Fukushima Daiichi et le problème de la piscine de stockage de l’unité 4
par JMBerniolles
samedi 3 novembre 2012
Remarque préliminaire : couramment on dit Fukushima pour évoquer les accidents nucléaires de la centrale de Fukushima Daiichi. Ce qui est impropre puisque la préfecture de Fukushima contient une autre centrale nucléaire moins importante à Fukushima Daiini. Celle-ci située à 10 kms du site nucléaire accidenté a été également exposée, de même que la centrale d’Onagawa, au grand séisme et au tsunami du 11 mars 2011 ainsi qu’aux fortes répliques sismiques qui ont suivi. Ces deux dernières centrales n’ont subi que des dégâts mineurs et n’ont pas engendrées d’accidents nucléaires graves.
L’origine des accidents nucléaires de Fukushima Daiichi
En dehors du facteur aggravant que constitue le fait que le séisme a coupé toute l’alimentation électrique extérieure du site de Fukushima Daiichi, il est aujourd’hui non contesté que les accidents nucléaires y aient eu pour origine une mauvaise prise en compte de la hauteur des vagues du tsunami. Comme il a été révélé à postériori cette menace était parfaitement connue de la Tepco et du gouvernement. Quelques jours avant le tsunami la Tepco avait d’ailleurs évoqué auprès du gouvernement la possibilité d’un tsunami surpassant les digues du site de Fukushima Daiichi.
Ce sont donc des problèmes de manquement aux règles élémentaires de sûreté, qui avec d’autres défaillances des organismes de sûreté gouvernementaux et une certaine incurie au niveau de la préfecture de Fukushima, ont conduit aux accidents nucléaires de Fukushima et à des problèmes concernant l’évacuation des populations.
Le gouvernement japonais remanié de Noda a tenu compte de tout cela pour rebâtir, en août dernier, une autorité de sûreté, ainsi que son organisme de soutien technique, sur le modèle français [Rappelons que ce n’est nullement un hasard si la France, très nucléarisée, a été épargnée par un accident nucléaire grave. Cela est entièrement du à ses études de sûreté et à son autorité de sûreté l’ASN].
Quand on parle de prendre en compte les leçons de Fukushima Daiichi, c’est systématiquement négatif. Mais la leçon fondamentale est bien qu’avec une sûreté à la « française » il n’y aurait pas eu ces accidents nucléaires de Fukushima Daiichi qui, au niveau des rejets radioactifs en Iode et Césium, ont atteint le niveau de Tchernobyl.
Mais avec un impact sanitaire très limité en raison de plusieurs facteurs : des conditions météos favorables à un moment crucial qui ont envoyé vers l’océan une part importante des aérosols radioactifs, un piégeage des radionucléides issus des cœurs en fusion par les structures de l’enceinte et dans la condensation de la vapeur d’eau primaire, dans les bâtiments turbine principalement, et une évacuation des populations qui a connu des ratés mais a tout de même été efficace. Il faut y ajouter une gestion prudente de l’irradiation des techniciens qui sont intervenus dans les pires conditions. Celle-ci est sans doute un peu plus élevée que ce que la Tepco veut bien nous en dire, mais plus d’un an et demi après les accidents aucun problème de santé n’est à déplorer chez les techniciens les plus exposés, qui d’ailleurs ne travaillent plus en zone chaude [Cela pose d’ailleurs un problème de main d’œuvre qualifiée au fur et mesure que le temps passe].
A ce propos, il faut souligner que l’action courageuse et incroyablement efficace des techniciens de la Tepco et du superintendant du site Matsuo Yoshida et de ses ingénieurs, à tel point qu’ils ont bluffé les experts américains qui suivaient dès les premières heures l’évolution des accidents et pensaient que le pire [compte tenu du fait que dès les premières accélérations du séisme, l’insertion des barres de contrôle dans tous les réacteurs en fonctionnement, les 1 2 et 3, avaient stoppé les réactions en chaine] allait inéluctablement survenir, a précisément permis d'éviter cette situtation d'une gravité extrême. C’est à dire de retrouver les corium en fusion des réacteurs 1 2 et 3 de la tranche n° 1 sur les radiers en béton de leurs bâtiments réacteurs. Qu’ils auraient traversé.
Rappelons qu’il y avait des problèmes sur 5 réacteurs et 6 stockages de combustibles usés auxquels devaient faire face de l’ordre de 100 à 150 techniciens, plus des pompiers et policiers. Et que les réacteurs 5 et 6 à l’arrêt au moment du séisme ont été épargné parce qu’un diesel de l’unité de refroidissement de la puissance résiduelle avec échangeur eau/eau de mer sur la façade marine, a miraculeusement survécu au déferlement d’eau de mer.
