Guillaume Dasquié contre les hommes de l’ombre

par ccomp
mercredi 12 décembre 2007

Tout le monde s’accorde sur le sort du (pauvre) journaliste. Alors il fallait qu’un « ancien » se charge de défendre les services secrets.

Après 40 heures de garde à vue, Guillaume Dasquié a enfin cédé et donné le nom de sa (ses) source(s). Alors, l’on peut voir dans les médias un élan populaire en faveur du gentil journaliste et des méchants services secrets. Que les journalistes soient bien conscients de la faveur qu’on leur accorde car, depuis quelques temps, il n’est plus question de dénonciation anonyme, de délation. Cependant, les journalistes, eux, peuvent continuer de protéger leurs sources, donc anonymes de tous - sauf d’eux - et protégés par la loi. Mais, la loi est toute relative car, même si le droit à la propriété est inaliénable, devant l’intérêt national, il fait pâle figure.

Alors l’on peut se demander ce que les services secrets avaient à cacher. Beaucoup de choses, sinon cela ne serait pas des services « secrets ». Et que cela ne fasse pas plaisir aux médias ou à la population - la première à réclamer qu’on ne s’immisce pas dans sa vie privée - n’a rien d’étonnant mais est, malgré tout, nécessaire.

L’on a beaucoup bavé et craché sur les services secrets sans souvent comprendre le contexte, en ayant une idée toute faite de la situation. L’on entend rarement parler des services secrets français, et pour cause. C’est à cela qu’on reconnaît les bons services secrets, ceux dont on n’entend jamais parler. Et ces services français sont très performants par rapport au budget qu’il leur est alloué. Car la force des services secrets français repose sur l’information humaine, c’est-à-dire des personnes haut placées, connaissant bien leur sujet qui fournissent des informations pour le compte des services français. Il faut bien être conscient qu’il ne s’agit nullement d’informations provenant d’une personne ayant un contact qui connaissait le frère de la nounou. Il s’agit d’ingénieurs, de scientifiques, de personnes en contact avec des informations sensibles... Bref, des informations obtenues autrement que par des écoutes téléphoniques ou des filatures. Et ce potentiel, malheureusement souvent sous-exploité, s’est avéré d’une extrême utilité dans les heures les plus sombres de notre histoire. Songez que trois jours après une réunion d’état-major d’Hitler en 1935, les services secrets français avaient entre leurs mains le procès verbal de cette réunion, transmettant ainsi au gouvernement de l’époque le plan de bataille d’Hitler, de la campagne de Pologne jusqu’à la campagne de France. Et, le plus terrible dans cette histoire est que nous savions ce qu’il fallait faire pour dissuader notre adversaire de nous attaquer... mais le gouvernement d’alors n’a rien fait ! Imaginez aussi le sentiment d’impuissance que ces services ont eu lorsqu’ils ont vu le destin s’accomplir... Et pourtant, ils n’ont pas baissé les bras, ils ont redoublé d’effort car la nation avait encore besoin d’eux, une fois de plus.

Songez aussi que pour faire partie de leurs services, il faut être au-dessus de tous soupçons, non seulement pour vous-même, mais aussi en ce qui concerne votre famille - sur deux générations - et vos fréquentations. D’autre part, pour être habilité secret-défense ou confidentiel-défense, l’on doit signer un document dans lequel l’on s’engage à ne pas divulguer d’informations, où l’on refuse aussi de témoigner dans le cadre d’un procès et un certain nombre d’autres choses, et cela pendant un certain nombre d’années encore après le service. L’on renonce à des droits que tout un chacun considérerait comme fondamentaux... et pourtant.

Alors, lorsqu’une personne de l’intérieur commet l’irréparable en divulguant ou permettant de divulguer un document confidentiel-défense, cela signifie qu’une personne a trahi sa propre parole. Car les services secrets le savent bien mieux que les autres, vu qu’ils comptent à la fois sur la faiblesse des autres pour divulguer les informations sensibles, mais ne permettent pas que leurs propres éléments puissent faillir.

Mais l’on peut se demander si la source qui a trahi sa propre parole à l’encontre de son pays est une source fiable sur laquelle peut se reposer un journaliste...

Alors oui ! Un journaliste devra apprendre que la liberté de la presse a des limites. Tout comme « le journalisme d’investigation spécialisé sur la raison d’Etat constitue à mes yeux un garde-fou indispensable pour notre démocratie. Il participe à nourrir l’esprit critique des citoyens éclairés. Et à ce titre, il représente un gage de sécurité plus important, plus fondamental encore, que tous les pelotons de la DST réunis », posons-nous les bonnes questions ! Est-il bon que le journalisme d’investigation puisse tout dire et tout faire sans jamais rendre de comptes ? N’est-ce justement pas contre cela qu’il se bat ? Refuserait-il alors de s’appliquer les règles qu’il tente d’imposer aux autres ?

Mais pour un journaliste qui tombe aux mains de terroristes, qui est pris en otage, échangé ou tué, il y a dix hommes de l’ombre qui œuvrent pour la sécurité et la défense nationale. Il y a dix hommes qui risquent leur vie et qui ont en charge la vie et le secret de l’identité des « taupes ». Il y a dix personnes seules, que personne ne pourra aider en cas de danger et qui ne devront compter que sur le seul courage, leurs seules capacités et leur sacrifice. Et lorsque le journaliste revient vivant, en héros, l’homme de l’ombre, lui, repart une nouvelle fois, pour une autre mission... sans jamais avoir de reconnaissance publique.

Alors, il est vrai qu’il est plus facile de critiquer, de cracher et de baver. Mais ce n’est ni sur les services qu’il faut cracher, ni sur le journaliste, mais sur celui qui a vendu des informations sensibles, qui a trahi sa parole et son pays.

 
Crédit photo : AFP
 


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