Histoires de petites violences

par alinea
samedi 4 août 2012

Que celui qui n'a jamais crier sur son conjoint, qui n'a jamais secoué son gosse, qui n'a jamais pointé le majeur à l'adresse de celui qui lui avait grillé la priorité ou qui l'avait injurié d'avoir, lui-même, grillé la priorité, que celui qui ne s'est jamais énervé sur son chien, que celui qui n'a jamais fait tombé une pile d'assiettes, geste désespéré, qui ne s'est jamais tailladé les poignets, qui n'a jamais hurlé ou étouffé son cri dans son oreiller, qui n'a jamais répondu méchamment, qui n'a jamais souhaité la mort, longue et douloureuse, de personne, se présente.

La violence fait partie de nous du simple fait que nous avons tous, à un moment ou à un autre, des fatigues, des impuissances, des colères...

La violence est l'expression, non maîtrisée bien sûr, et stérile de notre énergie.

Hormis les punching-ball – il y en a – et les grands sages, rares sont ceux qui n'ont jamais, jamais, eu d'accès de violence !

Nous en sommes à la violence ordinaire, bien sûr, je ne parle pas là de meurtres, de barbarie, de guerres,etc.

Je parle de cette violence qui semble toujours prête à surgir, à la moindre occasion, de ces petites choses du quotidien qui nous pourrissent la vie.

Notre vie très privilégiée, d'occidentaux nantis.

Le violence est une énergie vitale qui n'arrive pas à s'exprimer positivement mais c'est aussi un instinct de défense.

Le tout, est de savoir quand et pourquoi on se sent agressé !

Et c'est assez intéressant de constater que nous n'avons pas, les uns et les autres, la même limite d'acceptation.

Un soir que je sortais d'une journée de merde – c'est pas très joli, une journée de merde, mais tout le monde comprend ce que c'est car tout le monde en a eu, et ça évite de détailler, sans compter qu'aujourd'hui je n'ai plus aucune idée du pourquoi de l'humeur !-, devant passer à la supérette locale, je m'arrêtai au rappel de priorité du petit chemin d'où je venais au carrefour de la route principale. Je n'avais aucune envie d'aller faire des courses, j'avais juste envie d'être quelqu'un d'autre dans une autre histoire, mais je devais attendre que les lambins qui, dociles, roulaient à cinquante à l'heure, passassent devant moi ; comme je ne conduis pas une ferrari, il m'était difficile de déboucher sans gêner : et j'ai horreur de déranger ! Au bout d'un temps qui me parût interminable, la dernière voiture fut en vue ; j'avais vraiment le sentiment qu'elle ralentissait, comme pour prolonger mon calvaire et, à son passage, je fis des signes d'agacement très explicites.

Quelques instants plus tard, je sortais de ma voiture, sur le parking du magasin, quand un type s'approcha de moi ; il émanait de lui un calme, une évidence qui fit tomber ma mauvaise humeur ; mais je ne savais pas pourquoi il s'approchait de moi !

« Vous aviez l'air énervée tout à l'heure » me dit-il, « mais vous comprenez bien que la vitesse est limitée,etc. ».

Je me suis confondue en excuse, avouant ma mauvaise humeur, mon agacement mais n'entérinai ni la mauvaise humeur, ni les excuses.

Nous avons parlé à peine une minute ! Et la seule chose que j'ai pensé, c'est que j'aurais bien aimé avoir un mec comme ça !!

Voilà : désamorcer la violence de l'autre ; ne pas agresser, ne pas être condescendant : c'est un langage que tout le monde comprend. C'est un langage qui se passe même des mots, une attitude qui fait tomber les bouillonnements de votre soupe au lait.

Une autre fois, en rôles renversés, un jeune type s'est littéralement jeté devant ma voiture ; je roulais doucement dans une rue du village et pour quelques raisons que ce soit, je le dérangeais. Je me suis arrêtée, je lui ai souris sans provocation et j'ai senti à la manière dont il finissait son trajet qu'il aurait bien aimé avoir à en découdre et qu'il était tout étonné de ne pas avoir reçu d' insultes.

