Guerre en Ukraine. Le destin unique de l’Europe dans l’arčne du monde

par Hamed
vendredi 9 septembre 2022

  Les ombres de la Russie et de l’Europe planent sur le destin de l’Ukraine. Tout d’abord, regardons le monde aujourd’hui ? Que se passe-t-il ? L’islamisme ne fait pas seul l’actualité l’internationale. Les événements qui se passent au Venezuela, en Corée du Nord, en Mer de Chine, au Xiang en Chine, en Syrie, en Libye, en Egypte sont aujourd’hui relayés voire supplantés conjoncturellement par les événements en Ukraine, comme l’Ossétie en 2012. Un peu comme si la nature a horreur du « vide du temps » dans chaque parcelle de terre de notre monde ; le monde étant constamment en évolution. Des grands événements se jouent depuis la crise de 2008 dans le monde. Et ce qui se passe en Ukraine peut s’assimiler à un événement majeur dans l’histoire de l’humanité, qui vient lui aussi en droite ligne des guerres passées, de la guerre froide qui est toujours pendante.

 Les crises et les guerres, comme témoigne l’histoire, font avancer l’humanité ; il y a un sens dans les tragédies que vivent les peuples. Et le mal qui finit par emporter des pays, des empires, et des peuples est le tribut à payer les hommes pour le progrès du monde. Qu’on le veuille ou non c’est ainsi, et pas autrement.

 Que se passe-t-il alors en Ukraine ? L’histoire du divorce de deux peuples issus d’un même peuple ? Avec le partage des biens et patrimoines, i.e. le territoire, l’Ukraine pour les ukrainiens, et la Crimée et le Donbass pour les « russophones ». Si on regarde l’histoire, cette construction historique était engagée depuis longtemps, depuis exactement la date même où l’Union soviétique avait cessé d’exister. L’ex-URSS avait certes cessé d’exister mais ne pouvait se séparer de son « poumon-sud » qui lui donnait accès à la Mer Méditerranée, et aux Océans du monde. Ce qui fait de la Crimée et du Donbass une région-enjeu hautement stratégique pour la Russie en premier, et pour l’Union européenne ensuite. C’est pourquoi le destin de la région de la Crimée et du Donbass restait à faire et à défaire. Et l’ombre de l’ex-Union soviétique planait déjà sur le nouvel Etat qui en est sorti, i. e. l’Ukraine, et ses parties est de son territoire, objet de convoitise de l’« ex-numéro deux mondial ». Sauf qu’il n’y avait pas une ombre, mais deux ombres. L’ombre de la Russie et de l’Union européenne alliée au numéro un mondial, les États-Unis !

 Une question. Pourquoi tout peuple renvoie sa propre image à l’autre ? Pourquoi l’Union européenne et les États-Unis ? L’Europe d’abord, et toujours l’Europe, qui s’immisce dans les affaires du monde ? Est-elle « prédestinée à cette destinée » ? Pour ce « droit de regard » sur les affaires du monde ? A-t-elle besoin de territoires pour son expansion ? Ne lui suffisent-elles pas les 27 ou 28 nations européennes qui existent en son sein ? De même pour la superpuissance américaine, un pays-continent, ne lui suffise-t-il pas son continent presque entier ? Une véritable énigme dans ce déploiement de forces politiques, diplomatiques, militaires de l’Occident tout entier. Est-elle comme le laisse supposer cette « croyance politique » que l’Europe opère dans un cadre géopolitique et géostratégique atlantiste ? Qu’elle n’est finalement que le « bras politique, diplomatique et militaire » de l’Empire dans l’Eurasie.

 Il est évident que comparaison n’est pas raison. Et cette hypothèse ne tient pas la route pour la simple raison que l’Europe, en réalité, fonctionne indépendamment de l’Empire. Et que c’est l’Empire qui fonctionne en fonction de l’ex-Empire, qui est bien plus ancien que les empires russe, américain et chinois d’aujourd’hui. Et si on veut comprendre l’herméneutique de l’évolution du monde, il faut « historiciser » l’histoire. Et seule l’historicisation de l’Histoire peut permettre d’établir les « vérités cachées de l’histoire ». Elle peut même mettre en projet un « devenir en puissance » du monde. C’est pourquoi l’historicisation revêt une importance essentielle dans la compréhension du monde. Et les événements historicisés en témoignent.

