Gauche française : quand les vieux réflexes demeurent...

par Sylvain Rakotoarison
mercredi 7 novembre 2007

Elle a commencé il y a exactement 90 ans, mais est morte et oubliée depuis plus de 15 ans. Pourtant, elle a structuré les relations internationales et la pensée politique pendant toute la seconde moitié du XXe siècle. Pas vraiment en bien.

La révolution d’Octobre a démarré le 7 novembre 1917 à Saint-Pétersbourg (Petrograd) sans beaucoup de résistance (contrairement à Moscou), il y a donc juste 90 ans (le décalage de 13 jours est dû au calendrier julien qu’avaient conservé les Russes).

L’Humanité du 9 novembre 1917 (futur organe du Parti communiste français) la voyait alors comme un coup d’État tandis que certains croyaient à la naissance d’une véritable démocratie russe (l’assemblée constituante élue en décembre 1917 fut dissoute dès janvier 1918, car les bolchéviks y étaient minoritaires avec 175 sièges sur 707).

Marx évoquait le « communisme » avec ce principe très rousseauiste : « à chacun selon ses besoins, de chacun selon ses moyens ». Le mot fut vite repris par les bolchéviks.

Début et fin d’un système

Cette révolution a donné naissance (en 1922) à l’Union soviétique, qui a été l’un des régimes les plus totalitaires de la planète. L’idéologie communiste aurait pu se propager en Allemagne et dans toute l’Europe, mais c’est la Russie qui en fut le seul laboratoire en Europe, suivie quelques décennies plus tard par d’autres pays dont trois au moins sont encore d’actualité, la Chine, la Corée du Nord et Cuba.

C’est par l’Allemagne aussi que l’empire soviétique s’est effondré, quasiment sans coup férir. Une fuite des Allemands de l’Est par l’Autriche ou la Tchécoslovaquie, la chute du Mur de Berlin, un coup d’État surréaliste à Moscou et en deux ans (de 1989 à 1991), tout était joué : l’Allemagne réunifiée et la dissolution de l’URSS.

Sur cette mort de l’Union soviétique, les choses auraient pu se dérouler bien autrement.

Certes, les ouvertures politiques (Perestroïka et Glasnost) opérées par Gorbatchev, l’un des rares jeunes caciques à avoir compris, dès sa prise de pouvoir en mars 1985, qu’il fallait rajeunir le régime, le relooker, lui donner des attraits plus en phase avec l’époque, auraient pu transformer le régime et le renforcer.

Ce fut surtout une histoire de circonstances.

La rivalité personnelle entre Gorbatchev et Eltsine en a été la première cause. Eltsine avait réussi, d’une part, à instituer une véritable présidence de la Fédération de Russie (au sein de l’Union soviétique) et à l’attribuer au suffrage universel.

Fort de cette très nouvelle onction populaire, Eltsine a acquis une légitimité sans précédent, renforcée par un courage physique incontestable en s’opposant sur un char au coup d’État d’août 1991 orchestré par les vieux apparatchiks inquiets des concessions sans cesse accordées par Gorbatchev.

Entre août et décembre 1991, Eltsine a transvasé la réalité du pouvoir à son profit alors que les républiques soviétiques déclaraient une à une leur propre indépendance.

C’est donc une coquille vide qu’a abandonnée Gorbatchev lorsqu’il présenta sa démission le 25 décembre 1991.

Et en France, qu’en est-il ?

François Mitterrand semblait dépassé par cette nouvelle donne internationale : frein à la réunification allemande, soutien implicite (par leur reconnaissance) aux putschistes d’août 1991, alliance tacite avec les Serbes (par tradition française) dans la guerre civile en Yougoslavie...

J’aurais pu imaginer aussi qu’un pur produit de l’Union soviétique, le Parti communiste français, ait pu subir des dommages collatéraux avec un tel séisme.

Certes, dès 1976, le PCF avait rompu avec toute référence soviétique (tout en approuvant trois ans plus tard l’invasion de l’Afghanistan).