Les problèmes de la Tepco, du gouvernement et de ses organismes, ne doivent pas faire oublier cette lutte des techniciens de la Tepco et de leurs responsables pour éviter le pire d’abord et pour ramener ensuite les réacteurs dans l’état de coldshutdown, arrêt froid, qui a été officiellement reconnu [par le gouvernement japonais et la sûreté fédérale américaine l’US-DOE] à la fin de l’année 2011.
L’avis de l’US-DOE est primordial, sur cette question ainsi qu’au niveau sanitaire, puisque cet organisme de sûreté a été sur le terrain dès les premiers instants, notamment pour effectuer les mesures de radioactivité dans l’environnement. Et son responsable d’alors Gregory Jackzo n’est pas spécialement un pro nucléaire puisqu’il s’est opposé au redémarrage du nucléaire aux USA ce qui l’a amené à perdre son poste [En fait il a démissionné après avoir été mis en minorité].
La piscine de stockage de l’unité 4
Parmi les menaces qui sont régulièrement agitées par des mouvances anti nucléaires afin d’entretenir le sentiment de peur vis-à-vis de ce monstre qu’ils ont contribué à créer, appelé Fukushima, il y a celle qui serait représentée par la piscine de stockage des éléments combustibles de l’unité 4.
Celle-ci contient le cœur entier déchargé du réacteur 4, ainsi que des éléments combustibles frais.
Le cas de l’unité 4 est particulier. Pendant les accidents nucléaires, il n’y a pas eu de génération d’hydrogène dans le bâtiment réacteur n°4. Parce que le cœur était entièrement déchargé et que les examens ont montré que les assemblages combustibles de la piscine de stockage du réacteur n°4 étaient intacts.
L’hydrogène, ainsi que des aérosols et gaz radioactifs sont arrivés dans le bâtiment réacteur n° 4 par un de ses circuits de ventilation qui a un point commun avec celui du réacteur n°3, au niveau de la cheminée de rejets atmosphériques commune aux réacteurs 3 et 4. En provenance du bâtiment réacteur n° 3 donc.
C’est pour cela que l’explosion d’hydrogène s’est produite sous la piscine de stockage qui est en altitude (c’est un très gros défaut des BWR). C’est aussi pour cette raison que le bâtiment réacteur n° 4 est beaucoup moins contaminé et permet donc aux techniciens d’accéder à quelques endroits stratégiques, comme le niveau 5, ce qui va permettre de décharger la piscine de stockage (fin 2013) sans trop de problèmes. C’est ainsi qu’il y a déjà quelques temps, le premier ministre Noda a pu monter au cinquième niveau du bâtiment réacteur n° 4 (Photo), au dessus de la piscine de stockage donc, lorsqu’il a visité le site.
La structure de soutien de la piscine qui avait été déstabilisée par l’explosion d’hydrogène a été rapidement renforcée et a d’ailleurs bien résisté à des répliques du grand séisme.
Le problème qui s’est posé au sujet de ce stockage combustible n’est pas directement celui de la fusion d’assemblages combustibles qu’un faible débit d’eau suffit à refroidir [rappelons que les corium sont refroidis avec des débits d’eau de l’ordre de 5 m3 /heure, du niveau du débit de filtration d’une piscine individuelle]. C’était un problème de criticité potentielle [qui n’aurait d’ailleurs pas conduit à la fusion des assemblages mais à l’émission, pendant un temps court, de flux de neutrons et de produits de fission radioactifs].
Les assemblages sont rangés serrés dans des casiers aux parois en acier qui absorbent une partie des neutrons. Des calculs de criticité, qui dépend de cela, de la géométrie globale et d'autres facteurs, ont été réalisés par les japonais et aussi par les experts américains auxquels les japonais ont envoyé, de manière publique –on peut récupérer les mails sur internet-, les données géométriques et physiques, notamment les burn-up, afin d’effectuer ces calculs.
Bien évidemment ce genre de calcul avait été fait au niveau de la conception, mais une erreur d’arrangement géométrique, un stockage plus nombreux .., une question de burn-up, peuvent toujours se produire. Il est vraisemblable que la possibilité d’une excursion critique dans la configuration actuelle, d’où l’on peut d’ailleurs extraire des assemblages frais comme cela a été fait pour deux d’entre eux récemment, a été écartée.
Il n’y a donc pas de base rationnelle aux terribles dangers évoqués sur la piscine de stockage de l’unité 4, qui a déjà tenue plus d’un an et demi et qui doit être déchargée en décembre 2013. Mais ils participent au maintien dans le paysage médiatique de cette créature monstrueuse, Fukushima.
Si l’on s’intéressait vraiment au Japon, on verrait que ce pays lutte avant tout contre des fléaux qui le ravagent en profondeur, la déflation d’abord et l’augmentation de la dette publique qui est d'un tel niveau que pas mal d’économistes s’accordent à penser que cela débouchera inéluctablement sur un défaut de paiement.