François Fillon, l’école vue du café du commerce à la sauce Margaret Thatcher

par Coeur de la Beauce
samedi 26 novembre 2016

François Fillon a été ministre de l'éducation nationale (en 2004). Peu de gens s'en souviennent, car il n'aura pas marqué cette noble institution par sa présence. Concrètement, on lui doit la mise en place du socle commun, donc le renforcement du collège unique, c'est-à-dire le contraire de ce qu'il propose aujourd'hui. Il est vrai que notre libéral de choc n'en est pas à une contradiction près en la matière...

Il suffit d'éplucher les propositions de son programme de campagne pour comprendre à quel point la droite conservatrice se sent peu concernée par les questions sociales et éducatives. Poncifs, idées reçues, rengaines, nostalgie et pointe de démagogie sont les qualificatifs adaptés à des propositions taillées sur mesure, non pour les écoliers, mais pour les vieux rentiers qui constituent le socle électoral de notre ex-ministre de l'éducation. Voyons-donc de plus prêt ces propositions offensives et "novatrices" :

- Retour de l'autorité, de l'ordre de la discipline :

Il faudrait déjà savoir de quelle autorité on parle. L'instituteur et le professeur ne sont plus les hussards d'une république qui a disparu avec les traités européens et les lois du marché. L'enfant-roi n'est pas une conséquence de mai 68 mais de la libéralisation économique de la société : le gosse est un consommateur comme un autre, qui ne doit endurer aucune frustration. Quand on le punit, il rouspète, comme le mauvais conducteur en tort qui râle après ses contraventions pourtant justifiées. Tous les droits contre aucun devoir, si ce n'est celui de consommer pour fabriquer de la croissance et enrichir des actionnaires...

Tout cela est très philosophique, mais comment imposer des règles de vie commune quand on prône des déréglementations et le retrait de l'état de la vie quotidienne ? Paradoxe...

- Scolariser les enfants dès cinq ans :

Proposition positive, mais inutile. La plupart des enfants sont scolarisés dès l'âge de trois ans. Seuls les pires cas sociaux et les gens du voyage seraient concernés, donc une petite minorité. De plus, cette proposition est contradictoire avec la volonté de réduire les effectifs d'enseignants, à moins de monter à quarante gamins par classe en maternelle. Cela se faisait en 1960, à l'époque de la maternelle-garderie, mais c'est impensable aujourd'hui avec les objectifs d'apprentissage et les comportements de plus en plus difficiles des jeunes enfants. Au passage, les écoles maternelles privées parisiennes bilingues où nos princes scolarisent leur progéniture pratiquent le 20 élèves par classe maximum (Eurécole dans le XVIIème arrondissement) : l'exemple à suivre pour le public ?

- Sélection, apprentissage à quatorze ans, uniformes :

Les vieilles rengaines des lecteurs du figaro-magazine. La sélection se fait naturellement, de par l'orientation des élèves et leurs capacités intellectuelles. Les "métiers" qui accueillaient autrefois les mômes dès quatorze ans (usines...) ont disparu, ou ont été délocalisés dans le tiers-monde. L'apprentissage ? Bonne idée, sauf que le patronat français n'a pas l'habitude de former les jeunes, contrairement à ce qui se fait en Allemagne et en Scandinavie. On ne compte pas le nombre d'élèves qui se retrouvent en lycée professionnel faute de place en CFA...

La touche d'humour dans le programme Fillon, c'est l'uniforme à l'école (abandonné dans les pays anglo-saxons). Là-encore, l'idée n'est pas inutile pour mettre chacun sur un pied d'égalité, et donner une conscience collective. Mais cela s'avèrera difficile, car d'autres uniformes issus de la civilisation libérale dominent dans les collèges : sweets à capuche, baskets Nike, casquettes et oreillettes reliées au smartphone dernier cri... Autre paradoxe : des "outils" coûteux plus présents chez les élèves modestes que chez les autres, moins conformistes. Certes, tout est question de volonté, mais on voit mal un "libéral" imposer une mesure qui irait à l'encontre du formatage au consumérisme de notre jeunesse : ce n'est pas un hasard si c'est sous Thatcher que l'Angleterre a aboli l'uniforme obligatoire à l'école.

- Des chefs d'établissement aux pouvoirs de seigneurs féodaux :

Le culte du chef revient souvent à "droite". Mais attention, il ne s'agit pas du leader exemplaire, dynamique et courageux. Ici, c'est le "manager" qui est primé : gérer son personnel, savoir étouffer les problèmes, installer servilité et soumission et réprimer. Une logique de patron de fast-food, pas celle d'un Alexandre le Grand ; pour le romantisme on repassera.

Finis les concours de recrutement, qui assuraient l'égalité entre les candidats au professorat. Place au recrutement direct : piston, fait du prince, sélection au profil, promotion des soumis plutôt que des compétents... Il est évident que cela plaira au tout-puissant syndicat des personnels de direction de l'éducation nationale (le SNPDEN, hégémonique). Pour le reste... On objectera que, contrairement à de nombreux pays, les chefs d'établissement ne sont pas élus par un conseil d'administration. Que les abus de pouvoir et l'incompétence donnent lieu à des marées de plaintes devant les tribunaux administratifs, et que ce ne sont pas toujours les enseignants d'élite qui se dirigent vers les directions d'établissement... Les "chefs" sont rarement sanctionnés et déplacés. Le principe d'égalité entre les personnels ? Aux oubliettes !

