Hommage à mon chat, ce « petit être » qui a partagé notre vie ... et l’a changée aussi
par Jérôme Henriques
lundi 21 novembre 2022
Nous t'avions rencontrée, une première fois, chez notre kiné. Sa chatte venait d'avoir des petits et elle cherchait à les faire adopter. Chat noir, plus difficile à faire adopter. Chat fragile aussi : dans ton panier, tu étais souvent "seule dans ton coin" et il fallait parfois te replacer contre ta maman pour que tu puisses téter. Chat exclu, différent, fragile : parfait pour nous. Ton nom sera Lilo.
Quand on t'a récupérée deux mois plus tard (à la fin du sevrage), tu n'étais guère plus grosse qu'une mascotte de porte-clé. On te surnommait "la crevette", "la boule de poil" ou encore "notre petite crotte noire". Du fond de ton couffin, on entendait à peine tes miaulements : lointains, aigûs, presque des ultrasons ... Tes activités favorites à ce moment là : courir, sauter sur tout et n'importe quoi, tourner en rond en essayant d'attraper ta queue, nous agripper aux chevilles depuis le dessous du lit (dès qu'on posait le pied par terre le matin au réveil) ou encore "téter dans le vide" en faisant les patounes sur nos ventres (ou sur ta peluche "panda").
Chaton tu nous a fait mille conneries. Comme ces pipis dans la corbeille de sacs plastiques, ces rideaux transformés en murs d'escalade, ces stores esquintés, ces chaises/paniers en osier déchiquetés, ces nombreux objets balancés/cassés sur le sol (Noon, pas la laaampe ! Nooon, pas nos figurines en résine, putain tu fais chier Lilo !), ces pots de fleurs déterrés, ou encore, cette fois où tu avais sauté dans une assiette de sauce tomate pour ensuite secouer tes pattes contre le mur.
Mais notre souvenir le plus prégnant restera sans doute celui de l'été 2003. Chaleur caniculaire, en appartement, dans un immeuble jouxtant une série d'immeubles voisins. Et toi qui décide, cet été là, d'aller visiter les balcons et appartements voisins, la nuit, via les fenêtres restées ouvertes pour l'occasion. Tantôt l'appartement mitoyen, tantôt un autre un peu plus loin ... et moi en bas, dans la rue, essayant de te localiser. "Il est à vous ce petit chat ? Ok, je vous le descends." On refusait de t'enfermer dans une pièce (par compassion), et tu nous a donc refait le coup plusieurs fois. On t'a maudite cet été là.
Au gré de nos emplois, concours, affectations ... tu as dû beaucoup voyager. Plus de 5 appartements en tout et une maison (avec jardin) pour terminer. Tu n'étais pas malheureuse (tu courais, jouais, ronronnais tout le temps) mais on culpabilisait un peu de ne pas t'offrir d'accès à l'extérieur. Et on disait souvent en souriant : "t'inquiètes Lilo, un jour t'auras ton jardin". Puis au fur et à mesure que le temps avançait : "ce sera ta maison de retraite". Et tu as finalement eu ton jardin les cinq dernières années de ta vie.
Chez nous, les portes étaient toujours ouvertes. Pas chez mes parents. Il t'a fallu deux jours pour comprendre qu'il suffisait de sauter sur la poignée pour faire le "passe muraille" (et accessoirement, accéder au jardin). Mille fois comme ça, tu nous as surpris par ton intelligence, ta malice. Comme dans cet ancien appartement où tu ouvrais des robinets pour boire. Ou comme ces nombreuses fois où tu faisais mine d'accepter nos règles (ne pas piquer dans nos assiettes, ne pas aller dans l'évier, ne pas boire dans la cuvette des toilettes ...) pour les transgresser dès qu'on avait le dos tourné.