Nous avons tous nos zones d'indignation, nos limites qui, franchies, provoquent notre violence.

J'ai eu, pendant quelques mois, un petit voisin qui vivait en colocation avec un couple de copains. Quand sa copine venait, j'entendais des cris, des engueulades, des portes claquer, sa voix qui se casse quand il se jette à ses pieds, lui demande pardon et l'implore de rester.

Il avait pris un chiot ; et pas n'importe lequel : un blue american staff !

Moi qui sauterais à la gorge de quiconque tuerait une couleuvre devant moi, je l'ai surpris plusieurs fois à hurler sur ce chien, je l'ai vu le battre. Mais je n'ai rien dit, interdite. Ce gosse était lui-même tellement écorché vif, un gosse battu c'est sûr, que le problème me dépassait et je ne savais plus si je pleurais sur le malheur du gosse ou sur le malheur du chien !

Et je comprenais que toute la part que l'on faisait au chien était un exutoire , de nos malheurs, de nos rêves...de nos manques. Et je n'y pouvais rien.

Naguère, les violences étaient dues à la dureté de la vie : l'homme était dur avec ses bêtes comme il était dur avec lui-même ; il était dur avec ses enfants, avec sa femme, de la même manière.

Mais le confort venant, nous n'avons pas éradiqué cette violence-là.

C'est à peine si nous savons la maîtriser de temps en temps.

Et face à cette violence, il ne s'agit pas d'être « tolérant » mais bien de voir que l'être le plus soumis par ailleurs est le plus violent là.

La violence est partout, tout le temps, elle est le signe de notre aliénation, on en suffoque et s'en offusquer est bien la pire des choses !

Je suis convaincue que la violence remonte à des causes lointaines, du plus loin de notre enfance.

Et puis, bien sûr, tout cela se vit différemment selon de quel côté de la richesse on est !

Un bourgeois, une bourgeoise, un nanti, une nantie, aussi se font rouler ! Aussi ils se font insulter. Mais leur dignité est plus facile à s'afficher , ils ont plus de répondant s'ils se sentent vraiment lésés !

Une agression les touche, comme vous ou moi, mais ils ont plus d'aise à ne pas réagir, ils ont recours à leur supériorité protectrice.

Il n'est qu'à voir tous ces hommes politiques, qu'on pense traînés dans la boue, et qui font montre d'une réaction telle qu'on est amené à les croire innocents... mais c'est un autre problème !

Néanmoins, il est bien évident qu'un régime politique ou un autre favorisera la puissance d'agir ou, au contraire, l'impuissance.

Dans un monde qui a réinventé l'esclavage, tout en faisant croire du contraire, dans un monde où l'on n'arrive pas à trouver le « responsable » de quoique ce soit, il est clair que l'expression violente de notre impuissance est à son comble.

Mais il y a aussi cette violence-là :

Au bal des gueux à Montpellier- ce carnaval ouvert ( off !) où la ville offre ses espaces à qui veut, sans organisation d'aucune sorte, pour un vrai carnaval- deux jeunes étudiants, bien sous tous rapports, se promenaient sans participer à la fête parce qu'ils n'y connaissaient personne ; mais ils écoutaient les musiques, et regardaient les scènes de rue. Plus tard dans la soirée, les gueux avaient déjà pas mal bu et, ça et là, des échauffourées s'esquissaient, sans grandes violences néanmoins. Soudain, des dizaines et des dizaines de flics déboulèrent d'on ne sait où, comme une nuée d'étourneaux, et se ruèrent sur les joyeux fêtards ; ils cognaient, jetaient à terre et, quand l'ivrogne se trouvait à terre, qu'il fût mâle ou femelle, ils tapaient dedans à grands coups de pieds.

Nos deux jeunes gens, pétrifiés, regardaient la scène d'une violence inouïe, bouche ouverte, quand soudain, ils furent pris par derrière, bras tirés dans le dos pour les immobiliser, et reçurent plusieurs coups de matraque. Luxation de l'épaule, contusions en tous genres et pas mal de bleus.

