Franchises médicales : l’abjecte hypocrisie

par Olivier Bonnet
jeudi 2 août 2007

Une franchise médicale pour financer la Sécurité sociale  ? C’était la proposition sarkoziste, dénoncée avec force par trois médecins généralistes ayant lancé un Appel contre la franchise qui a recueilli plus de 52 000 signatures - le site n’est hélas plus accessible. Le dernier sondage sur la question est sans équivoque : 60 % des Français n’en veulent pas. Alors Nicolas Sarkozy sort de sa manche Alzheimer : la franchise ne servira pas à financer la Sécu mais la lutte contre cette maladie, ainsi que celle contre le cancer et en faveur des soins palliatifs.

Le président prend en otages nos vieux malades, l’air de dire : "vous n’allez quand même pas les laisser crever !" Il instrumentalise la compassion pour justifier le désengagement de l’Etat et la mise en place d’une mesure qu’il comptait déjà instaurer en 2001 - il en parle dans son livre Libre -, Alzheimer ou pas : le procédé est abject. Seront donc prélevés 50 cents d’euros sur chaque boîte de médicament, chaque acte paramédical et 2 euros sur chaque transport sanitaire, jusqu’à 50 euros par an et par patient. On nous parlait fin mai d’un plafonnement à 40 euros par foyer : si l’on prend une famille moyenne - n’appartenant pas aux "plus modestes", qu’on nous promet d’épargner - composée d’un papa, d’une maman (pas enceinte, sinon elle en est exemptée) et de deux enfants majeurs (18 et 22 ans, par exemple), on arrive déjà à un plafonnement de 200 euros. A cela s’ajoute le forfait d’un euro sur chaque consultation ou acte médical déjà à la charge des assurés sociaux depuis 2004 (merci Douste-Blazy), jusqu’à 50 euros par an là aussi.

Ce qui nous donne, si l’on reprend l’exemple de notre famille, jusqu’à 400 euros par an ! Ajoutons le forfait de 18 euros pour les actes hospitaliers qui en coûtent plus de 91 (depuis 2004 également). Et les déremboursements de médicaments également décrétés par la droite au pouvoir depuis 2002. Autant dire que se soigner va devenir un luxe auquel renonceront de plus en plus de foyers modestes ! La somme que rapportera ces nouvelles franchises est de 850 millions d’euros, annonce la roucoulante Roselyne Bachelot-Narquin. On nous explique donc que l’Etat ne peut assumer cette charge, puisqu’il lui faut puiser dans les poches des patients. Tout est question de priorité : il n’y a pas de budget pour Alzheimer, le cancer et les soins palliatifs, mais on distribue 13 milliards d’euros aux entreprises et aux privilégiés dans le "paquet fiscal" !

Ce sont tous ces arguments que l’on retrouve dans la bouche des opposants à cette mesure, qui sont nombreux. Le syndicat FO juge ainsi "qu’elle ne visait qu’à augmenter la contribution des assurés sociaux pour suppléer le désengagement de l’Etat", Bernard Thibault les qualifiant pour sa part et le compte de la CGT de "mesure particulièrement inégalitaire", soulignant qu’avec sa mise en place, "on s’éloignerait un peu plus encore des principes de la Sécurité sociale". Quels sont ceux-ci ? Que la collectivité entière finance le système de santé, sur le principe de la solidarité entre malades et bien portants. Or, là, "c’est la poursuite d’un renversement déjà amorcé dans notre modèle de solidarité", constate le Collectif interassociatif sur la santé, qui regroupe des associations de malades : "demain, ce seront donc encore un peu plus les malades qui paieront pour les malades, car les biens portants ne consomment pas de médicaments ni de transports médicalisés ni d’actes paramédicaux". Au nom de quoi appartiendrait-il en effet aux seuls malades de financer la lutte contre Alzheimer ?

La CFDT dénonce quant à elle "des mesures injustes" qui "vont reposer sur les patients déjà largement mis à contribution", s’alarmant "des conséquences néfastes sur les malades" et d’ "un grand risque de renoncement aux soins". La CFTC s’indigne elle aussi : "le plus terrible, c’est qu’on casse complètement le principe fondateur de la Sécu, la solidarité inter-générationnelle, pour adopter une logique d’assurance individuelle", accuse son président, Jacques Voisin. Critiques également du président de la Mutualité française, Jean-Pierre Davant : "Je ne vois pas comment en mettant en place un dispositif de franchises, à partir d’une assurance maladie qui est déjà très déficitaire, on peut dégager des sommes nécessaires sur ces trois pathologies qui sont très préoccupantes". Quant aux politiques, citons Pascal Terrasse et Claude Pigement, deux responsables socialistes spécialistes des questions de santé : "Nicolas Sarkozy persiste dans l’hypocrisie, [il] utilise la compassion en direction des malades du cancer ou d’Alzheimer pour justifier une mesure impopulaire".

Mentionnons aussi la réaction du député PS de Haute-Garonne et rapporteur spécial du budget de la Santé, Gérard Bapt : "Supportées par une majorité de patients, y compris modestes, elles contrastent avec les 7 à 8 milliards de cadeaux fiscaux qui viennent d’être faits aux plus grosses fortunes".


Il a dit "hypocrisie" ?

Une devinette pour finir : qui écrivait en avril dernier que (ne cliquez pas tout de suite sur le lien, tricheur !) "pour la santé, la franchise, c’est de l’hypocrisie", en titre d’un texte expliquant que "ce n’est pas la « franchise » évoquée par le candidat de l’UMP qui permettra le retour aux principes de base de l’assurance maladie. D’une manière insidieuse, elle officialiserait le désengagement de l’assurance maladie d’une partie de la couverture en laissant à la charge des patients les premiers montants de soins, c’est-à-dire des sommes dérisoires pour les plus aisées, des montants critiques pour les plus humbles. Il faut au contraire faire recoller le taux de prise en charge par l’assurance maladie avec le tarif dû par le malade, la solidarité devant s’exercer au moment de la dépense entre malades et bien portants, au moment de la cotisation entre personnes de revenus différents" ? Martin Hirsch. Mais c’était avant qu’il n’entre au gouvernement Sarkozy.

Nous nous associons volontiers au collectif réunissant professionnels de la santé, partis politiques, syndicats et associations (médecins urgentistes de l’Amuhf, Attac, FSU, CGT affaires sociales, PS, PCF...) pour appeler à se mobiliser contre cette mesure : tous dans la rue le 29 septembre !


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