Guerre secrète, l’exfiltration transfrontalière

par Desmaretz Gérard
jeudi 16 novembre 2017

« Envoyé spécial » du 9 novembre 2017 a évoqué la mésaventure survenue à Yoann Barbereau, l'ancien directeur de l'Alliance française en poste depuis 2012 à Irkoutst (Sibérie). L'agent des Affaires étrangères a été condamné par contumace fin décembre 2016 à quinze années de colonie pénitentiaire pour attouchement sur sa fille âgée alors de 4 ans. Notre compatriote parle de « Komproma » technique de compromission que l'on « pensait » disparue depuis l'implosion de l'URSS. Des photos familiales se trouvant dans son ordinateur auraient été postées à partir de son adresse IP sur un site de conseils aux parents (38mama.ru) où elles auraient été repérées immédiatement par une dentiste d'Irkoutst qui les aurait transmis au FSB... Interpellé le 11 avril 2014, deux jours après l'arrivée de sa femme de retour de France..., Barbereau fut incarcéré 71 jours et interné 20 jours en établissement psychiatrique, puis assigné à résidence avec port d'un bracelet électronique après avoir versé une somme de 15 000 euros.

Le 11 septembre 2016, profitant de la fenêtre horaire l'autorisant à sortir une heure dans un rayon de 300 mètres, il enveloppe son bracelet électronique avec du papier aluminium pour en interrompre la liaison radioélectrique (cage de Faraday) puis emprunte un car dans lequel il y dissimule son téléphone portable avant d'en redescendre et de rejoindre un lieu de rendez-vous convenu avec un automobiliste contacté via un site de covoiturage... Il a pris la précaution de laisser des indications sur Facebook donnant à penser qu'il est en route vers la Mongolie voisine. Dans les faits, il est en chemin pour rejoindre l'Ambassade de France à Moscou, où il dit avoir été accueillit fraîchement ! Pendant des jours, il consulte Internet, étudie les cartes et la meilleure manière de s'enfuir. Il lui faut faire vite car l'hiver approche. Sa décision arrêtée, il quitte l'Ambassade pour un périple d'un millier de kilomètres qui doit le mener dans une zone jouxtant la frontière avec un État balte. Le dernier point atteint, il lui faudra une dizaine d'heures pour franchir la frontière et s'annoncer aux autorités avant d'embarquer à bord d'un appareil à destination de la France. Le jeudi 9 novembre, il apparaissait sur Fr 2 face à Élise Lucet. Certains propos tenus lors de la conférence de presse laissent à penser que Yoann a profité de connaissances très particulières dispensées par des émissaires de la « boite »... Yoann a peut être été imprudent en déclarant : «  J'ai rencontré deux agents de la DGSE qui sont venus à Moscou travailler avec moi sur un scénario d'exfiltration.  »

Les «  informations  » distillées désignent l'Estonie comme pays probable pour le franchissement de la zone frontière. Si la saison est défavorable au tourisme, elle est parfaite pour ce genre de périple : la météo, la température, la nébulosité, les pluies, la visibilité, la végétation, etc., du mois de novembre sont idoines, et la mission «  Lynx  » mobilise 300 militaires français sur place ! Autant dire que les forces russes devaient être fortement mobilisées (plusieurs milliers de soldats russes sont affectés au contrôle des frontières avec les pays baltes), les militaires français ont d'ailleurs reçu l'ordre de se tenir à 5 kilomètres de la frontière...Le périple décrit doit être antérieur à la date supposée, diversion destinée à taire le lieu de passage, les modalités mises en œuvre, l'aide locale reçue, et qui vise à entraîner la partie adverse dans une fausse conclusion. Ce genre de « jeu » s'apparente à une partie de billard à plusieurs bandes, les frontières scandinaves et la Biélorussie sont également plausibles...

Le récit de Yoann Barbereau semble truffé d'incohérences, il parait extrêmement difficile de pénétrer et de sortir de l'ambassade sans attirer l'attention des gardes affectés à la Direction du service du corps diplomatique (toute personne entrante ou sortante est filmée et toutes les communications de l'ambassade sont enregistrées). L'homme n'aurait-il pas été logé dans un appartement situé à l'extérieur de l'ambassade ? Une cavale durant une année en parcourant plusieurs milliers de kilomètres en figurant sur la liste des personnes recherchées est-elle réaliste dans un pays dont la population reste méfiante à l'égard d'étrangers ?

Pour prendre la mesure de ce que peut représenter le franchissement clandestin d'une frontière, un court rappel de ce à quoi devait s'attendre tout agent s'apprêtant à quitter l'URSS dans les années 60-80. Le ressortissant étranger n'avait pas le droit de s'éloigner à plus de 40 kilomètres de son lieu de résidence sans autorisation, il se devait de suivre l'itinéraire annoncé sans s'arrêter et d'en respecter l'horaire... Les routes étaient surveillées par des postes de contrôle installés tous les cinquante kilomètres, et les véhicules étaient reconnaissables par une plaque minéralogique de couleur blanche afin de bien les différencier des autres voitures. L'heure de chaque passage était consignée et annoncée au poste suivant !

