Fukushima, c’est (aussi) à cause de Walt Disney...

par morice
lundi 12 mars 2012

Fukushima, un an déjà. Pour célébrer cette catastrophe à ma manière, et pour ne pas oublier, j'ai résolu de vous trouver quelque chose de spécial. Et cette chose, c'est une relation inattendue, entre l'atome japonais et... Walt Disney. Et cette surprenante découverte, je l'ai trouvée par hasard, en cherchant des éléments sur la vie de Howard Hughes. Et comme c'est aussi une bien surprenante histoire, je vais m'empresser de vous la raconter, bien sûr. Si le Japon est dans la panade nucléaire, c'est bien entendu en raison du terrible tsunami qui l'a frappé. Mais s'il est devenu un pays où le nucléaire civil a pris une telle importance, c'est grâce à ce bon tonton Walt, dont la fine moustache et l'allure bien débonnaire cachaient bien des choses qui, aujourd'hui encore, surprennent. En route, donc, vers Fukushima sur cellophane... façon Fantasia !!! Le Japon, qui en est réduit aujourd'hui à faire comme Mickey avec ses seaux : à l'image de l'apprenti sorcier nucléaire qu'il est devenu, bien aidé par l'homme de Blanche Neige et de Bambi. Sidérant !

Ma découverte remonte à mon étude sur Howard Hughes, qui s'est retrouvé un jour associé à Walt Disney sur un projet particulier, celui de la création d'une fusée géante au sein d'un de ses parcs à thème, projet qu'à financé Hughes,qui était toujours à l'affut d'un coup médiatique. À l'époque, Hughes ne participait pas encore à la recherche spatiale ni n'avait créé de satellites, il n'avait flairé dans la nouvelle animation du parc Disney, appellée "Tomorrowland" ("le monde de demain") qu'un simple coup financier, les dividendes du nombre de visiteurs étant partagés avec Walt.  Dans l'excellent livre sur Disney signé Marc Eliot, j'ai pu ainsi découvrir que ce qui unissait les deux larrons étaient leur anticommunisme viscéral, Disney ayant eu fort à faire avec une série de grêves inédite dans le milieu du cinéma, avec manifestations de ses dessinateurs en pleine rues d'Hollywood. Mais ils ne partageaient pas qu'une haine immodérée du communisme. Ils étaient devenus tous deux deux membres de la CIA, ce que j'ignorais totalement, à vraid dire, pour Walt Disney. Sous l'homme au côté jovial se cachait en fait un redoutable patron d'industrie, qui faisait espionner ses collaborateurs et dirigeait d'une main de fer son empire industriel. Or, justement, c'est cette appartenance démontrée et corroboréepar de nombreux témoignages qui l'ont l'amené à participer à une drôle d'aventure  . Celle qui va le mener au Japon, où il va jouer aux ambassadeurs itinérants chargés de défendre une cause bien particulière.