Enfin, le "chef" pourra virer les élèves trop rebelles et trop turbulents. Rien de novateur, puisque cela existe déjà avec les conseils de discipline. Concernant le recrutement des profs, les propositions de Fillon relèvent du gag : depuis trente ans, nous n'arrivons plus à recruter dans de nombreuses disciplines, peu d'étudiants se destinent à l'enseignement. Si l'académie de Créteil manque d'enseignants, ce n'est pas lié aux concours "rigides", mais parce qu'il y a peu de candidats pour enseigner à Bobigny, allez savoir pourquoi...

De plus, le recrutement direct existe déjà, avec les nombreux contractuels, majoritaires dans certains lycées.

La grande nouveauté serait d'introniser les directeurs d'école patrons de leur groupe scolaire. Pour devenir les caporaux des institutrices. Bonjour l'ambiance et les abus de pouvoir, ce dont se moquent nos libéraux de choc qui ne supportent plus les grèves et les revendications de ces milieux, qui pourtant se droitisent de plus en plus. Cette proposition est irréaliste : une école de quelques classes n'est pas une entité administrative de la taille d'un collège ou d'une préfecture. Les directeurs ne sont pas recrutés par concours, souvent ils font "office" et ils sont chargés de classe la plupart du temps ; ce n'est pas à eux de noter leurs collègues. Ils ont déjà la possibilité de rédiger des rapports et de refuser un collègue dans leur école...

- D'où la solution, faire bosser davantage ces fainéants de fonctionnaires :

Puisqu'il est difficile d'attirer des étudiants vers le professorat et qu'il faut sabrer les effectifs pour limiter les dépenses publics (et baisser les impôts directs des riches retraités du Var), la solution serait de faire travailler plus les enseignants compétents : CQFD à la sauce libérale...

Sauf que... Si les profs sont tenus à 18h de présence face aux élèves, ils doivent consacrer 18h équivalentes pour les préparations et les corrections, en principe. Il est vrai qu'un prof rôdé et solide n'a pas besoin de ce temps complémentaire. Beaucoup font déjà des heures supplémentaires. Difficile donc de monter au-delà des 39h que consacrent déjà à leurs élèves les enseignants consciencieux...

En primaire, on estime à 45h le temps hebdomadaire consacré à son métier par un professeur des écoles (24h devant élèves, 3h de concertation... plus les préparations et corrections). Impossible d'aller au-delà. On s'étonnera des propositions de notre "droite" incitant à davantage de présence des instits' pour accueillir les élèves et encadrer les devoirs : assistanat ou devoir d'accueil des usagers ? Peu d'intérêt pédagogique là-dedans...

Et puis il y a les vacances... Ce fameux "privilège" dont bénéficient les profs, dont le traitement n'est calculé que sur dix mois d'exercice. On remarquera la volonté de reporter les épreuves du BAC au mois de juillet, ce qui n'est pas une nouveauté. Il faut ici rappeler que ce sont les délais d'inscription dans le supérieur qui expliquent la précocité des examens en juin...

En conclusion, il y a rien de bien novateur dans le programme de notre Donald Fillon. Poujadisme anti-prof, élèves considérés comme du bétail à sélectionner, culte du chef d'établissement et des principes d'avant-guerre. L'âge moyen, avancé, de l'électeur conservateur explique sans doute cela. Ces propositions ne feront que jeter de l'huile sur le feu et engendrer tensions, dysfonctionnements et problèmes. On ne gère pas une administration à vocation humaniste comme une compagnie d'assurances, à chacun son métier et ses spécificités. Stress, violence, incivilités sont le quotidien de trop d'établissements scolaires, où la convivialité et le climat de confiance doivent promouvoir sur la culture du résultat et surtout celle de la rentabilité. Un élève n'est pas un produit consommable.

Que nos princes appliquent donc leurs réformes à leurs enfants, scolarisés dans des écoles privées à effectifs limités, sans élèves difficiles ni cas sociaux. Après, ils pourront proposer leurs réformes. Concernant la transmission du patriotisme et des valeurs civiques à nos cadets, ainsi que celle de notre histoire et de nos traditions, il ne faut pas compter sur les libéraux-conservateurs prônant le libre-échange, les déréglementations et l'ouverture des frontières : c'est comme si un pyromane louait le courage des pompiers ! Maintenant, on ne peut que regretter l'école radicale-républicaine de l'époque où gaullistes et communistes se disputaient le pouvoir, en mettant toutefois l'éducation des enfants au centre de leurs préoccupations. C'était l'époque où l'instituteur et le curé se concurrençaient en la matière, où l'économie et la rentabilité n'étaient pas autant à l'ordre du jour. On devient très nostalgique à la lecture du programme de Fillon, mais pas pour les mêmes raisons que ses partisans...

 


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