FN-RN : le dépôt de bilan se rapproche

par Jean Beaumont
vendredi 20 juillet 2018

La saisie préventive de deux millions d’aide publique par les juges enquêtant sur le RN, ex-FN, relève-t-elle, comme le proclame Marine Le Pen d’un « assassinat politique » ? C’est ce que nous allons tenter de comprendre, en notant que le grand public a découvert à cette occasion l’endettement abyssal du Parti, officiellement plus de douze millions d’euros, peut-être davantage encore. Lundi 9 juillet dernier, Marine Le Pen s'est donc élevée contre une décision qu’elle a qualifié, urbi et orbi, d’"illégale". 

Selon l’ex-avocate, cette mesure ne respecte pas la loi parce qu'elle bafoue "la présomption d'innocence", et "parce qu'elle est fondée sur un article qui permet de récolter les fruits d'un trafic de drogue" et "parce qu'elle ne respecte aucune proportionnalité, entraînant la mort du Rassemblement national fin août." Tout ceci est, bien entendu, faux. Les juges Renaud Van Ruymbeke et Claire Thépaut se sont en effet appuyés une loi de Juillet 2010, qui vise à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale. De sources concordantes, ils ont d'ailleurs clairement évoqué l'endettement du parti pour justifier leur acte, craignant que cet argent versé par le contribuable ne servent qu'à rembourser des emprunts en cours. Les deux millions d'euros sont désormais gelés et gérés par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc). En lieu et place d’assassinat politique, les faits plaident plutôt pour une incurie généralisée.

Voici pour mémoire un bref rappel chronologique des procédures… 9 mars 2015 : le parlement Européen saisit l’Office Européen de Lutte Anti-Fraude (OLAF) pour le cas litigieux de 20 assistants parlementaires FN. 2 août 2016 : à l’issue de ses investigations ayant duré plus d’un an, l’OLAF demande au Parlement européen de lancer une procédure de recouvrement de 339 946 € à l’encontre de Marine Le Pen. Des requêtes similaires sont déclenchées à l’encontre d’autres eurodéputés FN. 15 janvier 2017 : le parquet de Paris ouvre une information judiciaire pour abus de confiance et recel, escroquerie en bande organisée, faux et usage de faux et travail dissimulé. 22 février 2017 : la chef de cabinet de Marine Le Pen est mise en examen pour recel d’abus de confiance. Cette première mise en examen survenant en pleine campagne présidentielle est qualifiée par Marine Le Pen de « cabale ». Avril 2017, le parlement Européen réévalue son préjudice à près de 5 M€. 24 avril 2017 : en pleine campagne présidentielle, Marine Le Pen ne se rend pas à la convocation de la police destinée à l’interroger sur l’affaire qui a déjà conduit à deux mises en examens. 30 juin 2017 : Marine Le Pen est mise en examen pour abus de confiance et complicité d’abus de confiance, la première accusation portant sur son implication directe dans l’affaire, la seconde pour sa responsabilité en tant que présidente du FN. Juillet 2017 : les assistants parlementaires de Dominique Bilde et Louis Aliot sont mis en examen pour emplois fictifs présumés. Louis Alliot sera mis en examen par la suite, en décembre. 30 novembre 2017 : mise en examen de la personne morale Front National pour complicité d’abus de confiance et recel d’abus de confiance. 20 mars 2018 : mise en examen de l’ex-assistant de Nicolas Bay, qui sera à son tour mis en examen le 8 juin 2018. 18 avril 2018 : mise en examen du garde du corps de Marine Le Pen. Juillet 2018 : mise en examen des ex-assistants parlementaires de Marine Le Pen et Bruno Gollnish, lequel sera lui aussi mis en examen le 6 juillet 2018. 9 juillet 2018 : saisie conservatoire suspendant le versement d’un peu plus de 2 M€ d’aides publiques au Rassemblement national.

Le parti a dû gérer en outre un défi imprévu en 2017 : le financement public dont il bénéficiait jusqu’alors a contre toute attente baissé de cinq cent mille euros par an, suite à la prestation peu convaincante de sa Présidente lors du débat contre Macron (certains espéraient Jeannie Longo, ils eurent Mimi Mathy), et la baisse des suffrages aux législatives qui suivirent. Entre les cotisations, les ventes de gris-gris, et le financement public, le FN engrange environ six à huit millions par an. C’est, en quelque sorte, son chiffre d’affaires. Le magazine économique Challenge avance lui un chiffre de douze millions, qui semble très surévalué. Selon les étiages que l’on adopte, le FN/RN est quoiqu’il en soit endetté à hauteur de 100 à 200 % de son chiffre d’affaire annuel, situation intenable pour n’importe quelle entité - le maximum de l’endettement pour une PME ou un particulier est de l’ordre de 40 % : on ne peut au delà assurer ses dépenses et rembourser. 

