Hannah Arendt : la banalité du mal

par Ariane Walter
mardi 14 mai 2013

« Hannah Arendt » est le dernier film de Margaret von Trotta, cinéaste engagée.

C'est un film remarquable que je ne saurais trop recommander. Film brûlant qui évoque l'histoire et le présent, notre présent. On en sort les tripes nouées.

L'histoire est donc celle d' Hannah Arendt, philosophe allemande, auteur de "L'origine du totalitarisme". Apprenant qu'Eichmann va être jugé à Jérusalem, elle propose au New Yorker de suivre le procès.

Un des points forts de ce film est d'utiliser les documents de l'époque et de nous montrer Eichmann, avec ses tics, dans sa cage de verre. Il était indispensable que nous le voyions pour comprendre la thèse brûlante d'Hannah. Alors que tous les juifs dont les familles ont été martyrisées, anéanties dans les camps de la mort, s'attendent à voir un monstre, souhaitant qu'on leur dise que cet homme a été capable, consciemment, d'accomplir le summum de l'horreur, la conclusion d'Hannah Arendt va être totalement différente. Cet homme est un homme ordinaire, banal, qui s'est contenté d'obéir sans haine particulière, sans aucun antisémitisme. On lui aurait fait envoyer à Dachau des Sioux, des Berbères ou des poulets, il aurait agi de la même façon.

La banalité du mal. L'obéissance aux ordres. Sans questionnement. Sans état d'âme.

La force de ce film est, nous montrant Eichmann, de valider cette thèse.

Laquelle, en son temps, a soulevé une haine effroyable contre son auteur. Les siens l'ont jugée traître. Ils l'ont accusée d'excuser l'inexcusable.

Hannah Arendt, comme Antigone, fait face à la Cité et refuse que les règles de la communauté, temporelles, l'emportent que celles qui sont éternelles, ici, non la religion, mais la Raison.

En publiant « Eichmann à Jérusalem » qui résumera ses articles pour le New Yorker, elle perdra quantité de ses amis qui ne supporteront pas, la traitant de pute nazie, qu'elle absolve ainsi ce criminel. Il devait, il ne pouvait être que monstrueux.

Plus encore, dans cette rigueur de pensée qui la caractérise, Hannah Arendt évoque le souvenir des conseils juifs qui ont aidé le système. Là, pour ses compatriotes, la ligne interdite est franchie.

 

Ce film, remarquablement interprété par Barbara Sukowa, nous bouleverse tant on le sent en prise directe avec l'actualité.

Nous aussi, nous vivons une époque où de simples bureaucrates obéissent sans se poser de questions.

 

Il m'est venu à l'esprit la fameuse scène où, dans « I comme Icare », des hommes , dans le cadre de l'expérience de Milgram, finissent par torturer d'autres hommes parce que leurs supérieurs le leur demandent.

 

Il m'est venu à l'esprit cette époque où Qin Shin Huangdi, premier empereur de Chine, s'appuyant sur la philosophie des légistes, affirmait que la seule morale était l'obéissance à la loi . Qin Shin Huangdi disait à ses soldats : « Si tu m'obéis sans te poser de questions, tu feras le bien. Le mal, c'est me désobéir et tu seras puni. Ma loi est le bien. »

Ceux qui résistent, les Confucéens, seront jetés au feu avec leurs livres. Quand Qin Shin Huangdi demande 80 000 têtes au soir d'une bataille, il les obtient.

Dans ce monde-là, il n'y a plus de conscience du bien et du mal. Il n'y a plus d'individu contredisant la masse. Il n'y a qu'un peuple qui a pour seule morale l'obéissance.

 

Ne vivons-nous pas une époque où une multitude de bureaucrates obéissent à un système sans se poser de questions ?

Ne sortent-ils pas tous les jours des plus grandes écoles, formés à obéir à des théories pour qui l'humain n'est qu'un rouage de la sainte machine de la croissance ? Quels sont les bureaucrates qui donnent des ordres aux armées, sans avoir jamais vu couler une goutte de sang ? Quels sont les bureaucrates qui, pianotant sur leurs écrans pour donner satisfaction à des actionnaires, ignorent que mille personnes, à des milliers de kilomètres de là, sont écrasées sous une masse de béton , parce qu'il faut simplement un peu plus de bénéfices ? Parce que c'est la loi à laquelle ils obéissent ? Ont-ils fait des études ? Connaissent-ils l'Histoire ? Savent-ils à quelle armée ils appartiennent ? Quelle responsabilité est la leur ? 

 

Nous aimons bien cette idée, comme les Juifs de la Shoah : ce sont des monstres qui nous tuent. Non. Ce sont des hommes qui n'ont plus le sens du bien et du mal car le système dans lequel ils sont engagés leur demande simplement d'obéir.

 

Je voudrais m'adresser aux députés et aux sénateurs socialistes qui, pour beaucoup , je l'espère , sont de gauche, c'est à dire ont une notion du bien et du mal qui est favorable au peuple et non au capital.

Ces députés sont soumis, depuis un an, à une bureaucratie, appelée gouvernement, qui exige d'eux qu'ils ne réfléchissent plus mais qu'ils se soumettent à des ordres qui n'ont rien à voir avec leurs racines.

On leur demande , comme dans « I pour Icare », de libérer des charges de plus en plus violentes et mortelles.

On leur interdit de réfléchir. On décide même de se passer d'eux.

 

Députés et sénateurs socialistes, ne soyez pas des bureaucrates.

N'obéissez pas.

Et si vous avez des doutes, allez voir ce film : « Hannah Arendt ».

 


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