La guerre vient de se terminer, et parmi les scènes les plus étonnantes, on a pu voir des militaires US s'empresser de démanteler des appareils de recherche nucléaire japonaise, dont ceux du centre de Riken, et notamment le cyclotron de Yoshio Nishina-en photo ici en 1943- démantibulés et jetés en plaine baie de Tokyo (je reviendrai en mai prochain sur ces recherches, ainsi que celles des allemands dans le domaine, que l'on semble avoir un peu trop minimisées).  Au Japon, donc, en 1945, l'heure est à l'après guerre, et au relèvement industriel du pays, florissant avant le conflit. Et, surprise, malgré Hiroshima et Nagasaki, deux événements traumatisants, c'est le même pays qui va se lancer très vite dans l'utilisation de l'atome civil, tout en s'interdisant en même temps tout usage de l'atome militaire "La transformation du Japon en l'un des plus grand utilisateurs mondiaux de l'énergie nucléaire date des derniers jours de la guerre. Yasuhiro Nakasone, qui deviendra plus tard Premier ministre et un ardent défenseur de l'énergie atomique, avait servi comme officier de marine au Japon quand Hiroshima a été bombardée. Après la guerre, il a commencé le travail de persuasion auprès des Etats-Unis pour qu'ils vendent leur technologie nucléaire au Japon ...  L'intérêt du Japon a coïncidé avec la préoccupation des États-Unis sur ce qu'il fallait faire de ses propres excédents de plutonium de qualité militaire, et la peur créée par l'Union soviétique, écrit Laura E. Hein dans "Fueling Growth : The Energy Revolution and Economic Policy in Postwar Japan" - "Alimenter la croissance - La révolution de l'énergie et de la politique économique d'après-guerre au Japon". La solution du président américain Dwight Eisenhower s'appelait « Atomes pour la Paix", un programme pour utiliser du plutonium américain comme combustible nucléaire pour ses alliés. Le plan avait l'avantage de rendre les alliés dépendants de la technologie de l'entreprise géante General Electric Co. et Westinghouse, selon Michael Donnelly, professeur de sciences politiques à l'Université de Toronto, qui étudie le programme nucléaire du Japon. « Je ne peux pas croire que toute décision de ce genre n'aurait pas pris en considération comme quoi les programmes d'énergie nucléaire profiteraient aux fabricants américains," a déclaré Donnelly dans une interview téléphonique. Les américains, après avoir proposé la politique de l'anéantissement du pays selon ses généraux psychotiques, dont le sinistre Curtis LeMay, responsable de l'innommable bombardement de Tokyo au phosphore et au napalm, proposaient alors de relever le pays au plus vite, grâce à la "merveille des merveilles" vantée dans tous leurs magazines que constituait l'atome civil, qui était censé apporter la prospérité à tous à ce moment-là. Tout le monde en était aussi convaincu : cet atome-là était sans danger aucun. Au point parfois de devenir aux USA un jeu pour enfant, dans une valise de petit chimiste de 1951 vendue 50 dollars et signée Gilbert, contenant 4 échantillons d'uranium radioacif, un compteur Geiger et un électroscope... 

Pour persudader les japonais, les américains, autrement dit la CIA et son service de communication, vont enrôler les médias du pays. "Néanmoins, les responsables à la fois aux États-Unis et au Japon ont dû travailler à persuader le public que la technologie nucléaire pourrait avoir un usage civil. Les partisans du nucléaire au Japon ont été aidés par l'Agence centrale de renseignement américaine, dit Tetsuo Arima, un professeur d'études des médias à Tokyo Waseda University, qui a étudié les documents déclassifiés sur les relations d'après-guerre entre les deux pays dans les archives des National and Records Administration pour mettre en place le lien.  Parmi les alliés japonais de la CIA dans l'effort de propagande il y avait Matsutaro Shoriki, propriétaire au Japon du journal Yomiuri Shinbum et de la Nippon Television, la première station de télévision commerciale. Le journal - maintenant le plus grand du monde avec 10 millions d'exemplaires publiés chaque jour - a écrit une série d'articles pro-nucléaires à partir de janvier 1954, des articles perçus par le gouvernement américain comme un succès, selon le livre "L'énergie nucléaire, Shoriki et de la CIA », écrit par Arima et publié en 2008". Parmi les recrues inattendues de la CIA, figuraient les studios du créateur de la petite souris malicieuse. "The Walt Disney Co, a également été enrôlé dans l'effort. Le téléfilm, dessin animé et livre de 1957 "Notre ami, l'atome," publié dans le cadre du projet de l'entreprise Tomorrowland  et illustrant les effets positifs de la maîtrise de l'énergie atomique du monde, a été diffusé sur le canal de télévision Shoriki, écrit Arima. En 1955, l'accord américano-japonais sur l'énergie atomique a donné au Japon le droit d'acheter du combustible nucléaire et de la technologie des États-Unis. Matsutaro Shoriki, le même qui avait profité des conséquences du terrible tremblement de terre de Tokyo de 1923 pour renvoyer de la région des Coréens venus s'installer sur place, dans un des pires nettoyages ethniques ayant existé sur terre. Fort tardivement, en 2006 seulement, on révélera qu'il était en réalité agent appointé de la CIA sous les noms de code de "Podam" ou de "Pojacpot-1". En janvier 1956, Shoriki deviendra le président de la "Japan Atomic Energy Commission" (AEC), et en mai de la même année on le retrouvera à la tête de la toute nouvelle "Science and Technology Agency" soutenue par Ichiro Hatoyama (premier ministre du Japon du 10 décembre 1945 au 19 mars 1955) ... et la CIA. Bref, avec de tels appuis, les japonais ne pouvaient se retrouver qu'avec des centrales nucléaires... américaines.

