Georges Brassens ou la mort lente des idées et de l’engagement

par Serge ULESKI
samedi 25 novembre 2017

 

 
 
 "Mourir pour des idées, d'accord ! mais de mort lente."
 
 Brassens aimé ! Brassens adulé  ! Brassens célébré ! Brassens, en veux-tu en voilà  ! France Culture, France Inter, RTL, Arte, France 2... Brassens est partout. Tout le show business a chanté et chante un Brassens irréprochable, un Brassens tellement "futé", tellement caustique et drôle à la fois, un Brassens impertinent aussi... tenez : un Brassens anarchiste.
 
 Personne ne s'est jamais offusqué lorsque notre icône nationale s'est vanté avec une bonhomie désarmante de n'avoir rencontré pas un seul uniforme allemand durant l'occupation : il avait alors 19 ans à l'arrivée des troupes allemandes et 25 ans à leur départ : "L'uniforme vert-de-gris et vermoulu de tous ces bonshommes vous dites ? Jamais vu ! Non, jamais !"
 
Un véritable exploit ! C'est sûr !
 
 A propos de la cécité toute particulière de ce troubadour nonchalant, le texte de la chanson présenté plus haut devrait nous éclairer : dans cette chanson, Brassens prend le parti d'assimiler tout engagement à caractère politique, toute philosophie morale, à du fanatisme : les engagés sont des enragés ; les considérations morales et éthiques... de la moraline de la pire espèce ; tour de passe-passe bien commode quand on a pour "petite philosophie de vie" une seule préoccupation majeure : garder ses distances, se tenir éloigné de tout échauffement cérébral à caractère politique et/ou intellectuel.
 
 Sans doute Brassens a-t-il pensé qu'il suffisait d'être antimilitariste et anticlérical ( la belle affaire !) pour se dire "anarchiste" et tenir debout en tant qu'homme. D'autres, en revanche, savent quel prix il faut payer pour le rester " Homme" dans la paix comme dans la guerre, face à ceux qui veulent faire de vous un esclave.
 
Mais alors : anti-intello primaire Brassens ? Philistin Brassens ? Il est vrai qu'il s'est aussi vanté de connaître par cœur le répertoire de Louis Mariano et de Tino Rossi : l'Espagne et la Corse : anisette farniente - 40° à l'ombre ; de quoi contraindre tout un chacun à l'immobilité et à l'indifférence : "Trop chaud, trop, vraiment trop chaud !"
 
 Après sa remarque à propos d'un occupant introuvable car invisible, notre Brassens, figure national, aura réussi, mine de rien, subrepticement pour ainsi dire, à l'insu de tous, de son public en particulier, cet autre tour de force qui consiste à passer à côté de son époque, de toutes les époques : dès 1940 donc. Comme quoi, on prend vite le pli quand on commence tôt : en effet, dans ses textes, on ne trouvera rien qui puisse nous ramener aux années 60 et 70 : aucune actualité, aucun de leurs enjeux sociétaux et politiques ( un Alain Souchon aura fait mieux, beaucoup mieux dans ce domaine, c'est vous dire !).
 
 Aussi, rien de surprenant le fait que Brassens fasse l'unanimité et qu'il soit si souvent célébré année après année, il réconcilie toutes les insouciances, tous les égoïsmes, toutes les indifférences, les bourgeois et tous les imbéciles heureux car, manifestement, Brassens ne s'est dérangé pour personne et n'a dérangé que quelques grenouilles de bénitier et autres culs serrés, contrairement à cette autre voix, symphonique celui-là et fort en gueule : Léo Ferré. Scandaleusement ignoré des grands médias , absent des célébrations, boudé par la jeune génération du show-business, Léo Ferré aura épousé tous les soubresauts de notre société - de la guerre d'Algérie à Mai 68, du monde du travail, d'une jeunesse à la recherche d'une cause à défendre à l'abêtissement de la société de consommation -, il aura été de toutes les époques, témoin et pourfendeur...
 
 Et puis aussi, et puis surtout, il aura été le seul poète, authentiquement poète, sans rival excepté chez les plus grands (Baudelaire, Rimbaud, Apollinaire, Césaire, Char), que la chanson, le music-hall, la scène et une production discographique d'une richesse sans égale, aient jamais porté jusqu'à tous les sommets.
 
 Si un train peut en cacher un autre, Brassens, c'est le recours contre la célébration et la transmission de l'œuvre d'un "artiste total" finalement bien encombrant.
 
 
 

 
Pour prolonger, cliquez  : Quand Léo Ferré est sans égal ni rival...

 


Lire l'article complet, et les commentaires