 Si, entre l’Europe et les États-Unis s’est tissée au fil du temps une alliance géostratégique majeure, cela incombe essentiellement aux conjonctures internationales qui ont suivies les deux guerres mondiales. Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, la réorganisation du monde était nécessaire, inéluctable. C’est ainsi que l’Occident s’est trouvé conforté par des institutions internationales, tels l’OTAN, l’OSCE… et le FMI, la BM et autres structures économiques et financières dont ils sont les initiateurs et qui ont vu l’ensemble des pays du monde s’y joindre à la plupart de ces structures internationales.

 Contrairement à ce que l’on croit, l’acteur principal en Eurasie n’est pas l’Amérique mais l’Europe. Sans l’Europe, les États-Unis n’auraient d’intérêt ni assez de puissance pour influer sur le destin du monde. Par conséquent, dans la crise ukrainienne, l’acteur principal n’est pas l’Amérique, mais l’Europe elle-même. De plus, combien même l’Europe est taxée de trouble-fête ou d’ingérence dans les affaires du monde, en particulier sur son monde proche, en l’occurrence la crise ukrainienne, l’Europe n’a fait que se projeter naturellement sur son versant Est. Un versant qui la concerne « géo-stratégiquement ». Et cette projection sur l’Ukraine, qu’il ne faut pas oublier, s’est faite à la demande d’une grande partie du peuple ukrainien. Et ce point est d’une importance capitale. Ce serait trop simple de parler de subversion européenne dans la crise ukrainienne. C’est comme dire que les peuples ne voient pas leurs intérêts politiques et sont à la merci des menées subversives des pays hostiles. Pour l’Ukraine, elle a cherché à se rapprocher comme ses consœurs de l’Europe centrale et de l’Est à l’Europe démocratique, l’Europe libérale et surtout l’Europe riche.

 En réalité, les peuples agissent le plus souvent par « mimétisme », tout progrès dans une région est « aspiré légitimement » par les autres peuples. Ceci pour dire qu’aucun peuple ne se projette sur une région, sur un régime politique ou sur une intégration sans qu’il ne voie une raison valable, un intérêt à retirer. Tout peuple est mû par son essence d’être, par une essence renvoyée par les progrès de l’autre.

 Pour comprendre, si par exemple, c’est en Russie que les peuples envoient une image d’un pays réellement démocratique, « où il fait bon de vivre », où les hommes ont des droits bien plus grands que ceux que les Européens ont en Europe, il est à parier que le peuple ukrainien dans toutes ses composantes n’aurait jamais eu à se désolidariser du peuple russe. Plus important encore, les pays d’Europe centrale et orientale n’auraient jamais quitté la Russie, et l’ex-Union soviétique d’Etat n’aurait pas disparu. Ce serait les Européens qui auraient à aspirer à la gouvernance soviétique, ce qui a existé d’ailleurs un certain temps en Occident, durant la « Guerre froide ».

Cependant, cette aspiration n’a été qu’en surface puisque le soviétisme prometteur s’est écarté à ce qu’avait été « pensé » par les théoriciens Marx, Lénine… pour une vie meilleure, d’une vie libérée d’un capitalisme sans cœur, puisque cette vie meilleure est devenue une dictature d’Etat. Le socialisme était dévoyé par l’élite au pouvoir, et fut remplacé par un socialisme-nomenklatura-goulag à la place de la « lutte des classes » et l’instauration d’un régime socialiste auquel auraient bénéficié toutes les classes sociales. Donc victime de son propre succès et surtout de l’utopie du projet qui ne pouvait être que transitoire. On comprend pourquoi ensuite les événements se sont précipités ; évidemment, tout événement majeur a sa place dans l’évolution de l’humanité, et le soviétisme, même s’il s’est délité à la fin, a vis-à-vis du monde constitué un tournant dans l’histoire humaine ; il a été un des moteurs dans le développement du monde, il a joué un rôle majeur dans la décolonisation du monde.

