Hurler au « roux » ...

par Manuel Atreide
vendredi 30 avril 2010

Après le papier sur Slate, le papier sur Rue89, maintenant c’est l’Express qui s’y met. Les papiers sur les roux sont à la mode décidément. Vous comprenez, nous ne sommes pas comme tout le monde, on nous voit, on nous repère. On vous ressemble et pourtant, il y a ce petit quelque chose qui nous met à part. Des cheveux de feu ou de bronze, une peau claire, laiteuse, parsemée de taches, une sensibilité, une faiblesse face au soleil dans ce monde ou être bronzé est quasiment une obligation pour paraître en bonne santé l’été, et surtout riche puisque c’est un symbole de vacances, de plage, d’oisiveté. En tout cas, depuis quelques mois, « redhead is in » dans la presse.

Et là, chez moi, ça vire au malaise. J’ai la désagréable impression de subitement devenir un marronnier de la presse, ou un de ces sujets qu’on aborde régulièrement sans vraiment le travailler sur le fond. Vous savez, comme les francs maçons, l’église catholique, Israël, les juifs, le terrorisme, Sarkozy ... je suis roux et je suis soudain traité et catalogué comme tous ces phénomènes de foire médiatique, le genre de personnes sur lesquelles les médias aiment braquer leur projecteurs.
 
Et cela part de quoi ? Du Net, Mesdames et Messieurs, du Net ! Il parait qu’Internet "déborde de commentaires sur les roux. Des remarques tels que "pas de bol, je compatis", ou "t’inquiète t’es pas tout seul" leurs sont régulièrement adressés. La couleur de cheveux devient ici une tare. " (lexpress.fr). On nous ressasse les mêmes blablas sur les groupes facebook, "pros" ou "anti" roux. (Slate.fr) avant de nous expliquer que c’est "génétique", que c’est la faute à la météo (Rue89), qu’il faut qu’on fasse gaffe, rapport aux cancers de la peau en cas de soleil etc. Bref, je suis en train de devenir un bon client pour la presse.
 
Et puis, tant qu’à faire dans le banal et le facile, autant aller un peu plus loin et verser carrément dans la stupidité. l’article de l’express se termine ainsi :
 
"Et vous, que pensez-vous des nombreuses attaques dont sont victimes les roux ?"
 
Nombreuses attaques ? Ah bon ? Le fait que certains crétins montent des groupes anti-roux sur FB, que deux ou trois décérébrés briment un enfant roux, cela constitue "de nombreuses attaques" ? Une vraie plongée dans la médiocrité journalistique la plus basique. Le sujet débile et le traitement bateau qui se termine par un appel à celles et ceux qui auraient peur, des fois qu’on puisse rebondir. Et puis, si on pouvait créer une petite psychose ...
 
Ecoeurant.

Alors que le film de Romain Gavras, cité dans ce papier médiocre, ne l’est pas, lui. Le fils de Costa Gavras a récemment fait un clip pour illustrer la chanson de MIA, Bornfree. Je vous laisse regarder, je vous en parle après.
 

M.I.A - BORN FREE VIDEO OFFICIAL (real and explicit version)
envoyé par elnino. - Clip, interview et concert.
 
La journaliste (? !) de l’Express se demande comment les roux ont pris ce clip. Elle veut vraiment savoir ? ben je vais lui dire, vous le dire.
 
Oui, il m’a frappé, j’ai pris un coup dans la gueule. Je connais le racisme, la haine de l’autre, j’y suis sensible et je la rejette. Mais je crois qu’avant ce film, je ne l’avais pas vraiment vécue dans mes tripes. Je peux vous assurer que lorsqu’on est roux, voir une rafle de roux, de la violence contre les roux, un meurtre de sang froid pour finir par ce jeu de boucherie, ça vous met un vrai coup au ventre.

Alors, est ce que ce film me plait ? Non bien sûr, il n’est jamais agréable de se voir ramené à quelque chose qui n’est somme toute qu’une composante de son identité. je suis roux, oui, mais je suis loin de n’être que cela. Et le film de R. Gavras, quelque part, me réduit à mes tiffs. Fait chier quand même, je suis autre chose qu’une poignée de cheveux !