La frontière avec l'Ouest faisait l'objet d'une dizaine de rondes par nuit et aux horaires chaotiques. Plus de trois-cents miradors, des cylindres en béton de 10 mètres de hauteur pourvus d'une porte à leur base et surmontés d'une plateforme avec deux projecteurs, étaient en vue les uns des autres, chacun pouvant accueillir 6 gardes. La relève respectait une procédure stricte, le garde frontière arrivant descend du véhicule et rejoint le poste d'observation, le partant quitte son poste et rejoint le véhicule. Si la relève concernait six hommes, le scenario se répétait six fois. Les effectifs en surveillance étaient toujours au complet. En terrain plat, de petites constructions abritaient deux hommes armés, et les casemates blindées étaient pourvues d'ouvertures sur leur circonférence. Quand à la « Muraille de Chine », surnom donné au mur qui sectionnait des rues, des parcs, des cours d'eau, des immeubles, il comptait 13 000 kilomètres de fils électrifiés, 14 000 gardes frontière, recelait des champs de mines, des miradors, des mitrailleuses à déclenchement automatique, des blocs de béton de 15 centimètres d'épaisseur dont les fondations s'enfonçaient deux mètres sous terre. Par endroit, un no man's land large de 200 mètres était régulièrement aspergé d'herbicide et parcouru par des patrouilles et des équipes cynophiles (600 chiens), des réseaux de barbelés étaient immergés dans les lacs et cours d'eau pour s'opposer à leur franchissement !

Dans toute exfiltration, le secret reste la priorité numéro un. Le choix des modalités reste fonction : de la légende, de la couverture, de l'herméticité des frontières, de la situation géographique, des relations politiques et diplomatiques, des biomes (faune et flore typiques d'écosystèmes), la nature géologique, des conditions météo, hydrographiques, astronomique, de la distance à parcourir, du matériel transporté, des voies de communications avec les pays limitrophes, de la forme physique, etc. L'exfiltration peut avoir lieu par voie : terrestre - aérienne - maritime - fluviale - lacustre - ou combinée. Elle se doit de reposer sur : l'époque de la saison (température, nourriture, faune dangereuse) - la connaissance des mesures en place - des failles et des opportunités offertes - des horaires - points de passage obligés - des zones aveugles - de la couverture radars (aéronefs, navires) - des courants, marées - du matériel de vision nocturne ou thermique en dotation - la lunaison, etc. Les conditions pour le franchissement à travers une forêt de conifères de la région boréale sont différentes de celles d'une forêt tempérée décidue (arbres aux feuilles caduques).

Tout déplacement est soigneusement planifié, l'opérateur se doit à emprunter des itinéraires indirects. Le voyage peut se faire sous fausse identité, fausse nationalité et l'individu doit si possible, changer d'apparence et d'identité à chaque endroit différent où il « signe » son passage afin qu'on ne puisse suivre sa trace. Le séjour sur place est limité au minimum pour réduire les risques d'une découverte prématurée, à moins qu'il faille se fondre dans l'environnement pendant un certain temps pour assurer la couverture. S'il faut séjourner dans un lieu fixe, le faire de préférence chez un particulier ou nomadiser. S'il s'agit de louer une chambre, la louer sous une identité différente. S'il faut procéder à des achats, ce seront uniquement des achats indispensables. Pour les provisions, il faut privilégier une alimentation très énergétique sous un faible encombrement, fruits oléagineux, lait concentré, etc. Si le fugitif dispose de plusieurs jours pour se préparer, il choisira un régime alimentaire spécial permettant le stockage du glycogène. Pas question d'acheter un objet pouvant susciter la curiosité d'un vendeur un peu plus malin, et toujours payer en espèces. Ne jamais acheter du matériel qui sera utilisé pour l'exfiltration sur un site de vente par correspondance ou en ligne. Le fugitif fera ses achats indispensables et courants dans une grande surface ou chez un grossiste afin que l'achat soit « noyé » dans le volume des transactions commerciales. Si la caissière se trompe en sa défaveur, il s'abstiendra de lui faire remarquer l'erreur ce qui laisserait immanquablement de lui un souvenir, d'où un signalement possible. De même, il faut éviter d'engager la conversation. Il faut devenir un individu quelconque de couleur passe-muraille.

Le fugitif peut passer par un poste secondaire, emprunter un itinéraire indirect qui lui évitera tout poste-frontière. Hormis le risque d'une rencontre avec la douane « volante », l'individu court peu de risques à être découvert. Une méthode éprouvée, utiliser : cars, paquebots de croisière, embarquer à bord du yacht d'un tycoon, d'un cargo, emprunter les réseaux de transports frontaliers qui assurent la navette, le covoiturage, location d'un taxi local, le parapente, etc. Il est cependant fortement déconseillé d'emprunter une filière d'immigration clandestine, criminelle, ou l'aide d'opposants. Le risque de découverte est accru et certaines de ces filières regorgent de mouchards ou d'escrocs.

