, à la fin, ses ultimes contradictions, insolubles, ont eu raison de lui.
Les historiens donnent aujourd'hui cinq facteurs majeurs, cumulatifs, qui ont mené à sa disparition : l'empire avait un besoin constant de ressources, donc de routes pour les transporter, donc d'argent pour les entretenir. Les mines d'or et d'argent en espagne se tarirent dès le 2ème siècle, asséchant les finances et conduisant à une dette exponentielle.
L'Empire était également divisé, et plusieurs factions se disputaient le pouvoir. Les sujets se plaignaient de l'autoritarisme de plus en plus aveugle et injuste des dirigeants.
La populace ensuite : ce terme, méprisant à l'époque, reflète exactement le même mépris de classe que nos zélites ont pour nous, et que les patriciens et autres empereurs avaient, dans leur très grande majorité, pour la plèbe, grouillante et puante. Cette populace refusait de voir la vérité en face, parce que sa vie était supendue à un fil : il fallait bouffer, et la crise alimentaire menaçait constamment la survie de 50 millions de citoyens de l'empire.
Un mot sur les invasions barbares : contrairement à ce que certains disent, elles ne furent pas la cause première mais bien le bouquet final : les frontières, moins gardées, se délitèrent, et naturellement ceux qui attendaient derrière et brûlaient de se venger de ces envahisseurs arrogants rappliquèrent en masse-car oui, c'est ainsi que les Romains étaient vus, et c'est ce qu'ils étaient : des envahisseurs arrogants.
N'oublions pas que la Germanie ou encore la Galice furent "pacifiées" par l'Empire dans le sang, sur plusieurs dizaines d'années, au fil de guerres sanglantes et ininterrompues.
Il s'agit bien ici d'Impérialisme : à 2000 ans de distance, ce concept n'a pas pris une ride.
Germanie hier, Françafrique aujourd'hui.
Et avec tout ça, nous aurions voulu qu'en plus ils nous aiment ?
Fin de partie
Je sais, je sais...
Mes titres sentent le réchauffé, et pourtant : il faut bien se l'avouer, je n'ai rien trouvé d'autre de plus pertinent. Et pour cause.
Car un peu comme hier, on sent que la partie est sur le point de se finir. On le sait.
Le pire n'est même pas là : finalement, on ne sait plus pourquoi on accepte les règles de ce jeu-là.
On pourrait, on devrait refuser de jouer, tellement les règles sont stupides. Mais on continue...cherchez l'erreur.
Parce que franchement...
QUI a décidé qu'en cas d'égalité, c'était celui qui tirait la barbichette de l'autre le plus longtemps sans éclater de rire qui gagnait ? Pourquoi les tirs au but ? Pourquoi une élection où moins d'un habitant sur cinq qui vote décide pour tous les autres ?
QUI a décrété que l'état d'esprit de dizaines de millions de personnes, de tout un pays entier, serait conditionné à une règle aussi... idiote ? Hier, nous sommes passés à deux doigts de faire une fête gigantesque, tout ça à cause d'un ... tir aux buts ? Et en mai dernier, nous nous sommes refarcis le méprisant de la république, celui qui nous assome de 49.3, et qui va nous faire travailler jusqu'à la mort sous les lbd et les lacrymos, tout ça à cause..d'une élection où la majorité est allée à la pêche ?
Je crois que tout ceci, au fond, est une histoire de consentement : de la même manière que, dans une société juste, on consent à l'impôt, dans un tournoi international crédible, on consent aux règles, et dans une élection nationale, on consent à celui qui vous maltraitera durant cinq ans.
Nous con-sentons, à défaut de sentir.
Et puis le problème du jeu international actuel, c'est qu'il est faussé par une bande de pervers psychopathes, et ce depuis quelques décennies déjà. Les USA et leurs séides impérialistes, esclavagistes, colonisateurs, exploiteurs, veulent continuer de s'accaparer les richesses du monde sous des prétextes qui ne font plus illusion désormais. Ils y vont franco, et nous continuons de consentir, nous autres occidentaux, en bons profiteurs que nous sommes.
Jusqu'à quand ?
Tout ceci est en train de prendre fin malgré tout. L'espoir est permis : les règles sont désormais plus que contestées. L'arbitrage vidéo n'y suffira plus. La tricherie est trop visible !
Et puis de nouvelles équipes, puissantes et bien équipées -l'équivalent de l'équipe marocaine au niveau géopolitique- ne veulent pas se laisser reléguer en seconde division : la Russie, la Chine, et tous leurs potes aimeraient eux aussi, jouer le match à leur façon, avec leurs propres règles, et remporter un peu la mise.
Rien qu'une fois.
Et pourquoi pas, après tout ? Qui sommes nous pour leur dénier ce droit que nous nous sommes arrogés depuis des siècles ? Ne devrions-nous pas leur laisser, pour une fois au moins, goûter aux joies de soulever la coupe ?
Nous sommes bien des descendants de l'Empire Romain, tiens.
Jusqu'au bout, nous préfèrerons regarder le monde brûler, et continuer d'alimenter le brasier en chantant, plutôt que de laisser la moindre miette au Nouveau Monde qui attend, impatiemment, de nous remplacer.
Nous sommes déjà morts, et nous refusons de le voir.
Un peu comme l'équipe de France hier soir.
Triste époque...