Google glass, de la dissolution de l’intime

par Thomas Roussot
lundi 17 novembre 2014

Alors que les lunettes connectées développées par Google viennent de faire leur entrée sur le service Google Play, de nombreuses applications s’inscrivent dans ce processus illimité de transparence régissant désormais les subjectivités individuelles et le monde d’intimité qu’elles charrient.

 Les ordinateurs personnels, smartphones, tablettes tactiles, i-pads, montres, chaussures, capteurs d’activité, bijoux, cigarettes, gps, brosse à dents, SEXTOYS, alarmes, étagères, tous les nouveaux objets connectés témoignent de cette volonté de rendre tout et tout de suite consultable en direct permanent, à flux tendu. S’intégrant directement au visage, et connectant l’appareil oculaire au réseau, tout en le bombardant d’informations publicitaires tenant compte du positionnement et des habitudes de leur utilisateur, les Google Glass, et surtout leurs descendantes, vont tout simplement réorienter le réel et ce que l’on nommait autrefois l’intime. Elles intègrent en effet la science de l’indexation, dispositif proposant toutes les informations liées à Internet par simple commande vocale ou manuelle, corrélées par ailleurs automatiquement aux profils des utilisateurs. Il ne s’agira donc pas de vulgaires publicités uniformément diffusées à des masses anonymes, mais bien, sur le principe déjà connu des cookies, d’annonces personnalisées en fonction du vécu des porteurs. Les algorithmes intégrés conditionneront leur attention de façon on ne peut plus directe. Le paradigme du « vivre-ensemble » sera redéfini à l’aune d’un utilitarisme jamais vu, doublé d’un voyeurisme inquisitorial sans limite via les procédés de reconnaissance faciale (intégrant bientôt le décryptage émotionnel), permettant l’identification physique instantanée des individus croisés, ainsi que la vérification en ligne d’informations les visant. Chaque passant deviendra donc une niche informationnelle vérifiable en ligne, à la façon d’une vulgaire plaque d’immatriculation. Un espionnage interindividuel sans égal pourra bientôt s’ébaucher dans l’immédiateté capturée par des minicaméras invisibles, et des détecteurs de mensonges intégrés, en prise permanente avec l’existence de chacun, cette dernière pouvant donc être publicisée et enregistrée à l’envie. L’instantanéité incrustée dans des yeux plus proches de la synthèse que de l’observation, soumettant l’espace commun et privé au règne de perceptions virtuelles tissant un système nerveux planétaire dont le fonctionnement ne tolèrera, à terme, plus le moindre espace d’opacité (se reporter à l’hystérie autour du voile musulman, qui en l’espèce, représente bien une alternative), d’inconnu, et de privatif.

« Aujourd’hui, l’Internet des objets en gestation est en train de faire disparaître, couche par couche, les enclosures qui ont rendu la vie privée sacro-sainte et ont fait d’elle un droit jugé tout aussi important que le droit à la vie, à la liberté et à la poursuite du bonheur. Pour une jeune génération qui grandit dans un monde entièrement connecté, où, à chaque instant, sa vie est allègrement mise en ligne et partagée avec tous sur Facebook, Twitter, YouTube, Instagram et d’innombrables autres sites de réseaux sociaux, la vie privée a beaucoup perdu de son attrait. Aux yeux de ces jeunes, la liberté n’est pas l’enfermement dans un quant-à-soi qui s’autonomise et exclut ; elle consiste à jouir de l’accès aux autres et à être inclus sur une place publique virtuelle mondiale. Le maître mot de la jeune génération est « transparence », son mode opératoire est collaboratif et son expression personnelle se déploie dans la coproduction entre pairs au sein de réseaux[…] »

Extrait de : " La nouvelle société du coût marginal zéro : L'internet des objet, l'émergence des communaux collaboratifs et l'éclipse du capitalisme." Jeremy Rifkin. (Les liens qui libèrent).

Les concepteurs et les vendeurs de ces « merveilles » d’intelligence artificielle séduiront les foules avec autant d’arguments positifs qu’ils en utilisèrent par le passé, prétendant faire reculer la solitude, les maladies, l’ignorance et pourquoi pas la faim dans le monde. Ils vantent déjà les atouts de ces logiciels de reconnaissance faciale dans la lutte contre la maladie d’Alzheimer. Ils seront plus sûrement utilisés par les commerçants pour s’adapter au mieux à leurs clients, par les policiers à la recherche d'un délinquant, et tous ceux qui cherchent à capturer l’autre dans un système prédéfini. Moodies, une application produite par Beyond Verbal, est capable de discerner l’humeur d’un individu à partir de sa voix. De nombreux centres d’appels l’utilisent déjà pour cerner l’état de nervosité de leurs interlocuteurs. L’humain, dans son déploiement existentiel quotidien, sera désormais, non seulement questionné, mais soumis et arraisonné par des rapports d’identification commune permanents, et la question de sa représentation involontaire dans l’espace public sera cruellement posée dans les années qui viennent. 

C’est d’un séjour au sein du monde, dans l’anonymat et le respect, qu’il lui faudra peut-être faire le deuil, s’il ne sait rapidement trouver les réponses adéquates au processus plus qu’entamé que nous voyons se mettre en place aux quatre coins du globe.


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