Frexit ou pas : le hors-sujet des européennes ?

par Pierre-Yves Martin
jeudi 11 avril 2019

 

Un récent sondage (1) a confirmé ce dont on pouvait se douter : les Français n'ont plus confiance en l'Union Européenne. Une majorité est passivement résignée et une importante minorité hostile.

Mais seulement 19 % indiquent que des raisons relatives à l'U.E. seront parmi les deux premiers facteurs de leur choix aux élections européennes. C'est peu et cela explique en partie l'absence de débat, ou en tout cas son manque de profondeur, sur le maintien ou non de la France dans l'U.E.

Dans le contexte du faux Brexit, on aurait pourtant pu s'attendre à des débats animés sur un possible Frexit.

 

Des « programmes » surréalistes

 

LFI a eu pendant un certain temps un discours selon lequel ils auraient vis-à-vis de l'U.E. un plan A, la renégociation des traités, et un plan B, qui allait de la désobéissance à la sortie de l'U.E. Puis le plan B a été plus ou moins enterré. Leur « programme » pour les européennes (2) comporte des critiques, globalement justifiées, puis un grand nombre d'annonces de changements et de mesures. Le « comment » tient en moins d'une demie page sur une trentaine et la plan B y est ramené à « construire de nouvelles coopérations européennes libérées des traités austéritaires avec l’ensemble des pays qui partageront ce projet. ». C'est l'art de prendre ses désirs pour des réalités, ou plutôt de faire semblant. Pas étonnant, dans ces conditions, que LFI se morfonde devant des sondages qui lui promettent une déculottée.

 

Le PCF écrit « Nous voulons que notre pays puisse négocier librement les contours de sa participation à l’UE. » (3) sans préciser le moins du monde comment, mais en excluant le Frexit. Le récent article de Dominique Claire sur Agoravox (4) peut aussi être vu comme résumant la position du PCF. L'approche du PCF ne tient aucun compte des réalités, mais leurs vrais objectifs sont probablement ailleurs : démontrer qu'ils ont encore une capacité de nuisance électorale vis-à-vis de LFI et atteindre le seuil de 3 % qui permet le remboursement des frais de campagne.

 

DLR annonce aussi un grand nombre de changements fondamentaux. Le « comment » ne va guère au-delà de : « ...renégocier avec nos partenaires sur la base du traité alternatif (en faveur d’une Europe des nations et des coopérations). Si les négociations aboutissent, ce dont nous ne doutons pas, nous soumettrons le traité à referendum ; si les négociations échouent, la France quittera cette Union européenne fantôme. ». Ils pourraient bien payer dans les urnes ce manque de réalisme et ce flou.

 

Sans que cela fasse de vous un fan de l'UPR, on peut reconnaître que Monsieur F. Asselineau est le seul parmi les candidats à disposer d'une préparation sérieuse sur ces questions (5). Il n'est pas impossible que cela permette à sa liste d'échapper cette fois-ci à la malédiction qui a maintenu jusqu'ici l'UPR aux alentours de 1 % lors de toutes les élections.

 

Traités de l'U.E. et Constitution française

 

Les échanges de messages qui ont suivi un récent article sur Agoravox (4) illustrent un vrai déficit de connaissances sur les aspects constitutionnels, y compris de la part de ceux qui expriment les opinions les plus définitives. Quelques rappels semblent donc utiles.

Extraits de l'article 50 du traité sur l'Union européenne (6)

( ce traité est un des deux qui résultent du traité dit « de Lisbonne » )

1. Tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l'Union.

2. L'État membre qui décide de se retirer notifie son intention au Conseil européen. (...), l'Union négocie et conclut avec cet État un accord fixant les modalités de son retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l'Union. (...)

3. Les traités cessent d'être applicables à l'État concerné à partir de la date d'entrée en vigueur de l'accord de retrait ou, à défaut, deux ans après la notification visée au paragraphe 2, sauf si le Conseil européen, en accord avec l'État membre concerné, décide à l'unanimité de proroger ce délai. (...)

La Constitution (7)

Article 55

Cette disposition existe depuis le début dans la constitution de 1958.