Le film de Disney "Our Friend The Atom" était en réalité produit par l'US Navy et General Dynamics, alors le constructeur du premier sous-marin nucléaire au monde, le Nautilus (sur lequel je reviendrai aussi bientôt, tant sa construction chaotique demeure intriguante à bien des égards). Un sous-marin présenté au début du film de propagande pro-nucléaire, comme étant le descendant direct de celui du commandant Nemo ! Pour convaincre les japonais et le monde entier de souscrire à la technique américaine de l'usage de l'atome, Walt Disney fera fort, en effet, arguant par exemple que Jules Verne avait prédit son usage, ce qui est évidemment complètement erroné : "Notre ami L'Atome (du 23 Janvier 1957), et « L'Atome pour la Paix" la bande dessinée dont parlait Washburn, a été produite par Disney en collaboration avec la Marine des États-Unis et General Dynamics, les constructeurs de sous-marin nucléaire USS Nautilus. En tant qu'épisode de "Tomorrowland" l'émission de télévision Disneyland, "Notre ami l'atome" raconte l'histoire de l'énergie atomique, en commençant par un clip du film 20 000 lieux sous les mers, qui maintient à tort que l'auteur Jules Verne prédit l'utilisation de l'énergie atomique. Le film progresse ensuite vers un conte de fées animé d'un pêcheur qui trouve une bouteille de bronze dans son filet. A l'ouverture du flacon, le pêcheur est confronté à un génie, qui explique que, après des siècles d'isolement, il avait résolu de tuer quiconque ouvrirait la bouteille. Le pêcheur feint la surprise de découvrir qu'un être si grand puisse s'intégrer dans la bouteille. Le génie retourne alors dedans, afin de prouver que cela peut être fait, et le pêcheur rusé referme alors le bouchon de la bouteille. Après, le génie promet de s'accorder avec le pêcheur et de réaliser ses désirs, si la bouteille est à nouveau débouchée. Le narrateur disant alors, « L'histoire de l'atome est comme cette fable, et elle se réalise grâce à la science. Pendant des siècles nous avons lancé nos filets dans la mer de la grande inconnue à la recherche de la connaissance. Enfin, nous avons trouvé un élément important, et, comme dans la fable, il contient le génie."  Cet élément étant le bloc d'uranium que tient alors dans la main le présentateur. Une fable conçue dans le seul but de rassurer : le mauvais génie devient bon et se transforme en l'ami de l'homme, et l'aide à vivre mieux. La légende de la lampe d'Aladdin, devenue support de propagande d'une politique énergétique reposant sur le nucléaire : ce bon oncle Walt n'y allait pas par quatre chemins, en effet !

L'image est idyllique, c'est celle des magazines US des années 50 où l'atome va tout gérer et apporter l'indépendance énergétique à tous, bien entendu. "Avec une combinaison de films montrant la réalité et d'animation, "Notre ami l"Atome" part de ce postulat de conte de fées pour arriver à une histoire internationale de l'énergie atomique, qui culmine dans le contrôle américain de la technologie. Pour apaiser l'appréhension du public, l'énergie atomique est expliquée en termes d'articles ménagers courants. Un réacteur nucléaire, dit-on au spectateur, c'est comme un grand four. Une réaction en chaîne atomique est assimilée à ce qui arrive quand un lot de balles de ping-pong est lancée par une masse de souricières. Le narrateur explique qu'une explosion atomique pourrait être comme le génie en colère, mais que le réacteur nucléaire a aussi le pouvoir magique de transformer des matériaux ordinaires en outils radioactifs utilisables dans la science et la médecine, « C'est là notre chance de faire du génie atomique notre ami." dit le narrateur. Le film se termine avec la prédiction que des réacteurs nucléaires "propres" remplaceront un jour le charbon "sale" et les centrales au fioul.  Les radiations seront utilisées pour produire de meilleures récoltes et ldu bétail. Les gens vont se déplacer en un éclair d'un endroit à un autre dans les voitures, les trains, les bateaux et les avions atomiques". "L'atome va devenir vraiment notre ami" conclut la démonstration. Une vision idyllique dont une partie a été mise en place sans qu'on ne demande l'avis des gens, et dont aujourd'hui encore nous n'avons pas toutes les explications, notamment en France, sur les centres d'irradiation de produits agricoles... (l'opération est appelée aujourd'hui pudiquement "ionisation !"). Des procédés opaques, qui continuent, aujourd'hui encore, avec un manque de publicité pas très étonnant.

