Gilets jaunes : Michel Onfray dénonce la désinformation des médias et le soutien du gouvernement aux casseurs

par Vera Mikhaïlichenko
mardi 27 novembre 2018

Après la manifestation des Gilets jaunes sur les Champs-Élysées, samedi 24 novembre, les chaînes d'information se sont surtout apesanties sur les violences et les dégradations commises, selon elles, par les Gilets jaunes eux-mêmes ou par l'ultra droite qui aurait infiltré le mouvement. Une façon habile de discréditer la contestation, qui, ne cessait-on de répéter en choeur sur BFM et ailleurs, était en train de s'essouffler. Ouf... les gueux allaient enfin pouvoir rentrer sagement dans leurs provinces. Pourtant, de nombreuses voix se font entendre, ces dernières heures, qui contestent la version du gouvernement.

1/ D'abord sur la question de l'affluence. Le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, a réussi la prouesse de compter à l'unité le nombre de Gilets jaunes partout en France. Résultat du comptage : 106 301 manifestants. Une telle précision, à la vérité impossible, est déjà un premier indice de l'enfumage gouvernemental.

Sur BFM TV, Dominique Rizet s'est étonné de ces chiffres :

« Ça paraît peu quand on voit toutes les images qui ont été tournées par nos équipes partout en province, on avait vraiment beaucoup de monde sur le terrain, et puis à Paris on a l'impression qu'il y a plus de 100 000 personnes. Alors, c'est peut-être une impression, mais est-ce qu'on n'essaie pas de minimiser les chiffres ? C'est une question qu'on peut se poser, ça s'est déjà produit par le passé... Franchement ça paraît peu. »

De mon côté, en regardant BFM le jour de la manifestation, je ne vis qu'une foule clairsemée. Rien de très impressionnant. Quelle ne fut pas ma surprise en découvrant les photos prises sur les Champs-Élysées le 24 novembre par le photographe Olivier Coret ! En les découvrant, j'ai d'abord cru (comme d'autres) à un montage, tant ces images de foules massives différaient de celles que j'avais vues à la télé. En voici une :

© Olivier CORET / Divergence
Manifestation des Gilets Jaunes sur les Champs-Elysees, Paris le 24 novembre 2018

AFP Factuel a confirmé l'authenticité de cette photo :

#giletsjaunes
Nous sommes interrogés sur cette photo pour savoir si elle est vraie.
Elle est vraie, et a été prise par le photojournaliste Olivier Coret. On la retrouve par exemple diffusée ici :https://t.co/GIGn0qsSYF
1/2 pic.twitter.com/ChNpbt76yP

— AFP Factuel 🔎 (@AfpFactuel) 26 novembre 2018

Peut-on croire, en voyant cette image, qu'il n'y avait que 5000 Gilets jaunes sur les Champs-Élysées, comme l'a prétendu Christophe Castaner ?

2/ Ensuite, le gouvernement et les médias n'ont cessé d'affirmer que l'ultra droite était responsable des violences et des dégradations, allant ainsi dans le sens de BHL qui voit dans les Gilets jaunes la résurgence des ligues d'extrême droite du 6 février 1934.

C'est ce qu'a déclaré Gérald Darmanin, le ministre de l'Action et des Comptes publics, pour lequel « c'est la peste brune qui a manifesté » sur les Champs-Élysées.

Le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, considère, lui, que les gens qui défilent à Paris en disant "on est chez nous" sont d’ultra-droite et rappellent « les heures sombres de l'histoire de France ».

Manifestation à Paris : "Quand des gens défilent sur les Champs en disant 'on est chez nous', ceux-là font partie de l’ultradroite", affirme Benjamin Griveaux pic.twitter.com/djVBL32UIn

— franceinfo (@franceinfo) 27 novembre 2018

Même son de cloche chez Laurent Nuñez, secrétaire d’État auprès du ministre de l'Intérieur, qui pointe sur RTL l’ultradroite comme « instigatrice » des débordements. Plus précisément, il parle de "200 à 300 militants ultra-nationalistes".

L'information est relayée servilement par nombre de médias. Pourtant, comme on ne tarde pas à l'apprendre, aucun de ces individus d'ultra droite ne fait partie de la centaine de manifestants interpellé par les forces de l'ordre, dixit Europe 1 :

"D’ailleurs, ces activistes d’extrême-droite ne feraient pas partie des personnes interpellées. Selon nos informations, parmi les gardés à vue, un profil domine : l’homme européen, inconnu des services de police, âgé de 25 à 40 en moyenne, venu de province."

