Hortefeux, Sarkozy et les expulsions : l’obscénité

par Olivier Bonnet
vendredi 14 septembre 2007

Comment ne pas en parler ? L’abominable Brice Hortefeux, ministre de la Persécution des étrangers, a convoqué les 19 préfets n’ayant pas rempli leur quota d’expulsions de sans-papiers : "réunion de travail et de mobilisation où le ministre devait échanger avec les préfets dont les résultats doivent être améliorés", précise l’entourage hortefesque. 11 000 expulsions seulement, alors que Sarkozy en a promis 25 000 ! Inacceptable. Mais le pauvre Brice a des excuses : les Roumains et les Bulgares sont désormais des ressortissants de l’Union européenne, or ils représentaient 30 % des expulsés en 2006 (en majorité Roms). C’est bien pour ça qu’Hortefeux, qui fait pourtant son possible dans la traque au clandestin, pleurnichait le 20 août dernier que l’objectif fixé par Sarkozy serait difficile à atteindre, ordonnant tout de même à la police de "redoubler d’efforts pour les interpellations d’étrangers en situation irrégulière". Que n’avait-il dit là ? Fureur de l’hôte de l’Elysée : "Je veux du chiffre ! C’est un engagement de campagne. les Français m’attendent là-dessus", avait glapi Sarkozy, cité par Le Point. Les Français ? Les racistes électeurs du Front national, ça c’est sûr, mais les Français ?

"Je veux du chiffre"... Cette ignoble vision purement comptable fait fi des familles démembrées et des tragédies humaines. Le Canard enchaîné donne un autre verbatim de l’engueulade présidentielle passée à Hortefeux, qui confirme cette obscène obsession statistique : "Rien n’a été fait depuis trois mois en matière de lutte contre l’immigration irrégulière. On a promis aux Français que cette immigration serait endiguée. Et qu’est-ce que je vois trois mois après ? Que les chiffres sont toujours les mêmes". Alors au travail, Brice ! Que signifie concrètement ce discours ? Comme si Sarkozy avait dit à son âme damnée - peut-être l’a-t-il vraiment dit, d’ailleurs : "Tu vas m’en choper un maximum et tu me les fous dehors ! Pardon ? Ceux qui sont intégrés, qui ont un travail ? On s’en fout ! Quoi, les parents séparés de leurs enfants, la mère et les enfants français privés du père étranger qui les fait pourtant vivre ? On s’en fout je te dis ! Du chiffre ! Et les brutalités policières ? dans les avions pour les faire taire (deux morts, une broutille) ? Ceux que l’on passe à tabac pour leur apprendre à refuser d’embarquer ? Les contrôles au faciès, le harcèlement des bronzés, des bridés, la chasse aux métèques ? Faut c’qui faut : du chiffre, du chiffre, du chiffre !"

Reprenons un peu notre souffle et tâchons de calmer notre rage. Soumis à une telle pression par l’omniprésident lui-même, qui tient, répétons-le, à se voir conserver la sympathie de la frange la plus abjecte de l’électorat et qui fait de l’acharnement par pure idéologie, Hortefeux répercute la fureur sarkozyste sur les préfets les moins efficaces dans la chasse au clando. Qu’a-t-il bien pu se dire lors de cette fameuse réunion ? Puisqu’il s’agit de "résultats (qui) doivent être améliorés", ces bons préfets ont sans doute échangé leurs meilleures trouvailles. Les associations d’aide aux femmes battues, par exemple. Vous y avez pensé, aux associations d’aide aux femmes battues ? Parce qu’il y a des femmes sans-papiers qui viennent s’y réfugier : l’occasion est trop belle de les cueillir ! Elles n’avaient qu’à se laisser taper dessus. Ah elles ont voulu se plaindre ? Hop, dans un charter, fissa !

On repense à la compassion dégoulinante du candidat Sarkozy envers les femmes battues, promettant des papiers aux protégées de l’association Coeur de femme et déclarant solennellement lors du meeting de Bercy du 29 avril : "A chaque femme martyrisée dans le monde, je veux que la France offre sa protection en lui donnant la possibilité de devenir Française". Hypocrite, menteur, manipulateur ! Ne vous y trompez pas, nous ne vous parlons pas de femmes battues au hasard : Sviatlana Tchibissova, 30 ans, Bélarusse, a perdu son titre de séjour quand elle a fui son mari français, condamné à trois mois de prison avec sursis pour menaces de mort à son encontre, pour se réfugier dans un foyer pour femmes battues. Au motif de la "rupture de la vie conjugale", elle est sous le coup d’une reconduite à la frontière et se cache désormais, la chaise de son fils Arseni, 6 ans et parlant parfaitement le français, désespérément vide dans la classe de CP où il devait faire sa rentrée. Que dit la préfecture des Ardennes, en cause dans ce cas précis, quand on lui parle de Sviatlana ? "Le ministère de l’Immigration nous demande de ne pas faire de régularisations à tort et à travers", explique-t-elle benoitement. Aussi zélée soit-elle - et elle s’était déjà particulièrement illustrée dans l’abjection en séparant une enfant de 3 ans de sa mère expulsée -, sa préfète, Catherine Delmas-Comolli, figure pourtant dans les mauvais élèves convoqués par Hortefeux !

