Hezbollah : inexcusable indulgence française

par PAF 2.0 (Politique arabe de la France)
mercredi 2 novembre 2005

La condamnation politique et médiatique du discours du président iranien Ahmadinejad fait ressortir, par contraste, la formidable indulgence (voire la sympathie), médiatique mais surtout politique, dont bénéficie en France le petit frère de l’Iran des Gardiens de la Révolution : le Hezbollah.

À la conférence de Téhéran, où Ahmadinejad a déclaré vouloir "rayer Israël de la carte", le chef du Hezbollah a fait lire un message dont personne n’a bien voulu parler. Hassan Nasrallah y disait : "Nous réunirons tous les moyens pour anéantir le régime qui occupe Qods." (source : AFP) Le Hezbollah, comme l’Iran, vise en effet la destruction de l’État d’Israël, comme le disent, par exemple, la BBC et le Parlement australien, et comme le message cité par l’AFP le rappelle.

Il faut en effet rappeler que le Hezbollah est une émanation de la Révolution iranienne, c’est même son produit d’exportation le plus "réussi" jusqu’à présent. Ce sont des Gardiens de la Révolution, les Pasdarans, qui sont à l’origine de la création du Hezbollah, au Sud-Liban en 1982, dans la foulée de l’invasion israélienne. Depuis, l’Iran finance, entraîne, arme son petit frère.

Pourtant, la diplomatie française est aussi molle face au Hezbollah qu’elle est ferme face à la Syrie ou (dans une certaine mesure) aux déclarations du président iranien. C’est ce qu’indique, par exemple, sa réaction au dépôt, la semaine dernière, du rapport de Terje Roed-Larsen, chargé du suivi et de l’application de la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l’Onu, pourtant présentée par la France avec les États-Unis. Roed-Larsen n’a pu que constater que le Hezbollah n’avait pas entamé de processus de désarmement. Le porte-parole du Quai d’Orsay résumait ainsi la position française sur la question :

Il y a la résolution 1559, qui prévoit le désarmement de toutes les milices libanaises et non libanaises. Il y a le souhait que l’État libanais puisse asseoir son autorité sur l’ensemble du pays. En même temps, il y a la réalité politique du Hezbollah, dont on sait qu’il a des élus au Parlement, et dont on souhaite encourager l’évolution.
On voit donc que la France, qui n’a jamais eu beaucoup d’enthousiasme pour cet article de la résolution 1559 relatif aux milices, n’est pas très pressée, parle d’un "souhait" face à une "réalité". Pas de quoi, pour le Hezbollah, se sentir sous la pression de la communauté internationale (où la volonté française est décisive sur les questions relatives à la Syrie et au Liban, comme on le voit en ce moment pour la Syrie justement). Or cette pression de la communauté internationale est nécessaire puisque, justement, le Hezbollah est puissamment armé et peut facilement intimider les autres groupes.

Autre signe de l’indulgence française : la distinction que continue de faire le Quai d’Orsay entre les activités militaires d’une part, et politiques et sociales de l’autre, de l’organisation chiite pro-iranienne, distinction destinée à souligner la "complexité" de la question, et l’impossibilité de qualifier le mouvement dans son ensemble de "terroriste" (et de le classer ainsi sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne). Cette distinction a été mise en pièces à plusieurs reprises, et tout dernièrement encore, par le rapport annuel 2004 des services de sécurité intérieure et de renseignements des Pays-Bas. Page 19 de ce rapport, ce constat simple, limpide :

"Investigations have shown that Hezbollah’s terrorist wing, the Hezbollah External Security Organisation, has been directly and indirectly involved in terrorist acts. It can also be concluded that Hezbollah’s political and terrorist wings are controlled by one co-ordinating council. This means that there is indeed a link between these parts of the organisation. The Netherlands has changed its policy and no longer makes a distinction between the political and terrorist Hezbollah branches. The Netherlands informed the relevant EU bodies of its findings."
On pourrait ajouter que non seulement il y a un lien entre les différentes parties de l’organisation, mais qu’elles sont toutes orientées au service des activités terroristes. Les activités sociales (allègrement financées par l’Iran) permettent au Hezbollah de s’acheter la fidélité de centaines de milliers de chiites pauvres, ce qui lui procure une base destinée à garantir la pérennité de ses activités militaires et lui permet d’imposer au Liban ses buts de guerre (la destruction d’Israël), imposés par Téhéran et approuvés par Damas. On en a la preuve en ce moment même où le gouvernement libanais est tenu par la résolution 1559 de désarmer le Hezbollah, alors qu’il a deux de ses membres qui appartiennent au groupe terroriste !

Cette indulgence française est d’autant plus incompréhensible et inacceptable que le Hezbollah a déjà commis des attentats terroristes contre des Français, notamment l’attentat du Drakkar à Beyrouth, en 1983, qui a coûté la vie, par un attentat suicide, à 58 militaires français, membres de la force multinationale de maintien de la paix.

Mais à quoi bon cette indulgence ? Il y a bien sûr la sympathie que cette organisation suscite en France dans certains milieux (et dont le récent article de Mouna Naïm du Monde est une illustration sur laquelle je ne souhaite pas ici m’attarder). Mais il s’agit aussi pour la diplomatie française, engagée dans une tentative délicate consistant à faire sortir la Syrie du Liban tout en limitant, autant que faire se peut, les gains géopolitiques que les États-Unis pourraient tirer de cet affaiblissement syrien, de ménager une organisation qui nuit puissamment aux intérêts américains dans la région.

Le cynique calcul français a bien été perçu par le Hezbollah lui-même, qui s’emploie lui aussi à ménager la France, lui manifestant donc une indulgence en retour. Vendredi dernier, lors de l’annuelle « journée d’al-Qods » (instituée par Khomeiny pour dénoncer « les crimes sionistes », et que le Hezbollah promeut au Liban), Nasrallah a justement prononcé un discours très intéressant de ce point de vue.

Il a haussé le ton dans sa défense de la Syrie, et a lancé des salves contre l’Onu et ses rapports Mehlis et Roed-Larsen, ainsi que contre les États-Unis et Israël qui "instrumentalisent", "manipulent", "profitent", etc. La France, pourtant très en pointe contre la Syrie, et sans qui rien ne pourrait se faire à l’Onu sur ces sujets, n’a tout simplement pas été citée par Nasrallah !

On peut donc se poser la question : y a-t-il un pacte de non-agression entre le Hezbollah et la France, dans lequel chacun aurait fait le choix de ménager l’autre ? Voici qui fait en tout cas les affaires d’un Hezbollah qui avait déjà exprimé des avances publiques à la France au printemps dernier avec la fameuse lettre de Nasrallah à "un ami français" et qui ne rêve que de casser l’actuelle alliance franco-américaine (encore solide) au Levant.

Tout oppose la France et le Hezbollah  : le Hezbollah est une organisation intégriste qui déteste l’Occident, qui a du sang français sur les mains, dont la France a dû interdire la télévision (Al-Manar) d’émettre sur son territoire pour cause d’antisémitisme, qui défend les intérêts syriens au Liban contre la France, qui soutient les groupes palestiniens les plus extrémistes contre Mahmoud Abbas que pourtant la France veut renforcer. Le Hezbollah est né de la même idéologie que celle qui a fait tenir ses propos "révoltants" au président iranien. Pourtant, la France ménage le Hezbollah. Il est temps que cela cesse.


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