Certains médias, comme Le Point, s'emmêlent les pinceaux. En 48h, changement de version : les meneurs des casseurs n'appartiendraient plus à l'ultra droite, mais à l'ultra gauche.

Extrait de l'article du Point du 26 novembre :

"Selon RTL, le profil des 101 personnes interpellées à Paris le 24 novembre ne correspond pas exactement aux affirmations de Christophe Castaner.

Les casseurs du mouvement des Gilets jaunes sont-ils ces personnes d'ultradroite qualifiées de « peste brune » par Gérald Darmanin ? La réalité semble bien plus complexe. Les informations rassemblées par RTL lundi, sur la base de plusieurs sources policières, indiquent que les profils des 101 personnes interpellées à Paris, lors de la grande manifestation du 24 novembre, sont bien plus disparates que ce qu'a laissé entendre Christophe Castaner, après les débordements observés sur les Champs-Élysées.

Selon les informations de la radio, une grande majorité des individus arrêtés par les forces de l'ordre ce jour-là appartiennent en réalité à la catégorie des « suiveurs ». Autrement dit, des personnes lambda, venues des quatre coins de la France, ne présentant aucun antécédent judiciaire, mais qui se sont laissé emporter par des leaders plus radicaux.

Surtout, les leaders en question appartiendraient en réalité à l'ultragauche, et non à l'ultradroite, rapporte RTL. Ils arboraient plusieurs signes « distinctifs » de l'ultragauche repérés lors de leur interpellation. En outre, ces individus sont plus jeunes, âgés pour la plupart entre 25 et 30 ans, et font preuve de plus de détermination. Certains ont même reconnu s'être rendus sur les Champs-Élysées, théâtre des principales violences lors de la manifestation des Gilets jaunes du 24 novembre, pour commettre des dégâts."

Quels indices avaient bien pu servir à étayer l'hypothèse d'une action de l'ultra droite ? Le compte Team Macron, sur Twitter, qui soutient l'action du Président, a publié une vidéo dont on a opportunément coupé le son, censé montrer un gilet jaune faisant le salut nazi :

Tranquille, un salut nazi sur les Champs-Elysées #SansMoiLe24 #24novembre #GiletsJaunes pic.twitter.com/YmZ7qlVoMk

— TEAM MACRON (@TeamMacronPR) 24 novembre 2018

L’extrait a été partagé par Naïma Moutchou, députée LREM et rapporteure de la loi contre la manipulation de l’information... LOL.

Comme l'a établi CheckNews ou encore le 20h de France 2, ce lundi, le gilet jaune dit en réalité "Ave Macron" et son salut est un salut romain, non un salut nazi.

VIDEO⚡️@France2tv évoque la #FakeNews de @TeamMacronPR (compte de propagande pro-@EmmanuelMacron) selon laquelle un manifestant #GiletsJaunes aurait fait un salut #nazi. Cette intox a même été relayée par la députée @EnMarchefr @NaimaMoutchou rapporteure de la loi anti-#FakeNews ! pic.twitter.com/l8nXitBPd8

— fandetv ن 🙂 (@fandetv) 26 novembre 2018

Sur Twitter, une certaine Jade Bekhti, sympathisante d'En Marche, a également signalé la présence sur les Champs-Élysées de quelques figures d'extrême droite, comme Hervé Ryssen, mais rien n'indique qu'elles aient pris part aux pires violences, même si l'on voit ici Ryssen aux prises avec un CRS (le même homme chahutait déjà avec la police lors de la manifestation du 17 novembre) :

Voici, en revanche, quelques indices d'une action de l'ultra gauche, que le gouvernement et la plupart des médias ont eu beaucoup plus de mal à trouver. Il s'agit de clichés publiés sur les réseaux sociaux qui présentent des signes distinctifs de l'extrême gauche. On y voit par exemple des mentions contre les « flics  » et les « fachos  », un drapeau à l'effigie de Che Guevarra, ou encore le « A » des anarchistes tagué sur des bâtiments dégradés, sur les Champs-Élysées.

Alexandre Devecchio, journaliste au Figaro, a interpellé Christophe Castaner avec cette image de la page Facebook officielle des "Black Blocks", l'accusant de propager une fake news...

Ce à quoi le fondateur du site Hoaxbuster a rétorqué que les Black Blocs n'avaient pas de page officielle...