L'article stipule que « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois ... »

Une loi contraire aux traités de l'U.E. sera donc probablement déclarée inconstitutionnelle par le conseil constitutionnel tant que la France fera partie de l'U.E., ceci même dans la période, en gros de 2 ans, qui suivrait la notification prévue à 'article 50 du traité sur l'Union européenne. Pour pouvoir désobéir pendant cette période à quelque disposition des traités de l'U.E. que ce soit, il faudrait que cet article de la constitution aie été supprimé ou modifié.

Articles 88

Un Titre XV DE l’UNION EUROPENNE (Art. 88-1 à 88-7) a été ajouté en 2009 à la constitution française, pour rendre possible la ratification du traité de Lisbonne.

« La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne... ».

Cette formulation est impérative. Il n'y a par ailleurs rien concernant un retrait éventuel.

Étant donné que l'article 50 du traité sur l'Union européenne impose que sa mise en œuvre par un état membre soit faite « conformément à ses règles constitutionnelles », on voit mal comment la République française pourrait faire la notification qui y est prévue sans modifier préalablement sa constitution.

Conseil constitutionnel

Le CC a les apparences d'une juridiction et « ses décisions ne sont susceptibles d'aucun recours » (Art. 62). Il n'empêche que c'est en réalité un organisme politique, notamment par les modalités de désignation de ses membres.

Sa composition influe sur ses décisions, par exemple sur l'application des « principes à valeur constitutionnelle ». Or les membres du CC ont été en grande majorité des défenseurs de l'U.E. Ils ne laisseront rien passer dans l'hypothèse que nous envisageons ici.

Révision de la constitution

Une révision constitutionnelle est donc nécessaire avant même de faire la notification à l'U.E.

Normalement, cela devrait se faire par la procédure de l'article 86 alinéa 2, c'est-à-dire avec un referendum. Mais, compte tenu d'un blocage probable par le Sénat, on pourrait envisager de recourir à l'article 11, voire de faire deux referendum successifs, l'un institutionnel par l'article 11 puis l'autre plus général par l'article 86 alinéa 2. Ce serait un coup de force, mais déjà pratiqué à deux reprises par le général de Gaulle et possible politiquement en raison du caractère non représentatif du Sénat et de l'illégitimité démocratique d'un tel blocage.

Cette révision devrait rendre possibles des mesures d’urgence pour éviter des fuites de capitaux et nous permettre de nous défendre contre une possible guerre économique, car, dans beaucoup de cas, les mesures indispensables seraient en contradiction avec la constitution actuelle. Il faudrait aussi encadrer davantage les pouvoirs du CC et laisser au peuple le dernier mot en cas de conflit majeur entre l'exécutif et l'Assemblée nationale d'une part, le CC (et éventuellement le Sénat) de l'autre.

Comme on ne peut pas faire une suite de modifications de la constitution, on pourrait y ajouter d'autres aspects importants, par exemple le referendum d’initiative citoyenne, la refonte des règles concernant les grandes révisions constitutionnelles, des limites aux droits des grands intérêts financiers, etc.

C'est probablement d'une révision complète qu'il s'agirait, et en peu de temps.

 

En pratique

 

Le Frexit ne pourra s'envisager que si les trois conditions suivantes sont remplies :

Aucune de ces conditions ne semble actuellement susceptible d'être remplie. Mais les circonstances peuvent changer. Malheureusement, pour qu'un tel bouleversement intervienne il faudra probablement que des événements et/ou des situations graves se soient produits.

Il est cependant souhaitable de s'y être préparés.

Avant le referendum

Un ou deux referendum sont donc politiquement et juridiquement indispensables pour déclencher le Frexit.

Dès l’annonce d’un possible Frexit, il y aura des fuites de capitaux, dus notamment à de très riches résidents en France. Le seul moyen de l'empêcher, c'est de leur faire peur dès qu'une majorité en ce sens se sera dégagée en annonçant des sanctions qui s'appliqueront à ces agissements ; celles-ci frapperont principalement au porte-monnaie (amendes, confiscations, etc.) et seront rétroactives.

Cependant, jusqu’au résultat du referendum, il n’y aura pas trop de danger de guerre économique car les grands intérêts financiers feront tout pour que le Frexit ne soit pas voté et ils éviteront ce qui est susceptible de braquer les électeurs.

Après le referendum

Dès le résultat connu il y aura de sérieux risques de mouvements spéculatifs. Il faudra probablement instaurer un contrôle des changes, rigoureux dans un premier temps puis assez vite assoupli.