Ces flics, qui se défoulent sur des jeunes gens, ça vous fait penser à quoi ?

Des flics qui s'attaquent à deux jeunes témoins immobiles ?

Et quoi ?

Ces deux étudiants avaient le droit de déambuler une nuit de fête ; du reste ils n'ont été ni interpellés ni agressés par aucun des « gueux » ; les gueux, ils avaient tout à fait le droit d'être là puisque la ville leur était offerte pour une nuit !

Et les flics ?

Les étudiants et les gueux ont été tabassés par les flics. À ma connaissance, histoire sans suite !

Les gueux ont dû décuvé.

Les étudiants, eux, ont été choqués, mais innocents, dans leur essence, ils ont, ce soir-là, appris du monde dans lequel ils vivent.

Ils n'ont pas cherché réparation, se sont remis de leurs maux.

Si tout le monde est susceptible d'être victime d'agression, quelle qu'elle soit, tous ne réagissent pas de la même manière.

Plus l'homme est libre, bien dans sa peau et authentique, plus cette agression sera véritablement oubliée, sans traumatisme : le traumatisme n'est qu'une atteinte à un ego fragile, construit, non seulement de manière factice mais qui, nourri par l'extérieur, par l'image qu'il donne, par la certitude du respect qu'il mérite a priori, ne trouve plus en lui matière à se transformer par les épreuves ; il se fige, s'arc-boute et souffre d'autant plus de la peur subie qu'il n'en comprend pas les rouages profonds.

On peut subir la violence mais on peut, bien involontairement la provoquer. Il suffit pour ça d'être au mauvais endroit au mauvais moment, de la mauvaise manière.

« Quand un homme porte une charge sur son dos et malgré cela , voyage en char, il incite par là les voleurs à s'approcher ».

Porter une charge sur son dos est le propre de l'homme vulgaire. Un char est la propriété d'un homme éminent. Quand un homme vulgaire utilise le bien d'un homme éminent, les voleurs songent à le lui ôter.

Quand quelqu'un est insolent envers ses supérieurs et dur envers ses inférieurs, les voleurs songent à l'attaquer. Une surveillance relâchée pousse les voleurs à commettre un vol. L'élégante parure d'une jeune fille incite à lui dérober sa vertu.

Il est dit dans le Livre des Transformations ; « Quand un homme porte une charge sur son dos et malgré cela voyage en char, il incite par là les voleurs à s'approcher, car c'est une invitation faite aux voleurs. » Tsie

Le monde, la police, les lois se doivent alors d'intervenir pour protéger !

Nous construisons donc un monde procédural, dont les États-Unis ont donné le ton !

Mais la police ni les lois n'ont raison !

Je voudrais terminer ce petit texte par des paroles de Martine Barrat, que je donnerai de mémoire.

Martine Barrat est photographe ; elle a fait des photos magnifiques du Bronx où elle a fini par se faire des amis et se faire adopter. Son humilité est incroyable, elle dit qu'elle est arrivée là, sans rien demander, sans rien vouloir, avec juste, au coeur une curiosité. Cette attitude lui est naturelle, elle n'avait aucune volonté de se faire valoir, ni ici ni ailleurs ; elle n'avait en tête aucun « bon coup » à monnayer ; elle était juste elle-même, femme, blanche, dans le Bronx ou dans la jungle inconnue ou elle a rencontré les FARC ou d'autres prétendus terroristes. Et son attitude l'a inscrite d'emblée dans le coeur de ceux qui sont devenus ses amis.

« Un homme noble humble dans son mérite mène les choses à bien. Fortune ; »

Le Maître dit : « Lorsque quelqu'un ne se glorifie pas de ses efforts et ne fait pas mérite de ses vertus, il possède la grandeur suprême. Cela signifie qu'avec tous ses mérites, il se place au-dessous des autres. Magnifique de nature, respectueux des moeurs, l'homme humble est plein de mérite et c'est pourquoi il peut maintenir sa positions. » Ta Kouo


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