Atome civil et atome militaire demeurant étroitement liés, on ne peut le nier, et déjà à l'époque d'Eisenhower c'était aussi le cas. A l'occasion aussi, Eisenhower parlera en effet aussi plutôt cavalièrement de l'utilisation des armes nucléaires. En 1955, il dira ainsi à un journaliste à propos des bombes nucléaires : "oui, bien sûr qu'elles seront utilisées dans un combat où ces engins peuvent être utilisés sur des cibles strictement militaires et à des fins strictement militaires, je ne vois pas pourquoi elles ne devraient pas être utilisées exactement comme une balle ou une arme classique." Quand Eisenhower a annoncé à l'émissaire de Winston Churchill Colville Jock qu '« il ne faisait aucune distinction entre les armes conventionnelles et les armes atomiques, car toutes les armes, dans en temps donné deviennent classiques," Colville a raconté, horrifié, « Je n'en croyais pas mes oreilles." Eisenhower a alors commencé à transférer le contrôle de l'arsenal atomique de l'Atomic Energy Commission (AEC) à l'armée. Les Européens étaient terrifiés que les États-Unis puissent déclencher une guerre nucléaire, avec Eisenhower qui menaçait de le faire sur la Corée, sur le canal de Suez, et deux fois sur les îles du détroit de Taiwan, sur Quemoy et Matsu (au Nord-Ouest de Taïwan). Les alliés européens ont supplié Eisenhower de faire preuve de retenue. La révulsion publique à la normalisation de la guerre nucléaire menaçait de faire dérailler les plans de l'administration Eisenhower." En Europe, on avait peur de l'usage de la bombe nucléaire, comme aux Etats-Unis, qui craignaient depuis 1949 la bombe russe, aussi l'usage civil de l'atome passait difficilement au sein des populations. 
 
 
L'atome civil, thème du moment, devenu la grande panacée des années 50-60. C'est à ce moment là qu'est apparu le projet du doublement du canal de Panama au travers de l'Amérique Centrale, une idée soutenue par Edward Teller, le père de la bombe H, par exemple, ou celle du creusement de ports par une ou deux explosions nucléaires. Le site Wired en dénombrera sept, d'usages de bombes à des fins civiles. L'atome militaire, utilisé à des fins civiles ! C'est ainsi encore qu'est apparu le projet Gasbuggy dont je vous ai raconté les incroyables déboires (et les retombées, au sens propre !). L'usage de l'atome civil, et surtout de bombes nucléaires pour un usage civil, est donc clairement aussi une volonté politique de l'époque de banaliser ces fameuses armes. Et ce, en accord avec les dirigeants de la CIA, alors prêts à tout pour contrecarrer l'infuence communiste dans le monde. "Le procès-verbal d'une réunion Mars 1953 du Conseil de sécurité nationale (NSC) notait : « le président et le secrétaire [John Foster] Dulles (ici à gauche en photo) sont en accord complet d'une façon ou l'autre comme quoi le tabou [sic] qui entoure l'utilisation des armes atomiques devait être brisé. Alors que le secrétaire d'État Dulles admettait que dans l'état actuel de l'opinion mondiale nous ne pouvions pas utiliser une bombe atomique, nous devrions faire tous les efforts maintenant pour dissiper ce sentiment (...) Eisenhower a décidé que la meilleure façon de détruire ce tabou était de mettre l'accent sur l'usage militaire de l'énergie nucléaire pour des applications socialement bénéfiques. Stefan Possony, consultant du Département de la Défense consultant auprès de la Psychological Strategy Board concluait : "la bombe atomique sera acceptée beaucoup plus facilement si, au même moment l'énergie atomique est utilisée à des fins constructives ». Creusons des trous, remuons des montagnes, détournons les fleuves : voyez-bien que la bombe atomique peut servir à quelque chose ! Voilà ce que nous dirons les magazines américains pendant des années !
 