 On comprend pourquoi les pays d’Europe centrale et orientale, à la fin de la Guerre froide, ont rejoint l’Union européenne. Tout peuple aspire à la démocratie, à la liberté d’expression, à une sécurité sociale, et cela ne peut passer que par une « gouvernance démocratique » loin des « luttes d’appareils » où les peuples sont des « peuples-objets, des peuples non matures ». Et là se comprend pourquoi l’Europe, sur ce plan, a un destin unique dans l’arène du monde.

Les peuples dans ces situations, comme on le croit faussement, ne sont pas naïfs, impuissants, ils se réfugient dans l’indifférence, dans le silence, ce qui amène la classe politique, i.e. les décideurs à raisonner en termes d’hégémonie et de rivalités, et aussi de conservatisme avec tous les avantages que le système politique leur offre en termes de pouvoir.

Une logique interne régit tout système politique. Comme d’ailleurs ce qui se passe en Occident, sauf que le processus politique est différent ; le système politique est plus évolué, plus avancé parce que, malgré que le régime capitaliste libéral, il place le peuple au centre du pouvoir politique. Pour n’en donner que quelques exemples, l’alternance politique gauche-droite, la nomination de représentants des minorités à des postes très élevés (ministères de souveraineté), la nomination d’Obama, un afro-américain de père musulman, à la présidence de la nation la plus puissante du monde montrent si besoin est le grand écart qui existe entre la gouvernance en Occident et la gouvernance en Russie, en Chine où tout reste à apprendre.

 Les deux mandats présidentiels au lieu d’un montrent que la nomination d’Obama n’a pas été un accident de l’histoire. Contrairement en Russie qui est une grande puissance, mais où deux présidents se sont relayés sans critique et l’opposition interne, dans le silence le plus total de la classe politique. Ou en Chine où la présidence se fait par cooptation par une assemblée au pouvoir.

 On comprend alors pourquoi l’Europe dérange. Cependant, au-delà de l’autoritarisme, la Russie dérange aussi, à sa manière. Aussi, on ne peut alors s’étonner de la marche du monde. La Russie, dans son déploiement militaire et l’invasion de l’Ukraine, a aussi son mot à dire. La Crimée et le référendum organisé, le 16 mars 2014, et qui a donné 95% de la population qui a exprimé son souhait de rejoindre la Russie, ne doit pas tromper. Qu’il soit un moyen d’annexer la Crimée, comme d’ailleurs ce qui s’est passé en Ossétie du Sud, en août 2008, il demeure que ce choix est en rapport avec la volonté d’un peuple.

 L’histoire est un éternel recommencement ; rien n’est acquit de manière certaine ; le monde est toujours en évolution. La Russie sait qu’elle n’a pas gagné la partie. Et même, elle a peur de l’avenir. Que serait cet avenir « avec une Europe qui ne veut pas lâcher prise » ? « Que veut cette Europe ? » « Que veulent les États-Unis » ? En fait, et cela peut paraître étrange pour les Européens qui raisonnent européen, ne comprennent pas souvent que l’histoire de l’Europe n’est pas l’histoire de l’Amérique, et ne peut être l’Amérique. Dans un certain sens, c’est l’Amérique qui dépend de l’Europe.

 Les États-Unis, malgré leur puissance militaire et économique, n’ont pas l’envergure de l’Europe sur nombre de plans. On peut même dire que l’Europe s’érige un peu en « centre du monde », comme elle l’a été il y a moins d’un siècle. Et c’est cela qui n’est pas bien compris. Pour cause, toutes les grandes puissances qui sont autour, à l’Ouest, l’Amérique, à l’Est, la Russie, au Sud-Est la Chine, au Sud, le continent africain, au Sud-ouest l’Amérique latine, érige l’Europe, par sa position géographique, en un pays-centre du monde. 