Puis, Georges Marchais avait laissé la barre à Robert Hue, un homme sans doute plus sympathique que son prédécesseur, mais sans envergure et qui ne faisait plus peur. Sa successeur, Marie-George Buffet, elle-même ministre dans le gouvernement Jospin (première fois depuis Maurice Thorez que le responsable du PCF était associé de près à l’activité gouvernementale), semble montrer aussi un peu d’ouverture pour mieux coller à la réalité sociologique.

Mais dans un contexte de profonds changements internationaux, où les combats idéologiques (communistes contre capitalistes) ont laissé le terrain à une lutte contre le terrorisme se revendiquant de l’islamisme fondamentaliste, et surtout à une globalisation économique qui ne donne par forcément la meilleure place aux États-Unis, le simple fait de maintenir le mot « communiste » dans son appellation donne un goût d’anachronisme quasi culturel.

D’ailleurs, la population, qui a beaucoup évolué depuis vingt à trente ans (que savent du communisme les personnes de moins de trente ans ?), le lui a finalement signifié aux dernières élections avec seulement 1,9% à la présidentielle et 4,3% aux législatives du printemps 2007 (alors qu’à la Libération, le PCF recueillait jusqu’à 29% des suffrages). La disparition se fera sans bruit.

À côté du PCF, des mouvements trotskistes ont plutôt mieux évolué en reprenant à leur compte le mouvement « altermondialiste » qui correspondrait à une meilleure aspiration des gens (ne plus se focaliser uniquement sur l’économique, mais aussi sur le social et l’environnemental). Il ne faut pas oublier que ces mouvements qui se revendiquent de Trotski (fondateur de l’Armée rouge et pas plus démocrate que Lénine ou Staline) restent encore révolutionnaires.

La popularité d’Olivier Besancenot et son bon score à la dernière présidentielle montrent à l’évidence qu’un discours qui a considérablement vieilli mais qui s’est adapté aux enjeux du moment et qui a bénéficié d’un certain relookage (jeune homme au sourire sympathique) peut encore séduire.

L’autre branche de l’Internationale socialiste qui s’était scindée au congrès de Tours de 1920, le Parti socialiste, me paraît dans une position encore plus anachronique.

Fort de quinze années d’expérience gouvernementale, où ils ont montré leur capacité à gérer et à assumer la réalité économique, les socialistes ont encore du mal à changer leur vocabulaire et leurs vieux réflexes.

Cette schizophrénie politique pourrait être inodore si elle ne les maintenait pas dans un jeu d’alliances désormais complètement dépassé. En termes électoraux.

Leur position de « discipline républicaine » encore mise en œuvre en juin 2007, qui donne aux communistes le statut de partenaire privilégié, ne leur est plus d’aucun intérêt aujourd’hui. Ni électoral, ni même idéologique.

Évidemment, « les lignes ont bougé ». La candidature de Ségolène Royal, avec un discours quasi nationaliste, a renouvelé les enjeux internes. Dominique Strauss-Kahn, en prônant explicitement la « social-démocratie », aurait voulu créer un SPD à la française, ou un Parti travailliste.

Mais Dominique Strauss-Kahn est parti au FMI pour cinq ans, et finalement, Ségolène Royal n’a pas eu le courage d’aller jusqu’au bout de ses tentations. Car elle aurait pu faire ce que Julien Dray lui avait conseillé : annoncer dès le soir du premier tour de l’élection présidentielle de 2007 qu’élue, elle nommerait François Bayrou Premier ministre.

D’une part, cela lui aurait donné au second tour beaucoup plus d’électeurs de François Bayrou, et d’autre part, cela aurait cassé définitivement la dynamique de François Bayrou et du Modem.

Le Parti socialiste, s’il a réussi, le 6 novembre 2007, à se mettre finalement d’accord pour approuver le traité de Lisbonne, malgré une opposition interne au processus européen presque aussi forte qu’en 2005, a toujours refusé d’envisager une alliance électorale avec le centre.

Et ce sera sans doute profitable à François Bayrou qui rêve aujourd’hui de remplacer le PS comme principal parti d’opposition.

Et à Nicolas Sarkozy, qui jouit d’un vide idéologique sans précédent, d’un silence éloquent de l’opposition socialiste et qui reste, forcément, l’unique référence du débat politique.


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