Résultat, au Japon, ravagé par l'atome militaire, ce sera plus difficile encore : il faudra décupler ce pouvoir de conviction, et notre oncle Walt participera donc activement à l'entreprise de séduction destinée à faire accepter au pays qui avait reçu deux bombes atomiques sur la tête de se tourner quand même vers l'énergie nucléaire, en tentant d'influencer sa population par son documentaire sur l'atome civil, qui démarrait étrangement par le premier sous-marin nucléaire (militaire) jamais construit ! Le lancement du cargo Savannah, survenu le 21 juillet 1959, et lui aussi faisant partie du programme "Atoms for peace" d'Eisenhower, décidé en 1955, aura une infliuence bien supérieure aux capacités réelles du navire (*). Pour enfoncer le clou, le documentaire de Disney en forme de plaidoirie pour l'usage du nucléaire civil passera donc à plusieurs reprises sur les écrans des chaînes de Matsutaro Shoriki (en photo ici avec le Dalaï Lama), Les Etats-Unis, en ce sens, ne rayonneront, pas qu'au Japon, si je puis dire. Dès 1950, ils bâtiront aussi par exemple la centrale de Nahal Soreq, un centre de recherche atomique situé près de Palmachim et de Yavne en Israël. Les israéliens se tounant plus tard vers les français, pour fabriquer Dimona, on a tendance à l'oublier. De même que les USA seront à l'origine du réacteur de recherche de Kinsasha, en République Démocratique du Congo ; un petit réacteur de type "Training, Research, Isotopes, General Atomics", ou TRIGA dont j'aurai bientôt à reparler également, tant son type est particulier. Des réacteurs de ce genre, les Etats-Unis en construiront même 66 dans le monde entier ! Si bien qu'après dix années d'effort, le Japon signera en 1955 le contrat qui permet l'import d'uranium enrichi américain (de l'uranium 235), pour ses centres de recherche, et pour alimenter la première centrale nucléaire japonaise, alors encore à bâtir. Une centrale construite à partir de 1961 par la Japan Atomic Power Company, sur des plans anglais de type Magnox, et non américains. Il faudra encore attendre 10 ans encore pour la voir diverger, le 10 novembre 1965. Le Japon voulait se relever rapidement et se souvenait d'un autre traumatisme : celui de l'embargo US sur le pétrole, déclaré en 1941 par les Etats-Unis : la pénurie d'énergie était une hantise.
 
D'aucuns pensent en effet que c'est cette sanction qui a joué un rôle important dans la décision des japonais d'attaquer Pearl Harbor, une armée japonaise étouffée par le spectre du manque de carburant. Au sortir de la guerre, dépendants énergétiquement (à part l'usage des centrales hydeoélectriques situées au Nord du pays), les japonais se sont tournés sur une énergie promise comme moins contraignante (ce qui est faux, on le sait aujourd'hui !) pour alimenter leur croissance industrielle phénomènale. Alors que la première centrale nucléaire n'a pas encore posé sa première brique, en 1958 déjà, la préfecture de Fukushima recherchait au même moment un site favorable à la construction d'une future centrale nucléaire, bientôt suivie par les agglomérations d'Okuma et de Futaba. A la tête du groupe industriel de la Tokyo Electric Power Co (TEPCO), responsable du secteur, il y avait un homme, persuadé de sa mission, celle d'aimenter en énergie les firmes en pleine expansion telles que la Toyota Motor Corp., ou la Sony Corp." Kazutaka Kikawada (ici à droite en photo) était un chef d'entreprise unique, combinant le capitalisme avec une conscience sociale », se souvient Teruaki Masumoto, un ancien vice-président de Tepco,qui a rejoint la société en 1962 et a servi sous Kikawada." Le Japon n'avait pas de ressources énergétiques en propre et il a vu le rôle de Tepco comme étant celui de permettre le développement économique." A Fukushima, c'est alors la Tohoku Electric Power Company, partenaire, déjà, de TEPCO, qui se chargeait de fournir le courant, grâce à ses centrales thermiques classiques. 
 
En cela, Kazutaka Kikawada poursuivait ce qu'avait fait Yasuzaemon Matsunaga, entrepreneur japonais fondateur avant guerre de la Japan Electric Association, un féroce partisan du privé, dirigeant de la Tokyo Electric Lighting Company, opposé aux militaires en 1938, ceux qui avaient nationalisé la fourniture d'électricité dans le pays. Il obtiendra gain de cause en 1950, via la Public Utilities Commission, avec la division du pays en 9 régions, chacune possédant sa propre entreprise de fourniture de courant, des entreprises qui commenceront à être efficaces à partir de mai 1951 ; les américains (et les alliés) quittant le pays en avril 1952. A l'époque, 88% de l'électricité du Japon provenait encore des centrales hydroélectriques, qui seront toutes reconstruites et modernisées. Kazutaka Kikawada, était un farouche partisan du lbéralisme économique, au point que son groupe de réflexion, Comité pour le Développement Economique, ou Doyukaï en japonais deviendra le nom d'une doctrine, le doyukanisme, qui prônait en fait un capitalisme responsable, seul capable de maintenir une paix sociale, selon lui..
 