... ce qui ne change rien, soit dit en passant, à la réalité de la photo.

Toujours sur Twitter, certains ont crié au fake devant cette photo montrant une gilet jaune brandir un drapeau de Che Guevarra :

Les fact-checkers anonymes s'en sont pris au journaliste Jean-Christophe Buisson, qui a relayé cette photo, et qui officie au Figaro Magazine. Ils évoquent l'utilisation de Photoshop, cherchant à masquer que la manifestante porte en réalité le drapeau tricolore.

Pourtant, ce n'est pas Jean-Christophe Buisson qui est à l'origine de cette image, relayée plus tôt dans la journée du 24 novembre par le journaliste Gilles Klein, et surtout diffusée dans le 20h de TF1 du 25 novembre (voir à 7'08). A moins d'une très sophistiquée manipulation du film, il ne fait guère de doute que le drapeau du Che a été brandi (avant ou après le drapeau français).

Ma capture d’écran du JT de TF1

Bref, les fact-checkers de gauche n'ont pas réussi à contester sérieusement l'évidence, à savoir l'action violente de groupuscules d'ultra gauche. Même Gérard Miller, proche des Insoumis, a eu l'honnêteté de dire que les personnes politisées dans les affrontements étaient d'extrême gauche.

"Soit @CCastaner est incompétent, soit il a menti.
À part pour exciter et provoquer pourquoi a-t-il soufflé sur les braises ?"- @geoffroylejeune

Même @millerofficiel a l'honnêteté de dire que les personnes politisées dans les affrontements étaient d'extrême gauche.#GiletsJaunes pic.twitter.com/3ve7aLradD

— Tancrède ن (@Tancrede_Crptrs) 26 novembre 2018

Ce qui pose la question : Castaner est-il incompétent, ou a-t-il menti ?

Ajoutons au dossier le témoignage de Tepa :

"Pour ma part hier j’ai vu des black blocks et des racailles opportunistes qui profitent désormais de chaque mouvement social à Paris pour faire leur courses dans les magasins de luxe."

3/ Désireux de discréditer les Gilets jaunes, nos médias n'ont décidément pas hésité à désinformer. Ainsi, lors d'un duplex au lendemain de la manifestation à Paris, un journaliste de BFM TV montre une large zone dépavée, commentant :

« Pour vous montrer aussi un peu la violence et ces traces qui restent encore ce matin, ce sont ces zones totalement dépavées sur les Champs-Elysées, ça c’est sur une centaine de mètres, plus aucun pavé que les manifestants ont jeté sur les forces de l’ordre. Des pavés qu’ils ont jetés également sur les vitrines de certains magasins. »

Vidéo à l’appui, dans un tweet très partagé, un internaute a reproché à BFM de verser dans la « fake news », assurant que les pavés avaient été enlevés non pas par des gilets jaunes… mais avant la manif, dans le cadre de travaux.

Voilà la vidéo de la #FakeNews de @BFMTV qui dit clairement que ces zones entièrement dépavées des #ChampsElysees sont l'oeuvre totale des #GiletsJaunes alors que ce sont les zones de travaux de la piste cyclable. A RT #desinformation pic.twitter.com/LRZ9DD2jsO

— Arnaud Santimaria ☨ (@santiarnaud) 25 novembre 2018

Effectivement, comme le confirme CheckNews, une piste cyclable est en construction sur les Champs-Elysées. Et si l’on se fie au planning des travaux, le haut de l’avenue (où est tourné le duplex) doit faire l’objet de réfection entre le 12 novembre et le 20 décembre.

Au lendemain du duplex, le 26 novembre, le journaliste de BFM s’est fendu d’un message d’excuse : « J’ai fait une erreur et je le reconnais volontiers […] Une erreur cela peut arriver aussi en exerçant son métier. » Des erreurs, notons-le, souvent à sens unique...

4/ Reste enfin la question de savoir si le gouvernement n'a pas laissé faire les casseurs, dans le but de salir l'image des Gilets jaunes. Le philosophe Jean-Claude Michéa avait évoqué ce risque dès le 21 novembre :

"On ne doit surtout pas oublier que si le mouvement des Gilets jaunes gagnait encore de l’ampleur (ou s’il conservait, comme c’est toujours le cas, le soutien de la grande majorité de la population), l’État benallo-macronien n’hésitera pas un seul instant à envoyer partout son Black Bloc et ses «  antifas  » (telle la fameuse «  brigade rouge  » de la grande époque) pour le discréditer par tous les moyens, où l’orienter vers des impasses politiques suicidaires (on a déjà vu, par exemple, comment l’État macronien avait procédé pour couper en très peu de temps l’expérience zadiste de Notre-Dame-des-Landes de ses soutiens populaires originels)."