Episode des plus significatifs, celui "du portail". Les premiers mois à la maison, tu l'escaladais pour aller te balader dans le quartier. Et comme ça nous faisait peur (peur de la route, des chasseurs, de pièges/poisons potentiels à proximité ...) on te l'interdisait. Et on te punissait à chaque fois qu'on était obligé d'aller te chercher dans le quartier (en passant parfois une heure à te récupérer). Qu'à cela ne tienne, il te fallait juste attendre "le bon moment" (quand on était occupé) ; en jetant un petit coup d'oeil furtif vers notre fenêtre "mirador" avant d'escalader ; et en faisant mine de déambuler tranquillement le long du portail si/quand on te regardait.
Notre sensibilité "animaliste" s'est développée à ton contact. Joie, peur, colère, jalousie ... comment ne pas voir qu'un animal est capable d'éprouver toute une gamme d'émotions, de sentiments ... les mêmes finalement que ceux de l'être humain ? Par ta façon de miauler (tu vocalisais énormément et de façon très différente selon les besoins), tes expressions de visage et les différentes attitudes que tu adoptais, nous avons vraiment pris conscience de ce que pouvait être la vie intérieure d'un animal "non-humain", puis progressivement arrêté de manger de la viande.
L'hiver au chaud sous la couette, l'été au frais sur le carrelage extérieur, toujours dans l'épicurisme ... Il y avait aussi ces fois, marrantes, ou tu sautais sur le porte-serviettes de la salle de bains pour récupérer des serviettes chaudes et t'allonger dessus ; ou celles où tu commençais à ronronner à la seule vue d'un peignoir de bain (surnommé de fait "le peignoir magique") ; peignoir généralement signe de séances de pattounes/câlins quelques minutes plus tard. "Bien-être" By Lilo disait-on parfois en plaisantant (en référence aux pubs de parfum).
Au fil des années, tu avais développé une véritable personnalité que tous nos amis connaissaient. Pas question pour eux de te déloger de ta chaise ou de te caresser "hypocritement" en pensant à autre chose. Tu les sanctionnais immédiatement d'un coup de patte (griffes) et n'hésitais pas à "vouloir en découdre" si l'un d'eux demandait son reste. Tu avais établi avec nous une "relation exclusive" que beaucoup ne comprenaient pas ; ils se demandaient pourquoi ils ne pouvaient pas t'approcher (même ceux qui t'hébergeaient/te nourrissaient en notre absence), pendant que tu t'abandonnais de mille façon avec nous.
Il ne fallait pas non plus te prendre pour une bille. Tu avais compris/intégré le fait qu'on devait souvent s'absenter (pour aller travailler), mais pas question pour autant de te laisser seule trop longtemps ; ou de te bloquer l'accès à l'extérieur (le hublot de la salle de bain) les 6-8 mois de l'année que le temps (climat) permettait. Après quelques années, on savait exactement à quoi s'attendre quand on "manquait à nos obligations", ce qui allait des miaulements-hurlements (pour les petits retards) aux "vomitos" sur le tapis/canapé, voire même aux "pissous" sur les chaussures pour les cas "les plus graves" (autre animal ramené/gardé à la maison).
Dès notre arrivée (où tu vocalisais près du portail) jusqu'au moment du coucher le soir, tu étais omniprésente. En mémoire, ces séances de lecture/télé à côté de nous sur le canapé, celles de jardinage où tu t'asseyais dans l'herbe, les moments de repas où tu trônais sur la table, ta présence dans la salle de bain pour la douche, ou encore ces heures de télétravail que tu passais collée à mon ordi (en me donnant régulièrement des coups de tête pour avoir des caresses). Certains moments étaient devenus de véritables rituels, comme ceux où tu t'affalais sur mon ventre dans le lit le soir, les 5-10 minutes qu'il me fallait pour m'endormir.
Lilo nous ne te voyions pas vieillir. Quelques soucis de santé, plutôt rares et généralement bénins (des vers par ci, une cystite par là ...) ; et des bilans de santé généralement rassurants : marqueurs des reins (premier problème des chats vieillissants) encore normaux à 19 ans passés : un exploit selon la véto. Pourtant tu avais commencé à maigrir et tes facultés physiques s'étaient quelque peu amoindries ... On mettait ça sur le compte de la vieillesse. D'ailleurs, une fois "les dispositifs d'accessibilité" mis en place (une gamelle par ci, un accès-tremplin par là), tu continuais à mener la même vie qu'avant.