Trois années plus tard, Kazutaka Kikawada, ancien de la Tokyo Electric Lighting Company et dirigeant de la toute nouvelle Tokyo Electric Power Co (TEPCO) orientait déjà sa firme vers les recherches nucléaires, au moment même où le premier ministre Hayato Ikeda promettait de doubler les résultats du commerce extérieur. Le Japon était alors en pleine expansion, au point de parler de "miracle japonais", après l'éffondrement de 1945. La consommation de courant, dûe à la prolifération des appareils électriques importés ou fabriqués sur place, devenait en effet critique, les centrales thermiques, qui avaient juste dépassé les hydro-électriques ne suffisant plus. Le Japon tentait alors de diversifier ses sources d'énergie, la pollution de ses centrales thermiques devenant aussi une gêne : ainsi, en 1970, sa centrale de Minami-Yokohama devint la première au monde à fonctionner au (LNG - liquefied natural gas) en provenance de l'Alaska.  En 1971, TEPCO mis en service le troisième réacteur japonais de type BWR (ce fut le N°1 de Fukushima !) conçu cette fois sur les plans de la General Electric. La crise du pétrole de 1973 allait encore accélérer le processus (comme en France). A marche forcée, TEPCO souhaitait arriver à 50% de parts de nucléaire en 2000, mais une série d'incidents l'en empêcha : le public commençait déjà à critiquer le tout nucléaire visé par des scandales récurrents. Walt Disney, et ses fables, on le voit, étaient loin, déjà. Et Kazutaka Kikawada déjà mort, en 1977. 

Car le "tout nucléaire" choisi (ou presque), montré aussi sûr qu'au temps du dessin animé de Disney, ne se présentera pas comme TEPCO l'avait promis au public. "Malgré l'opposition du public à l'énergie nucléaire,Tepco a continué à le promouvoir comme une forme d'énergie écologique. Le désastre est apparu en 2002, cependant, après que la compagnie ait admis avoir falsifié des documents liés à la sécurité de ses installations nucléaires. Les ingénieurs avaient omis de déclarer 29 cas de fuites et de fissures graves dans les réacteurs sur trois de ses centrales nucléaires au cours des années 1980 et 1990. En conséquence de ces révélations, le gouvernement japonais a ordonné à Tepco l'arrêt temporaire de 17 installations nucléaires. Ce qui a provoqué à Tokyo d'une pénurie d'électricité au milieu des mois chauds d'été. Trois de ses usines ont été autorisées à redémarrer en 2003, et les autres installations étaient de retour en ligne à la fin de l'année 2004".  Au passage, tous les dirigeants de Tepco, le 30 septembre 2002, avaient été contraints à la démission : le directeur Hiroshi Araki, le président Nobuya Minami, le vice-président Toshiaki Enomoto, ainsi que les conseillers Shō Nasu et Gaishi Hiraiwa. Cinq ans après, en 2007, un nouveau scandale d'incidents étouffés ressortait à nouveau, sans que la compagnie ne fasse de recherches pour identifier les auteurs véritables. Il y a quelques mois, on apprenait que lors de la catastrophe du tsunami, la direction centrale de TEPCO avait demandé d'évacuer carrément la centrale et de ne même pas chercher à la refroidir : le premier ministre avait dû descendre au siège de l'entreprise le 15 mars 2011 pour les contraindre à ne pas lâcher la centrale en perdition ! Aujourd'hui, on ne sait toujours pas où en sont exactement les noyaux d'uranium des quatre réacteurs touchés, ni l'état exact des cuves les contenant. D'aucuns affirment que l'explosion d'un réacteur est toujours possible. Les dirigeants, comme en 2002, ont démissionné en mai dernier (sauf le PDG, Tsunehisa Katsumata). Chez TEPCO, une culture de la dissimulation d'incidents a toujours existé.

La suite, on la connaît, inutile de vous repasser... le dessin animé de Walt Disney.
 
(*) le Savannah, pendant sa première année d'exploitation, rejettera en mer litres d'eau 435 322 litres d'eau "légèrement" contaminée...
 
la liste des différents types de réacteurs japonais est ici :
http://cnic.jp/english/data/nucreactors.html

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