Marine Le Pen, qui lit peut-être Michéa, a de son côté accusé Christophe Castaner de mener une "stratégie de la tension".

Priscillia Ludosky, l'une des figures des Gilets jaunes, a rapporté sur France 5 ce que lui a dit l'un des responsables des CRS :

"Les forces de l'ordre ont laissé faire les casseurs hier sur les Champs-Elysées et on m'a bien fait comprendre que les décisions venaient d'en haut."

"Les forces de l'ordre on laissé faire les casseurs hier sur les Champs Elysées et on m'a bien fait comprendre que les décisions venaient d'en haut" Priscillia Ludosky, figure des gilets jaunes dans #CPolitique pic.twitter.com/XCUBIPIQHe

— C Politique (@CPolF5) 25 novembre 2018

Même appréciation de la part de Charlotte d'Ornellas sur BFM TV :

"Le gouvernement a la capacité de ne laisser rentrer personne sur les Champs-Elysées. J'ai vu des groupes de casseurs, on les a clairement laissé passer. Il y a eu un laisser-aller sur cette question de la violence."

5/ Pour finir, laissons la parole à Michel Onfray, toujours aussi saignant, dans son dernier billet intitulé "Une semaine en jaune" (à écouter ici) :

 Tout à leur entreprise de désinformation, les chaînes qui tournent en boucle leur propagande anti-Gilets jaunes ont commencé la semaine en faisant savoir que, le lundi, la mobilisation avait beaucoup baissé, que les occupations étaient moins nombreuses, etc, etc. Faut-il préciser à ces néo-journalistes que ce petit peuple exprimant sa souffrance ne peut manifester sur la longue durée comme peuvent le faire les fonctionnaires ? Certes les agents de l’Etat perdent de l’argent (quand le syndicat ne négocie pas, c’est parfois dans son plan, un paiement du temps de certains jours de grève…), mais jamais leur travail. Alors que les Gilets jaunes perdent et de l’argent et leur travail s’ils s’installent durablement sur les ronds-points parce qu’ils ont une profession modeste, voire un employeur qui n’hésiterait pas à les licencier si d’aventure ils ne venaient pas travailler. Pour les Gilets jaunes, c’est la double peine. Mais les néo-journalistes préfèrent titrer sur "le mouvement qui s’essouffle" dès le premier jour de la semaine.

 Ensuite, ils insistent sur les accidents causés par les Gilets jaunes. Là aussi, là encore, il s’agit de discréditer le mouvement. Il ne vient pas à l’idée de ces néo-journalistes que ce sont la plupart du temps non pas des accidents causés par les Gilets jaunes mais par ceux qui refusent les Gilets jaunes ! Car le filtrage, et non l’immobilisation, exige des gens un peu de leur temps et non, comme il fut dit, des nuits passées dans des véhicules. De sorte que ceux qui s’énervent parce qu’on les ralentit et le font savoir de façon agressive, parfois en fonçant dans la foule, font naître l’énervement des Gilets jaunes. Il y a toujours un internaute bien inspiré qui filme et met en ligne afin de faire savoir que tel incident dans tel endroit est représentatif de la totalité du mouvement de revendication. La création d’un hashtag pour mettre en ligne toutes ces scènes bout-à-bout fait les choux gras de cette télévision qui jouit de relayer les éléments de langage venus de l’Elysée et du ministère de l’Intérieur : ce mouvement est entièrement raciste, totalement antisémite et absolument homophobe !

  Par ailleurs, la valse des récupérations ayant commencé, il est de bon ton d’associer ce mouvement qui n’a pas de chef, pas de tête, donc pas de leader à acheter ou à qui proposer un poste dans une commission, une entrée au Conseil d’Etat ou un statut de chargé de mission très bien rémunéré, on souligne, surligne, puis souligne et surligne encore, que le mouvement procède de Marine Le Pen, donc, à l’aide de force joffrinades, du nationalisme, du vichysme, du pétainisme, du fascisme.

