Honte et perplexité

par yoni12
lundi 23 août 2010

En général, vous le savez, je ne me mêle pas de politique. J’ai été suffisamment échaudé par les partis politiques religieux en Israël pour me tenir, en tant que rabbin, à l’écart de tout cela.
D’autant que si l’on veut bien se reporter à la Guématria (la valeur numérique) du mot “politique” en hébreu, Politika, on trouve la même valeur que le mot “Amalek” qui désigne le mal absolu… Comprenne qui peut !

Cela ne veut pas dire que je jette la pierre sur tous les hommes politiques. Au contraire, je trouve qu’il y a du mérite à servir son pays. La notion de “servir” a tendance à se perdre de nos jours, aussi quand des hommes et des femmes décident de consacrer leur vie au service de leur pays, on ne peut que s’en féliciter. Mais à condition que la politique qu’ils préconisent ( et je parle pour tous les partis) n’aille pas à l’encontre de la morale, de l’humanité, ou de la Bible (pourquoi pas ?)

Si ces conditions ne sont pas remplies, si la morale, les droits de l’homme ne sont pas protégés, il est du devoir des rabbins, des prêtres, et des pasteurs, de s’élever et de dénoncer les abus, les intolérances, bref ce qui est inacceptable.

D’autres hommes religieux l’ont fait en d’autres temps : souvenons-nous de Mgr Saliège à Toulouse, de Mgr Théas à Montauban, mais aussi le pasteur Trocmé qui ont dénoncé le traitement fait aux Juifs étrangers et français pendant la seconde guerre mondiale.


Oui,nous vivons un temps où nous n’avons plus le droit de nous taire. Il arrive un moment où les religieux doivent parler, doivent dire que ce que fait le gouvernement va à l’encontre de toute humanité et de toute morale.

Je veux parler, vous l’aurez compris, du traitement qui a été réservé aux Roms, ainsi que de la possibilité de déchoir des délinquants d’origine étrangère de la nationalité française.
J’ai honte du traitement qui leur est réservé et je suis perplexe quant aux raisons invoquées. Car j’ai du mal à croire que les quelques 15000 Roms qui vivent en France, soient à eux seuls responsables de l’insécurité qui règne dans ce pays. J’ai honte et je suis perplexe devant cette stigmatisation d’une partie de la population européenne.

Contrairement à ce que disent certains députés de la majorité, ces mesures nous rappellent à nous Juifs, les lois raciales de Vichy. Quand on voit que l’on arrête les Roms, alors qu’ils sont citoyens européens, que l’on sépare les femmes des hommes, on est exactement dans la réplique des lois raciales de Vichy ! A l’époque c’étaient les Juifs qui étaient concernés. Et que l’on ne vienne pas nous dire qu’il n’y a aucun rapport. Les plus âgés de notre communauté l’ont vécu ; nos parents l’ont vécu : la police française arrêtait les Juifs, parce qu’ils étaient Juifs, les parquait au Vel d’Hiv,ou dans les camps de Rivesaltes, Les Milles, Noé, Le Récébédou, Gurs ou Beaune la Rolande, et séparait les hommes des femmes. Puis en convoi, ils étaient expulsés du territoire national pour le destin tragique que l’on connaît.

Aujourd’hui, les Roms sont arrêtés également par la police française parce que Roms ; les hommes sont séparés des femmes, et on les expulse du territoire national. Pour nous cela s’appelle des rafles ! Certes, les centres de rétention ne sont pas les camps de concentration de la France de Vichy, mais le principe reste le même : arrêter et expulser des ressortissants parce que considérés comme étrangers.

Les Juifs ne peuvent rester insensibles à ces mesures discriminatoires. Aujourd’hui ce sont les Roms, demain à qui le tour ?

Relisons cette lettre de Mgr Saliège : le 30 août 1942, Mgr Jules-Géraud Saliège, archévêque de Toulouse, fait lire cette lettre dans les églises de son diocèse :
« Mes très chers frères,

« Il y a une morale chrétienne, il y a une morale humaine qui impose des devoirs et reconnaît des droits.

« Ces devoirs et ces droits tiennent de la nature humaine. Ils viennent de Dieu. On ne peut pas les violer. Il n’est au pouvoir d’aucun mortel de les supprimer.

« Que des enfants, des femmes, des pères et des mères soient traités comme un vil troupeau, que des membres d’une mêmefamille soient séparés les uns des autres et embarqués pour une destination inconnue, il était réservé à notre temps de voir ce triste spectacle. Pourquoi le droit d’asile de nos églises n’existe-t-il plus ? Dans notre diocèse, des scènes d’épouvante ont lieu dans les camps de Noé et de Récébédou. « Les juifs sont des hommes, les juives sont des femmes. Les étrangers sont des hommes, les étrangères sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux, contre ces hommes et contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos frères comme tant d’autres. Un chrétien ne peut l’oublier. »


Faites l’expérience et remplaçez les mots “Juifs” par Roms, et les mots “Chrétiens” par “Juifs”, actualisez-le et voici ce que cela donnera :


« Mes très chers frères,

« Il y a une morale juive, il y a une morale humaine qui impose des devoirs et reconnaît des droits.

« Ces devoirs et ces droits tiennent de la nature humaine. Ils viennent de Dieu. On ne peut pas les violer. Il n’est au pouvoir d’aucun mortel de les supprimer.

« Que des enfants, des femmes, des pères et des mères soient traités comme un vil troupeau, que des membres d’une même famille soient séparés les uns des autres et embarqués pour une destination inconnue, il était réservé à notre temps de voir ce triste spectacle. Pourquoi le droit d’asile dans notre pays n’existe-t-il plus ? Dans notre pays, des scènes d’épouvante ont lieu dans les camps de Roms. « Les Roms sont des hommes, les Roms sont des femmes. Les étrangers sont des hommes, les étrangères sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux, contre ces hommes et contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos frères comme tant d’autres. Un Juif ne peut l’oublier. »


En tant que responsable religieux, comme Juif responsable, je dis qu’il faut réagir et qu’il ne faut pas accepter passivement ces mesures d’un autre âge. C’est notre honneur qui nous le demande, notre foi qui nous y oblige.

Rabbin Yonathan Lévy


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