En conséquence de ce qui vient d'être exposé, il n’y a en l’espèce aucune cabale politique ou complot, malgré les accusations solennelles portées par la Présidente du FN : le Parti est entré dans des zones de turbulences telles que les juges saisissent à titre conservatoire, c’est à dire par crainte que le contribuable lésé ne soit jamais remboursé. Les recours juridiques lancés aussitôt par MLP aboutiront-ils ? On l’ignore aujourd’hui, mais il y a d’autres nuages, et au principal le fameux emprunt russe souscrit en 2014, qui s’élève à 9 millions d’euros. La somme due devra être remboursée dans son intégralité, d’un seul coup, en septembre 2019, car il est de narure "in fine". Même s’il survivait à la présente saisie des deux millions d’argent public, cette date-butoir de septembre 2019 scellera probablement l’acte de décès comptable du parti. Et toute notion politique mise à part, aucune banque au monde n’acceptera d’avancer neuf millions d’euros pour rembourser un emprunt datant de plusieurs années, que le débiteur ne parvient pas à honorer.

 Quand Tracfin s’en mêle…

Par surcroit, il y a d’autres actions judiciaires en cours : les canaux de financement pour le moins baroques du FN sont, on le sait, dans le viseur de la justice depuis un certain temps. Le système de financement des campagnes législatives de 2012 vaudra par exemple au parti un procès pour complicité d'escroquerie à la rentrée 2018. Frédéric Chatillon, intime de Marine, a reconnu l'an passé un confortable 74 % de marge brut réalisé sur les affiches officielles et profession de foi de Marine Le Pen lors de la présidentielle de 2012. Sur les 2,4 millions d'euros remboursés par l'Etat, son agence de communication a dégagé une marge de 1,8 million d'euros ! "Il sera relevé que M. Chatillon et la société Riwal ont tiré parti de leur position privilégiée d'imprimeurs subrogés pour surfacturer l'Etat", ont notés sévèrement les juges. David Rachline et Nicolas Bay ont eux bénéficié en 2012 de providentiels CDD chez Riwal, sans pourtant disposer de bureau fixe ni d'adresse mail professionnelle... "La surfacturation permettait à M. Chatillon et à la société Riwal de cumuler des gains conséquents qui permettaient de financer le parti sous diverses formes", assènent les juges d'instruction. En outre, l’organisme de surveillance des fonds bancaire Tracfin ne porte pas un jugement positif sur la gestion du RN : les experts de Tracfin évoquent une possible entente entre le micro-parti Jeanne et la société Riwal pour surévaluer le montant des factures. Les experts de la lutte anti-blanchiment s'étonnent aussi de versements à une société baptisée HMD Finance. Cette ancienne entreprise de sécurité, reconvertie dans le « conseil » a touché la bagatelle de 480 000 euros du micro-parti Jeanne entre 2014 et 2016. Des opérations dont Tracfin se demande bien à quelles prestations elles correspondaient, quand HMD Finance ne compte aucun salarié. Plus grave : le principal associé de la structure, Olivier Duguet, un ancien trésorier de Jeanne, a effectué plusieurs virements vers des sociétés douteuses, dont une située au Bénin, zone bancaire de non-droit. Une autre, spécialisée dans le commerce de véhicules, assumait des dépenses aberrantes n'ayant rien à voir avec son activité déclaré : séjours au Futuroscope, dans le pays basque, achats de chaussures, de jouets, ou de perceuses.

Champagne et cotillons

La structure du FN / RN, de nature pyramidale, étonne : en bas, la piétaille cotise, en haut on ripaille gaiment semble-t-il (restaurants prestigieux, chauffeurs, vins fins, champagne et petits fours, etc.). En mai dernier, le coprésident néerlandais d’Europe des nations et des libertés (ENL), Marcel de Graaff, a d’ailleurs vivement critiqué les largesses de ses alliés français. Au nom du Parti pour la liberté (PVV), l’eurodéputé s’est dit « offusqué » des pratiques d’« enrichissement de la part de la délégation française ». Ne tournons pas autour du pot : les détails de l’audit des comptes du groupe paraissent accablants pour le FN/RN… Repas à 449 euros par tête au restaurant triplement étoilé l’Ambroisie, repas à 401 euros par tête chez le prestigieux Ledoyen aux Champs Elysées, dîner de Noël pour quelques happy fews triés sur le volet à 13 558 euros, Grands Crus de Champagne, etc. 

Concluons : pour la quatrième fois en deux ans – un record inégalé sous la Vème République - la Présidente d’un parti politique s’adresse à ceux d’en-bas et lance un nouvel « emprunt patriote ». Est-il destiné à maintenir un train de vie confortable à la nomenklatura sise rue des Suisses (il y aurait une cinquantaine de CDI au FN / RN) ? Nul ne le sait.

Quant à l’avenir - en cas de dépôt de bilan éventuel du parti fondé jadis par Jean-Marie Le Pen - il semble très compromis... La renaissance d’une entité sous un autre nom, avec en réalité la même activité, relève de poursuites pénales : le tour de passe-passe consistant à changer d’intitulé pour se débarrasser de ses dettes est formellement interdit par la loi, et les créanciers lésés gagnent leur procédures contentieuses à tous les coups. S’il se mettait en faillite, le RN ne pourrait continuer son action, sous un autre nom, qu’avec un bureau politique et des dirigeants totalement différents. Aucun des mis en examen actuels ne serait en mesure, par exemple, de figurer en bonne place dans le nouvel organigramme. 

Un fait qui, probablement, est déjà pesé et scruté par Marion Maréchal et son staff, Nicolas Dupont-Aignan, Laurent Wauquiez, voire les chancelants « Patriotes ».

 


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