  C’est dans cet ordre d’idée que BHL commente le mouvement. Il tient les mêmes propos que Castaner. Dans une dégustation à l’aveugle, on pourrait douter de qui est qui ! A part dans les dictatures brunes ou rouges, c’est un cas rare de philosophe qui se fait le ventriloque d’un ministre de l’Intérieur –ou l’inverse.

  En clôture de la convention nationale du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), BHL a expliqué "qu’il s’est là incontestablement passé quelque chose". Nous étions le dimanche 18 novembre, la veille, il avait pourtant écrit dans un tweet : "Poujadisme des Gilets jaunes. Échec d’un mouvement qu’on nous annonçait massif. Irresponsabilité des chaînes d’info qui attisent et dramatisent. Soutien à Macron, à son combat contre les populismes et à la fiscalité écolo." (17 novembre 2018) Il est vrai que le lendemain, il écrivait aussi : "Il s’est passé quelque chose de très important. Parce qu’un mouvement est inorganisé, auto-organisé, sans chef, il serait sans lendemain, sans identité politique ? Je ne crois pas. S’est produit, hier, un événement politique majeur." Le 17, ce mouvement était un "échec" ; le lendemain, il est "majeur"… C’est sur cette ligne que BHL continue. Son discours mobilise la Critique de la raison dialectique de Jean-Paul Sartre et Mythologies de Roland Barthes, L’Iliade d’Homère et l’Ethique à Nicomaque d’Aristote, le Gorgias de Platon et la Septante, l’Ancien Testament et le Talmud, Les Passions de l’âme de René Descartes ("de mémoire l’article 202", dit-il car, bien évidemment, il en connaît les 212 articles par cœur…), l’Ethique de Baruch Spinoza et le Léviathan de Thomas Hobbes, Jean-Claude Milner et Drieu la Rochelle, pour accoucher d’une souris phénoménologique : les Gilets jaunes, ce sont les ligueurs fascistes de 1934… 

  Or ces Gilets jaunes sont juste des gens qui, quand les casseurs ne les infiltrent pas avec la bénédiction du pouvoir, sont juste des gens modestes qui font savoir qu’à l’approche de Noël ils vont avoir du mal à offrir des cadeaux à leurs enfants ou à leurs petits enfants. Sont-ce des fascistes qui veulent abolir la République ? Non. Ce ne sont rien d’autres que des citoyens qui veulent la restaurer depuis que l’Etat maastrichtien l’a abolie…

  On ne me fera pas croire que le pouvoir n’apporte pas son soutien aux casseurs. Car, la chose était visible sur toutes les télévisions qui retransmettaient l’événement en direct : ce pouvoir a laissé certains individus dépaver l’avenue des Champs-Elysées sans intervenir et ce, comme par hasard, devant les caméras de télévision ! Il me semble que, si l’on voit des gens desceller des pavés, ça n’est pas pour emporter un souvenir de Paris chez eux mais, comme la suite l’a montré, pour les envoyer sur la police. Le mieux, pour éviter qu’un pavé ne parvienne sur le visage d’un CRS, c’est de le laisser là où il est, à savoir dans la rue, et d’empêcher les dépaveurs de préparer leur forfait en présence des caméras de BFM ! Par ailleurs, on ne parviendra pas à me convaincre que les forces de l’ordre ne pouvaient pas encercler ces manifestants violents afin de les interpeller si l’ordre leur avait été donné. Ils ne l’ont pas fait, c’est donc que le pouvoir voulait que ceux-là dépavent et jettent ensuite leurs pavés sur les forces de l’ordre et sur les magasins. Le lendemain d’ailleurs, les chaînes que l’on sait faisaient des micros-trottoirs devant les boutiques de luxe dont les vitrines avaient été cassées –probablement au pavé…– pour ne sélectionner que des témoignages de déploration ! "C’est une honte !", "Quelle image donne-t-on à l’étranger ?", "Quelle misère de détruire ainsi des instruments de travail !", etc.

