Gare du Nord : le train sifflera deux fois
par Philippe Bilger
vendredi 30 mars 2007
On l’aurait presque oublié. Celui qui a mis le feu aux poudres, celui qui a voyagé sans ticket, celui qui, interpellé par un agent de la RATP, lui a porté un coup de tête, celui qui faisait l’objet d’une interdiction du territoire, celui dont la situation administrative était sans doute irrégulière, celui qui a été condamné à sept reprises mais impliqué dans vingt-deux affaires notamment pour des violences et des vols, celui qui, âgé de trente-trois ans, a ameuté l’environnement et entraîné, de la part d’une multitude de jeunes gens qui traînaient gare du Nord selon leur habitude, les émeutes qui ont commencé mardi soir et qui ont pris la police pour cible.
On l’aurait presque oublié, ce Angelo H, tant on a feint de passer sous silence sa responsabilité capitale dans les affrontements qui ont suivi. C’est d’abord lui le coupable, et personne d’autre. Ensuite, que les bandes alertées en aient profité pour, selon une habitude déplorable, "casser du flic" et causer des dégâts importants dans les commerces proches relève d’un mécanisme qu’on peut tenter d’analyser.
La contrainte légitime exercée par la police suscite une libération de la violence illégitime qui s’en prend aux fonctionnaires puis, au-delà d’eux, à cet Etat détesté et honni. Certaines images nous montrent le comportement agressif de policiers dont l’intervention "musclée" a suscité des réactions et des protestations. Il est indéniable qu’entre la cause originelle des événements et les interpellations finales, des actions ont pu être commises par les forces de l’ordre qui dépassaient, dans la mêlée et l’hostilité générale, les limites que dans nos cabinets, bien à l’abri du réel, nous nous plaisons à assigner à ceux qui sur le terrain s’affrontent au pire et au détestable. La police de proximité n’y changerait rien dès lors qu’on est chargé de contrôler des individus ou des groupes qui ne veulent surtout pas d’une proximité paisible avec la police.
Le coupable, c’est donc Angelo H. Celui au sujet duquel un consensus aurait dû se créer et qui, dans un Etat de droit digne de ce nom, n’aurait mérité aucune complaisance. Or toute cette histoire est racontée depuis mardi soir comme si elle avait commencé APRES l’interpellation de cet homme et qu’elle ait été sans rapport avec cette dernière, rendue ingérable. C’est ainsi qu’on voit certains candidats tenir des propos surprenants. Olivier Besancenot - je ne suis pas sûr qu’il plaisante - affirme que s’il y avait eu la gratuité des transports, rien ne se serait produit. Mettons en place le communisme intégral, il n’y aura plus de vols faute de propriété privée ! Plus sérieusement, dans sa réaction initiale, Ségolène Royal, d’habitude mieux inspirée en matière de sécurité, met en cause "la façon dont le contrôle a été opéré". Le contrôle, et non pas celui qui l’a rendu nécessaire. Jack Lang, conseiller vraiment "spécial" de la précédente, non seulement fuit la nuance mais tombe dans le grotesque. "Le seul et unique responsable de la situation, c’est l’ancien ministre de l’Intérieur. Sous son règne, les délinquants ont prospéré. Nicolas Sarkozy a été en permanence un fauteur de troubles et de violence." Comment peut-on, de sang froid, proférer de telles absurdités ? Lorsque l’exigence de responsabilité est pervertie à ce point par l’obsession de la rivalité, il n’y a plus rien à dire. Quant à François Bayrou, il reste dans sa veine coutumière, prétendant se situer entre la répression de l’un et la mansuétude de l’autre mais ne nous guidant guère sur la voie à suivre. En tout cas, il se garde bien, lui aussi, d’évoquer le responsable de ces échauffourées collectives, préférant s’en tenir au reste qui n’est pas l’essentiel.