Lors d’une progression dans une vallée ou en terrain plat, il est particulièrement dangereux de les traverser, ces zones peuvent être placées sous observation. Heureusement qu'un terrain parfaitement « plat » ne l’est jamais tout à fait. Il y a toujours des petites dépressions qu’il faut savoir repérer et exploiter. Le camouflage doit être conforme à la zone à franchir, et toute pièce d'équipement qui « bringuebale » doit être fixée. De progresser sous le vent, de préférence avec le soleil dans le dos, mais sans oublier que l'ombre facilite et précède l'apparition de la silhouette (ombre projetée). Il faut se retourner de temps en temps pour confirmer la route suivie, déceler à temps un éventuel poste d'observation qui serait resté inaperçu de l'axe de progression, prendre garde aux traces produites (voir l'article sur les battues et celui sur les recherches cynophiles).

La progression furtive liée à une infiltration en zone insécure ne s'apprécie pas en terme de distance parcourue. Tout n'est que lenteur, on n'a jamais vu un buisson se déplacer ! On peut ne progresser que de 50 mètres à l'heure ! oui, vous avez bien lu. On utilise d'ailleurs une forme de rampé très particulière. La prudence et la patience commandent seules la vitesse et l'opportunité du déplacement. Si on rampe le ventre collé au sol pour passer inaperçu (il y a quatre types de rampés), il ne faut surtout pas relever la tête pour consulter la direction à suivre, il faut l'avoir anticipé. Le soleil, la lune, le vent doivent suffire pour s'assurer de la direction suivie. Pour le déplacement debout, on a le choix entre trois types de progression, quelle que soit la marche, il ne faut jamais traîner les pieds, toujours regarder où on les pose, et veiller à poser la pointe des pieds en premier. Il faut être capable de marcher sur des « œufs » ou sur du papier toilette mouillé sans le déchirer ! Certains centres d'instruction militaire disposent d'une « piste du silence », sorte de parcours du combattant qui consiste à franchir des obstacles et des variétés de terrains silencieusement...

Le fugitif averti peut utiliser deux types de contre-mesures afin de ne pas révéler son passage ni sa présence. Les contre-mesures actives : ne jamais emprunter deux fois le même itinéraire - faire un détour pour éviter tout passage obligé - changer souvent de direction pour semer la confusion - ne jamais emprunter un chemin trop évident ni le plus facile. Les contre-mesures passives : ne pas uriner n'importe où - écarter sur son passage les branches rencontrées - entretenir son camouflage - respecter une discipline bruit, lumière - effacer ses traces - enrober ses chaussures de bandes de chiffon pour en modifier la forme. Recommandation complémentaire, changer souvent l'axe de progression et revenir sur ses pas selon des figures bien particulières..., s'immobiliser pour écouter s'il y a traque. Dès que le terrain est propice à dissimuler la trace, on fait un « bond » latéral pour rejoindre le nouveau cheminement en s'assurant de ne laisser aucune trace exploitable, ensuite on reprend la marche. S'il s'agit d'un binôme, le coéquipier continue la piste initiale sur une cinquantaine de mètres de façon à créer une fausse piste.

Avant d'aborder une zone supposée dangereuse, surveillée, ou tout point de passage obligé, on effectue un mouvement qui tout en permettant une reconnaissance hâtive, permet d'établir un poste d'observation. Avant de couper un chemin, une ligne de crête, et de le traverser en profitant au mieux du terrain (virage, dénivelé, ombres, etc.), il faut s'arrêter à couvert et écouter avant d'entreprendre de le franchir. Il faut masquer l'approche en profitant des moments de la journée ou de la nuit durant lesquels le bruit ambiant est le plus propice à couvrir ses propres bruits, et savoir tirer profit des petites contingences naturelles de tout adversaire, uriner, manger, sieste, coups de pompe vers les 3 heures, dérangement par un camarade ou un insecte, aveuglement des phares d'un véhicule.

Un récit recèle souvent des informations pouvant être interprétées sous différents éclairages. Pourquoi l'implication du FSB pour une affaire de mœurs ? Pour quelle raison Daria Nikolenko épousée en 2008 a ouvert une affaire personnelle le 06 juin 2010 à St-Sébastien-sur-Loire (44230) pour la fermer en 2011 ? Quel motif a poussé Daria, avec laquelle il était en instance de divorce (2014), a rejoindre Londres, et de quels subsides vit-elle ? Qui a prévenu le reporter de Fr2 venu l'attendre à Roissy ? Son père a déclaré au journal La Croix, que son fils : « se plaignait que le FSB traquait les activités de l’Alliance française d’Irkoutsk ». En mars 2013, l’agence de presse Ria Novosti a rapporté que les ONG œuvrant pour la protection des droits de l’homme et les antennes de l'Alliance françaises faisaient l’objet de vérifications. L'Alliance française qui compte 800 bureaux à travers le monde, fut bannie en 1948 d'un pays d'Europe de l'est pendant quatre décennies, allez savoir pourquoi...

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