  Le pouvoir veut discréditer le mouvement, c’est entendu. Cachant mal leur joie, les journalistes n’ont cessé de poser la question : "Est-ce que le mouvement qui bénéficie d’un fort soutien dans la population conservera cette faveur après ce déchaînement de violence ?", comme il fut dit d’une chaîne l’autre. On voyait bien que les néo-journalistes se retenaient d’ajouter : "On espère bien qu’il va le perdre, ce soutien, d’ailleurs on fait tout pour ça, c’est notre boulot et on est payés pour ça…"

  Tous ceux qui veulent absolument fasciser le mouvement n’imaginent pas ce qu’est une vie modeste ou une vie de pauvre. Gérald Darmanin, par exemple, qui endosse la soutane de l’abbé Pierre pour mieux cacher sa peau de requin de la politique politicienne, feint de comprendre que la vie est dure pour les gens puisque la note moyenne d’un restaurant parisien est de 200 euros sans les vins –ça, ce sont les cantines du patron de Libé ou de BHL, sinon du journaliste Maurice Szafran [1], mieux connu pour ses notes de frais que pour son œuvre complète…

  Il y eut ensuite Nicolas Hulot effectuant "sa rentré politique" comme il fut dit –ce qui paraît bien étrange de la part de quelqu’un qui a fait savoir qu’il ne faisait pas de politique et qu’il continuerait à ne pas en faire ! Cet homme qui prophétise la fin de la planète à cause du moteur de voiture des pauvres possède neuf véhicules : six voitures, une moto, un bateau, un scooter. Détaillons : une grosse cylindrée BMW, une Volkswagen, un Peugeot Boxer, autrement dit un petit camion, un très polluant Land Rover, une vieille 2 CV qui pollue comme à l’époque et un autre véhicule non précisé. Son bateau est à moteur, sa moto BMW n’est pas à voile et son scooter, parce qu’il est électrique, fonctionne à l’énergie nucléaire –donc avec l’aide des centrales atomiques… Il comprend bien la misère des gens (ça, c’est pour rester dans le Top 10 des Français préférés, à choisir dans une liste de dix noms de Français préférés…), mais il comprend mieux encore la misère de la planète. Faut-il lui rappeler, à monsieur l’ex-ministre, qu’une infime partie seulement des taxes prélevées sur le plein d’essence des Français pauvres ira à la transition écologique ?

 Que deviendra le restant [2] ? Il servira à équilibrer le budget exigé par l’Etat maastrichtien. Après avoir fait des cadeaux aux riches et s’être ainsi privé des ressources de l’impôt sur la fortune, le président Macron doit bien prendre de l’argent quelque part, d’où le racket sur les pompes à essence : ce sont en effet les pauvres qui paient à la place des riches –on comprend que les riches et leurs amis éditorialistes et journalistes qui mangent dans les restaurants où l’on croise Gérald Darmanin aient intérêt à expliquer en long, en large et en travers que ces salauds de pauvres qui aimeraient pouvoir acheter des cadeaux à leurs enfants au prochain Noël sont assimilables aux ligueurs fascistes de 1934 !

 Cette semaine s’est donc terminée avec la manifestation des Champs-Elysées. On a vu combien le pouvoir et la presse, le pouvoir de la presse et la presse du pouvoir, ont passé leur temps à discréditer le mouvement. Il y eut un moment de vérité sidérant sur BFM, où un journaliste a clairement commenté les chiffres donnés par Castaner : "Ces chiffres sont ceux du ministère, a priori (sic) il n’y a aucune raison de les contester !" Il était 18h30, il fallait siffler la fin de la récréation : la journée fut donc bel et bien une affaire d’extrémistes de droite et de gauche. Comme les médias et les politiciens ont abondamment usé de l’élément de langage "extrême-droite" et qu’on ne sait plus comment nommer la véritable extrême-droite, on se met désormais à parler d’"ultra-droite" ! La journée avait donc été une journée parisienne de violence à cause de l’ultra-droite elle même pilotée par l’extrême droite. C’était donc encore un coup du maréchal Pétain –BHL nous avait prévenus…

  Pour ma part, je n’ai jamais eu confiance dans les chiffres donnés par le ministère de l’Intérieur ou par les organisateurs des manifestions. Castaner ose tout, c’est d’ailleurs à ça qu’on le reconnaît. S’il avait pu dire qu’il y avait eu cent-trente personnes dans toute la France, et ce sur vingt-sept ronds-points seulement, il l’aurait fait… Il y a mis les formes et donne un comptage à la dizaine près sans imaginer une seule seconde que pareil détail prouve que le chiffre est faux…

Michel Onfray


[1] https://www.arretsurimages.net/articles/marianne-ses-tres-hauts-salaires-et-sa-deleguee-syndicale-poussee-vers-la-sortie?id=4304

[2] https://www.lepoint.fr/economie/carburants-ou-vont-les-recettes-des-taxes-09-11-2018-2270172_28.php#


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