 Et pas seulement. Sur le plan historique, aucun pays du monde n’a vécu ce qu’a vécu l’Europe. Deux guerres mondiales et une multitude de guerres intérieures durant des siècles où tout y était, guerres de religion, guerres hégémoniques, révolutions sanglantes, etc. Qui a colonisé le monde ? L’Europe. Qui a été le plus grand esclavagiste du monde ? L’Europe. Qui a détruit les structures féodales du monde, dans une bonne partie du monde ? L’Europe. Quant aux génocides perpétrés de par le monde, l’Europe l’a chèrement payé par un « retour de l’histoire » qui l’a ravagé par deux fois, avec une orgie de morts.

 Quant aux deux Amériques, ils doivent leur naissance à l’Europe, aux Européens qui ont peuplé les deux Amériques. Donc, l’Europe a « donné » les États-Unis, le Canada, et les pays latino-américains. Comme l’Islam a été un des moteurs qui a « donné », depuis quatorze siècles, l’Europe. Qu’on le veuille ou non, on ne peut effacer l’histoire. Quant à la « Russie soviétique » et la « Chine communiste », elles doivent leurs régimes politiques aux idées qui sont nées en Europe. Et c’est la raison pour laquelle on dit de l’Europe, le « Vieux continent ». Même les découvertes sur l’atome se sont produites en Europe, l’étape finale, i.e. l’expérimentation même de l’arme nucléaire a été faite aux États-Unis mais supervisée par des savants européens. Y compris la transmission indirecte des données à l’Union soviétique et la Chine.

 Ce sont ces forces émanant du « vieux continent » qui sont en train de changer le cours de l’Histoire. L’Europe ne se sait pas, comme les Européens ne se savent pas davantage dans ces bouleversements de l’histoire. Et l’étape aujourd’hui de la guerre en Ukraine n’est qu’une étape dans l’histoire. Et ni le Conseil de sécurité ni une quelconque décision et encore moins une guerre qui est désormais interdite aux grandes puissances sous peine de périr – la destruction mutuelle –, ne changeront l’évolution du monde. La marche du monde est déjà programmée dans ses grandes lignes par l’Auteur qui a créé le monde.

 Sur le plan strictement humain, ce qui est intéressant dans ces événements historiques aujourd’hui, en Ukraine, en Russie, dans le monde arabo-musulman, au Venezuela, en Colombie, en Thaïlande et ailleurs, c’est le système politique européen qui fascine les peuples. D’autant plus qu’avec la mondialisation, les systèmes politiques autoritaires peinent à démarrer leur économie.

La Chine n’est qu’une exception d’autant plus qu’en épousant le système économique occidental ne signifie pas que son système est performant. Son système de gouvernance est encore en évolution, comme d’ailleurs pour la Russie. Si on prend l’Ukraine, il est à parier que lorsque la guerre qui se joue aujourd’hui se termine, et ne devient qu’un lointain souvenir, de nouveau un rapport très fort va lier « inévitablement » l’Ukraine à la Russie. Pour cause, l’Allemagne hitlérienne a occupé et meurtri la France, aujourd’hui, la France et l’Allemagne sont les deux piliers de l’Europe souveraine. Évidemment, il faut que l’histoire se fasse, ni la Russie, ni l’Ukraine, ni les États-Unis ne commandent la marche de l’humanité. L’Ukraine a besoin de changer ; la Russie a besoin de changer ; les États-Unis comme la Chine ont besoin de changer, et ils changeront parce qu’ils ne s’appartiennent pas, comme le monde humain est appelé à changer parce qu’il ne s’appartient pas. Et l’histoire est là pour le prouver.

 Et on comprend pourquoi les grandes puissances prennent très au sérieux l’Europe ; c’est dire son destin unique dans l’arène du monde, dans la transformation voulue par l’Auteur qui gouverne le monde.

 

Medjdoub Hamed
Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale,
Relations internationales et Prospective.


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