En continuation de cette impasse faite par les politiques, des médias ont naturellement emboîté le pas en mettant sur le même plan police et jeunes émeutiers, forces de l’ordre et jeunes casseurs, fonctionnaires en intervention protectrice et jeunes violents inspirés par la seule haine. Cette perpétuelle et mensongère balance entre l’honorable et le transgressif n’a pas été sans incidence, depuis longtemps, sur la perception que notre société a eue de sa police, de son statut et de son rôle et de ceux qui, parfois gravement, résistaient à son action. La première était systématiquement deshonorée tandis que les seconds bénéficiaient d’une approbation choquante.
Il n’y aura pas de miracle. Je crains que des crises de cette
nature ne se reproduisent, d’autant plus insupportables qu’elles sont
le fait de minorités parfaitement identifiées et qui, laissées
impunies, dégradent et attaquent, volent et brûlent et, par contagion,
entraînent. Certes, je veux bien admettre qu’un discours politique ne
puisse se voir imposer l’obligation d’une compréhension approfondie
mais il me semble qu’une bonne volonté collective, un désir d’union,
une lucidité non partisane seraient susceptibles d’aboutir à des
recommandations pertinentes.
Remettre l’Etat de droit sur ses pieds et accepter d’incriminer les véritables responsables et coupables. Reconnaître la mission éminente et difficile de la police en ne mélangeant pas celle-ci, dans l’appréciation, avec les délinquants qu’elle est chargée d’appréhender. Même si cela choque les adeptes de l’indifférenciation, d’un côté il y a le Bien et de l’autre le Mal possible. Qu’elle transgresse les règles, et il conviendra de poursuivre les fonctionnaires dévoyés. Qu’on arrête de lui faire un procès comme si par principe elle était coupable.
Elaborer une nouvelle loi anti-casseurs, anti-violences collectives. Le téléscopage fréquent entre une transgression initiale, une interpellation difficile et une masse venant s’agréger pour faire opposition, violence et co-action exige que le code pénal, le moment venu, sache être complété par des dispositions capables, dans le même mouvement, d’incriminer le singulier et le pluriel solidaire sur le plan de la commission des infractions de groupe. Il faudra admettre, à la charge de celui-ci, une responsabilité qui saura réparer les lacunes d’une administration classique et défaillante de la preuve demeurée individuelle, donc inadaptée à ces conflits.
Il y a une politique de vigueur, de fermeté, de rigueur à tenir et à assumer. J’adhère totalement au fond de celle-ci telle qu’elle a été conçue depuis plusieurs années. Je répète qu’il est absurde de soutenir que ces émeutes démontreraient son échec. Elles démontrent plutôt son existence et la crainte qu’elle inspire. Elle suscite une résistance de la part de factions qui, de toutes manières, même si on leur offrait les conditions de l’insertion sociale et nationale, n’auraient que le désir de mettre le feu, dans tous les sens, à leur bout de territoire, à notre idée de la République, à la démocratie et à ses règles. Ce qu’il convient en revanche d’accomplir, et c’est un problème non plus de fond mais de forme, c’est de transmettre cette volonté de fermeté avec mesure et modération. Il y a des injonctions et des ordres répétés qui, pour l’éducation des enfants, aggravent la situation plutôt que de l’apaiser. Le fond rigoureux est nécessaire mais sans doute convient-il d’éviter que la manière de le présenter excite plus qu’il ne pacifie. Le langage n’a pas à jeter du sel sur une société ici ou là à vif mais de la sérénité. Je crois que la sévérité n’est pas exclusive d’une telle démarche.
Bientôt les deux tours de l’élection présidentielle. Après les
émeutes de la gare du Nord, le train sifflera deux fois. Que personne
ne s’imagine que le rapport entretenu avec ces événements sera sans
effet sur le vote de nos concitoyens. Il y a des démagogies qui
coûteront cher et des compréhensions molles et lâches qui pèseront
lourd. A rebours, des courages, des évidences, des soutiens qui ne
seront pas oubliés.
Le train ne sifflera que deux fois.