Plus récemment, il y a eu ces petites crises de désorientation. Soudainement, tu semblais perdue, ton miaulement devenait plus rauque ... mais tu reprenais automatiquement tes esprits dès que tu nous voyais. Quelques tremblements aussi, de légères pertes d'équilibre, des petits pipis "à côté" ... Mais là encore, rien d'alarmant ; d'ailleurs, tu continuais à ronronner, manger, miauler (pour rentrer, sortir, manger ...) comme avant.
Et puis ça s'est accéléré, d'un coup. Comme ce soir où tu n'es pas venue nous accueillir à l'entrée ; ce soir où tu dormais si profondément qu'il t'a fallu quelques secondes pour te réveiller ; puis encore quelques unes pour réussir à te mettre debout. Flaque de pipi par terre ... puis encore une autre un peu plus loin. Tu semblais un peu distante, abattue ... et puis tu n'arrêtais pas de boire. Direction, la clinique vétérinaire (de garde). Là, examens, bilan sanguin et le seul diagnostic posé ce soir là : une hyperthyroïdie (qui pourrait expliquer les symptômes précédents). Résultat : traitement à prendre et une prochaine visite à priori prévue pour dans un mois ...
La semaine suivante (la dernière malheureusement) est en dents de scie. Certains moments tu parais bien (tu manges, ronronnes, ...), d'autres tu sembles vouloir t'isoler un peu (et je dois alors ruser pour te faire avaler quelque chose). Le traitement va bientôt faire son effet, me dis-je. Pourtant tu sembles de plus en plus amaigrie, affaiblie. Tu te déplaces de moins en moins, perd de plus en plus l'équilibre ... Jusqu'à ce samedi matin (8 jours après la visite chez la véto) où ton mal-être paraît flagrant : tu ne marches plus du tout droit, t'affaisses constamment sur tes pattes arrières, refuses de boire et de manger ...
Retour chez la véto. On le sait, on le sent, il va peut-être falloir que tu partes ... Tu as presque 20 ans, on s'est toujours promis de ne jamais te laisser souffrir. En te voyant déambuler dans la pièce en zigzaguant, la véto nous conforte dans cet avis. Elle qui ne t'avait pas vu marcher (la dernière fois), nous parle désormais de problèmes neurologiques ; peut-être une tumeur ; difficile à traiter ... On se regarde, on te regarde ... tu es cadavérique, ton regard est absent ... On ne veut pas courir le risque de te laisser souffrir ...
Pendant que la véto prépare la piqûre (et nous laisse un peu de temps aussi), on te serre fort dans nos bras. Je repense aux derniers moments. Hier soir encore, tu venais nous voir pour avoir des câlins : l'un, puis l'autre ... on avait dû t'aider à monter sur le canapé. Et ce matin, on t'observait péniblement te trainer jusqu'à ta litière. Quand je te pose sur la table, tu te laisses faire. Tu ne grognes pas, n'attaques pas, une première chez le véto ! Toi qui les obligeait jusque là à se "ganter" jusqu'aux épaules. On te caresse, tu nous regardes ; tu sembles apaisée ... Je pose ma main sur ton flanc, une autre te tient le visage ... jusqu'à ce dernier souffle. Une déchirure ! Et puis ce deuil, terrible, les jours suivants.
Adieu Lilo, Lilocat, Flying cat, petit Tremors, Freddy cat, Pétassonne, Salopen, Golden cat, Petit trésor, Mauboucat, Crassouille, Joe Bidou, l'enfant sacré, le phoenix ... Adieu mon bébé ; ma mémère ; ma fifille. Je ne crois pas au paradis, je crois en l'univers ... Et dans cet univers, tu étais une étoile qui a illuminé nos vies.