François Braun, le ministre des déserts médicaux

par Coeur de la Beauce
jeudi 6 octobre 2022

Braun. Il s'appelle François Braun. Pour ceux qui l’ignoreraient, c’est le nouveau ministre de la Santé et de la "Prévention". Un ministre qui entend faire bouger les choses : ambition que son prédécesseur Olivier Véran, devenu porte-parole du gouvernement, appréciera comme on s’en doute.

Les « choses », dans le domaine médical, c’est entre autres, le souci des nombreux déserts médicaux, fruits de l'imprévoyance de nos pouvoirs publics obsédés par la baisse des dépenses de santé, et non du bien-être, du suivi médical de nos concitoyens. Les agences régionales de santé fondées pour limiter l'accès aux soins sont passées par là. Mais rendons grâce à M.Braun de vouloir remuer le cocotier, et d'essayer de lutter contre la tiers-mondisation de notre système de santé. Il aurait été bien inspiré de commencer par réintégrer les infirmières chassées des hôpitaux pour cause de non-vaccination au covid, ou de donner aux pharmaciens la possibilité de délivrer des ordonnances. Mais pas un mot sur ces sujets, et priorité aux déserts médiacux.

À défaut d’avoir déjà les solutions à cet épineux problème, le Ministre sait au moins où les trouver, comme il l’a confié au quotidien Ouest France : « (Elles) viendront des territoires. […] Le nouveau ministre de la Santé et de la Prévention, “médecin de terrain”, est persuadé que les territoires savent ce qu’il faut faire pour résoudre leurs problèmes en matière de santé. Il propose de les écouter et de les aider à mettre leurs solutions en œuvre. Et vite. »

Comme oasis médicale, on pourrait trouver mieux et moins rhétorique. En clair : aux départements de se débrouiller avec le soutien de l'état ? « Médecin de terrain », « écouter », « aider », « vite » : qu’en termes de communication choisis ces choses sont dites pour ne contrarier personne et ne pas risquer d’être critiqué, même si des esprits chagrins peuvent aussi traduire de si belles intentions en ces termes plus exacts : « On va voir ce qu’on va voir en laissant le temps au temps tout en se dépêchant de ne pas se précipiter » …

Et donc, pour mettre en œuvre son plan audacieux, rien de mieux qu’une première réunion du Conseil national de la refondation (CNR) sur le thème de la santé le lundi 3 octobre, au Mans (Sarthe)… Passée quasi-inaperçue dans les médias.

Pourquoi le choix de cette région ? Parce que, dixit le ministre, c’est « un territoire où les problèmes d’accès à la santé sont importants, mais où l’intelligence locale collective parvient à trouver des solutions. C’est ce qui m’intéresse, c’est d’aller voir comment ils font. » Votre narrateur, qui réside dans un département limitrophe, s'étonne de l'absence de diagnostic (de la part d'un médecin en plus). La Sarthe, c'est rural, paumé, sans transports en commun, avec peu de services publics hormis au Mans : difficile d'attirer de jeunes médecins dans ces conditions. Autre argument jamais abordé, tabou, le coût de l'installation. Autrefois, un médecin s'installait à la campagne quand il achetait une maison pour une bouchée de pain ; aujourd'hui c'est 150000 euros minimum quasiment partout. Vous rétorquerez que ces gens ont les moyens. Justement, pourquoi aller dans des coins paumés quand ils peuvent emprunter sur vingt ans pour exercer à Nice ou à Biarritz ? 

On est évidemment tout aussi curieux que lui de connaître lesdites solutions, guère miraculeuses néanmoins, puisqu’en mars dernier, le même quotidien Ouest-France relayait une enquête de UFC Que choisir Sarthe nous apprenant que neuf médecins généralistes sur dix et autant de dentistes ne prenaient plus de nouveaux patients… et que 13 % de la population du département se trouvait sans médecin traitant, selon l’Association de citoyens contre les déserts médicaux (ACCDM).

N’empêche, François Braun est « très confiant », puisque « les représentants de nos “parties prenantes” nationales ont compris la démarche », qu’il y a « une vraie volonté de participer », et « des concitoyens qui veulent qu’on prenne en compte leurs problèmes  », ainsi que « des professionnels de santé, des élus, qui ont leur rôle à jouer…  »

François Braun est indiscutablement maître dans l’art de parler pour ne strictement rien dire ! Mais qu’on se rassure, si toutes les solutions n’existaient pas (encore ? déjà ? Ah bon ?) dans la Sarthe, « il y aura une partie nationale, avec interrogation des Français par voie numérique et discussion autour de questions transversales, qui va prendre un peu plus de temps »

Plus de temps est un peu contradictoire avec la volonté du Ministre d’aider les territoires « à mettre leurs solutions en œuvre. Et vite », mais bon, va pour la rapidité sans précipitation, pas trop vite le matin et doucement l’après-midi, donc ! Quel indigeste baratin...

Outre le coût du logement, les jeunes médecins (une large majorité de femmes) ne veulent plus exercer seuls, préfèrent les structures avec horaires fixes. Ils veulent aussi du temps libre. D'où leur repli dans les grandes villes universitaires et touristiques, aux emplois attrayants pour leurs conjoints, offrant des possibilités d'études longues à leurs enfants. Fini le bon vieux temps du toubib qui campait jusqu'à 22h dans son cabinet, de la tournée matinale au chevet des malades... la société a évolué, c'est ainsi. On peut déplorer les horaires de comptable de certains médecins (9h-18h45 pour celui de votre narrateur), mais il est difficile d'imposer des contraintes à une profession davantage attirée par les revenus que par l'humanisme, qui évolue vers la prestation de services plutôt que le bien-être des français.

On constate un malaise doublé d'un tabou sur ces questions. Pour preuve, une hallucinante vidéo prise à Evron (53) où des citoyens faisaient la queue sous la pluie pendant des heures pour s'inscrire à la nouvelle maison médicale : introuvable sur youtube (?)... 

Les solutions existent pourtant : fin des numerus clausus à la fac, possibilité de délivrer des ordonnances accordée aux infirmiers et aux pharmaciens dans certains cas, voire antibiotiques sans ordonnances... La téléconsultation, qui a aussi son utilité. Mais qu'il est consternant d'en arriver là, une situation impensable il y a trente ans.

A défaut de proposer des solutions au problème, Monsieur Braun nous invite à la réflexion, l'encouragement et l'innovation. La méditation ne peut pas faire de mal, mais elle ne guérit pas des pathologies lourdes. Crier des encouragements devant les services d'urgence des hôpitaux non plus. D'ailleurs comment accorder du crédit à des gens qui ont viré des milliers de soignants pour des raisons farfelues, y compris des médecins de quartier ? Des personnels à priori aussi compétents que M.Braun pour évaluer l'efficacité d'une vaccination ? Qu'on se le dise, le ministre de la santé vous soutient et vous invite à la concertation, à défaut de vous rire au nez si vous recherchez un médecin ?

Ps : un conseil si vous recherchez un praticien, évitez doctorlib. D'autres sites vous donnent l'adresse des médecins qui reçoivent encore sans rendez-vous. C'est souvent dans des dispensaires, avec de l'attente longue. Mais c'est déjà une possible solution de passage...

 


Lire l'article complet, et les commentaires