Parce que le pire de tout est peut-être encore que, même en multipliant les indignités, l’objectif sarkozyste des 25 000 expulsions est inatteignable ! Et il mobilise en outre les forces policières dans une proportion sans commune mesure avec l’importance du dossier : la police française doit-elle restaurer l’ordre dans les zones de non-droit, protéger les citoyens, endiguer la violence aux personnes dont l’augmentation est spectaculaire (+ 27 % en 5 ans de Sarkozy), ou bien traquer de pauvres hères qui ne font de mal à personne et dont le seul coût, économiquement dérisoire dans le budget de la Sécurité sociale - rapportons-le pour rire aux cadeaux fiscaux ! -, est d’être pour certains bénéficiaires de la Couverture maladie universelle et de se faire soigner ? Qu’ils crèvent donc ! Même dans les rangs policiers, on trouve que ça commence à bien faire. "Ce n’est pas à la police de décider qui on doit reconduire à la frontière. C’est à la justice de statuer, proteste Joaquin Masanet, secrétaire général de l’Unsa-police, le principal syndicat des gardiens de la paix. Il faut faire attention à toute cette pression sur les préfets qui ­risque de retomber sur l’ensemble de la hiérarchie policière. Les fonctionnaires ne sont pas là pour contrôler tout le monde. On ne va pas mettre un gardien de la paix à chaque carrefour, dans chaque restaurant ou entreprise pour faire du chiffre en matière d’expulsion." Le leader syndical se place aussi au niveau de l’éthique : "Je ne vois pas pourquoi il y aurait des quotas sur des êtres humains, nous sommes dans un pays des droits de l’homme", avance-t-il. Il faut croire que non, ou alors sélectivement. Conséquence concrète de la pression infligée à la police : le drame du petit Ivan, tombé du balcon (14 mètres de chute, souffrant désormais d’une incapacité permanente à vie) alors qu’il tentait de fuir avec son père les fonctionnaires venus les arrêter à leur domicile. L’avocat de la famille, Maître Francis Lec, raconte : "Les parents ont été pris de panique. Cela a duré près d’une heure avec l’intervention d’un serrurier, qui a utilisé une perceuse. Les policiers agissaient dans le cadre de l’article 78 du Code de procédure pénale, qui prévoit une visite domiciliaire en cas de non-réponse aux convocations au commissariat. Or la maman s’était présentée, deux jours plus tôt avec son fils, mais on ne l’avait pas reçue. Il faut se demander si l’intervention était justement proportionnée ou non. Une dizaine de policiers tambourinaient à la porte. Une voisine qui a assisté à toute la scène dit qu’elle a vu les parents terrorisés. Elle est intervenue, sans succès, pour faire cesser l’opération policière." En plus, cette famille avait fait appel de la décision d’expulsion devant le juge administratif, qui devait les entendre le 6 septembre. La tentative d’interpellation ayant tourné au drame date du 9 août. Vite, vite, du chiffre !

Et puisque Hortefeux veut améliorer ses résultats, semblables tragédies ne manqueront pas de se reproduire. Le gros rougeaud de Beauvau, ainsi que son mentor de l’Elysée, en porteront la responsabilité morale directe. "Les interpellations sont de plus en plus musclées, dénonce un autre avocat, Me Stéphane Maugendre, vice-président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). Un étranger en situation irrégulière, ce n’est pourtant pas un terroriste ou un grand délinquant ! C’est quelqu’un qui travaille, qui mène une vie normale, qui ne terrorise pas toute une cité ! On est en plein délire : pour faire du chiffre, on emploie les grands moyens, car c’est plus facile d’aller chercher un sans-papiers chez lui que de démanteler un trafic de stup. Depuis la circulaire de régularisation, l’an dernier, la police dispose d’une manne : près de 60 000 personnes sont allées se faire ficher ! Le processus était enclenché, la chasse aux étrangers est ouverte." Voilà à quel niveau est tombée la France des droits de l’homme, que Sarkozy et sa clique déshonorent. Une situation parfaitement résumée par Réseau éducation sans frontières : "La dictature des quotas d’expulsions, imposés aux préfectures par le ministère de l’inhumanité, conduit à des situations qu’on croyait impossibles dans un pays civilisé : couples séparés, familles démembrées, parents et enfants arrêtés au petit matin, transportés sur des centaines de kilomètres pour être enfermés dans des centres de rétention puis expulsés vers des pays où personne ne les attend si ce n’est, pour certains, leurs bourreaux."


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