On peut aussi s'attendre à des attaques tant économiques que politiques, en partie ouvertes et en partie sournoises, de la part de la haute finance internationale et de ceux qui la servent (USA, certaines ONG, etc.). Il faudra non seulement être prêts à réagir mais même prendre les devants dans certains cas.

Rapidement, il faudra changer le statut de l'institut d'émission français pour qu'il revienne sous la tutelle de l’État et recréer un Franc en parallèle à l'Euro. Cela devrait s'accompagner d'une grande réforme bancaire.

Les dettes légalement internes en euros seront dans le plupart des cas transformées en dettes en francs, au taux de un pour un. La question des autres dettes est très complexe et ne peut être abordée en quelques phrases.

Tout ce qui précède est en totale contradiction avec les traités de l'U.E.

Les relations avec l'U.E.

Les expériences de la Grèce et du Brexit démontent qu'il ne peut jamais y avoir de négociation de bonne foi avec l'U.E.

Celle-ci est d'un juridisme total quand il s'agit des états membres ou de leurs peuples mais n'hésite pas à transgresser les traités quand ceux-ci la gênent. Dans le cas du Brexit, par exemple, elle a exigé de la Grande-Bretagne une capitulation sur trois points essentiels, comme condition préalable pour commencer la négociation dont l'article 50 lui faisait pourtant obligation.

Ceci ne signifie pas qu il ne faudra pas tenter une négociation préalable, comme LFI ou DLR le prévoient, mais qu'on peut seulement le faire à partir d'un vrai rapport de force. Celui-ci ne peut exister que si l'adversaire sait que la France est prête à aller jusqu'au bout et qu'elle est sans illusions Dans le cas contraire, on répéterait les erreurs de Messieurs Tsipras et Varoufakis et de Madame May ( en admettant que cette dernière n'aie pas été connivente ).

Comme la France aura commencé immédiatement à désobéir aux traités, il faut s'attendre à diverses « sanctions » :

 

Réfléchir ensemble

 

On aimerait pouvoir conclure que la sortie de la France de l'U.E. est imminente et le chemin pavé de roses. C'est un peu ce que l'UPR laisse entendre. Ce n'est pas le cas et le faukonyaka ne mène probablement à rien, ou peut-être même au désastre.

Il ne faut pas pour autant tomber dans l'excès inverse et évacuer purement et simplement la question, comme le font actuellement presque tous les politiques, et aussi la grande majorité des Français.

Il existe des réflexions, parfois assez approfondies, sur la possibilité de sortir de l'U.E ; elles ont émané par exemple de F. Asselineau, A. Bernier, J. Nikonoff, J. Sapir...

Il y a aussi, notamment sur Agoravox, des zélateurs qui insultent l'intelligence, le sérieux, voire la santé mentale de ceux qui se démarquent de leur dogmatisme. Ceux-là rendent antipathique leur étiquette, nuisent aux idées qu'ils croient défendre et parviennent surtout à étouffer toute discussion sereine.

Ce n'est pas demain que la sortie ou non de la France de l'U.E. sera un débat de masse, mais cela pourrait être déjà un débat ouvert. Pour commencer il faudrait que soient assimilés un minimum d'éléments de base. C'est à cela que le présent article tente de contribuer.

 

  1. https://www.francetvinfo.fr/elections/sondages/sondage-l-europe-ne-fait-plus-rever-les-francais-seuls-29-y-voient-une-source-d-espoir_3265559.html

  2. https://lafranceinsoumise.fr/actualites/elections-europeennes/lavenir-en-commun-en-europe-aussi/

  3. http://www.pcf.fr/aloffensivepourchangerleurope

  4. https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/traites-europeens-frexit-les-213816#forum5463149

  5. https://www.upr.fr/conferences/le-jour-dapres-la-sortie-de-lunion-europeenne-fin-du-monde-ou-liberation/ ( Cette adresse a été indiquée par « Legestr Gaz » en commentaire de (4) )

  6. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=uriserv:OJ.C_.2016.202.01.0001.01.FRA&toc=OJ:C:2016:202:TOC#C_2016202FR.01001301

  7. https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/texte-integral-de-la-constitution-du-4-octobre-1958-en-vigueur

 


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