Et pourtant, oui bien sûr qu’il me plait. Oui, je le trouve formidable, malgré le choc qu’il engendre. Oui, il est nécessaire car je comprends en le regardant à quel point c’est difficile de se mettre dans la peau de l’autre, de savoir son horreur engendrée par l’impuissance face au racisme, en clair de se fondre dans la peau de la victime. Moi qui pensais comprendre ce qu’est le racisme, l’homophobie, l’antisémitisme et toutes les autres formes de rejet brutal et violent, je me rends compte au travers de ce film que je n’avais sans doute jamais vu les choses sous l’angle de celui qu’on pourchasse, qu’on capture et qu’on massacre.

Mes poings serrés, ma mâchoire qui me fait mal, le profond sentiment de malaise voire la sensation de choc que je ressens devant ce qui n’est pourtant qu’une oeuvre de fiction me dit qu’il y a là quelque chose d’important. Que Romain Gavras, au travers de son court métrage, m’a donné une clé importante.
 
Je ne sais pas si j’ai envie de le revoir, je ne sais pas si j’ai envie de ré-écouter cette musique stressante, speedante, qui m’a martelé le crâne devant ces images abominables. Je n’ai pas très envie de me revoir courir comme un dératé dans ce paysage sec, sachant que je vais y mourir. Je n’ai pas envie de ça, j’ai envie de fuir, de vomir. En voyant cette horreur, j’ai envie de pleurer, de hurler. Ca fait mal. Et ça donne envie de haïr, ça me donne envie de buter ces salauds qui massacrent ces autres "moi".
 
Et c’est dur de résister à l’envie de passer de la victime au bourreau, de renverser l’histoire. Car le premier sentiment face à l’horreur, c’est peut être le besoin de se venger, de faire mal, de tuer celui qui veut vous éliminer. Mais je n’ai pas envie d’être bourreau, pas plus que d’être victime. Je refuse cette dichotomie, ce manichéisme. Ma vie est ailleurs, pas dans la peur, peur de l’autre ou peur pour sa vie.
 
C’est là qu’est le vrai sujet. Ce film, cette manière de me choper par les boyaux et de me confronter à la monstruosité de la haine. Pourquoi les roux ? Pourquoi pas les bruns, les blonds ? Pourquoi pas les blondes, les gays, les lesbiennes, les trans, les autres ? Pourquoi moi ? 
 
Pourquoi pas les juifs ? Les arabes ? Les noirs ? Cela revient à faire juste un film de plus, une dénonciation supplémentaire, alors qu’on sait parfaitement que les avis sont tranchés et qu’on n’arrivera sans doute pas toucher ceux qui ne sont pas déjà sensibilisés, ceux qui rejettent tout ca. Un film de plus ne fera sans doute pas bouger les lignes ...
 
Cela ne peut pas être non plus un "type" normal, un petit blanc brun ni grand ni maigre ni gros ni rien. Personne ne comprendrait, personne ne percevrait le lien qui unit tous ces gens dans ce bus. Nous ne pourrions pas saisir au premier coup d’oeil, pendant la rafle, qui ces hommes armés cherchent.
 
Alors, pourquoi pas une bande d’homos ? Ou de blonds ? Peut être parce qu’on connait le discours ambiant sur l’homophobie, on sait que les blagues sur les blondes c’est juste méchant et souvent crétin même si c’est jouissif. Et puis, les blondes, ça fait rêver et les PD, on ne les aime pas vraiment. L’identification, le message est plus difficile à faire passer.
 
Le roux alors ? Ben oui, le roux. On le voit, on le remarque, on le bâche un peu quand il est môme. C’est le rouquin, le roukmout, le bronzé sous la passoire. Le facilement identifiable. Mais, si on le montre du doigt de temps en temps, les temps où on le chassait sont révolus. En occident, le roux n’est plus un galeux. C’est un ancien discriminé, nuance.
 
Et ça marche. les gens qui ont vu le film sont quelque part frappés, un peu mal à l’aise. Ou carrément révoltés. Mais pas indifférents comme devant tant de films sur ces haines de l’autre qui travaillent nos sociétés humaines.
 
Alors, loin du sujet facile sur le redhead bashing, les journalistes devraient se pencher là dessus : comment continuer à faire comprendre que la haine ne mène à rien sauf à l’horreur dans une société gavée d’images ? Faut-il hurler au loup, faut-il crier toujours plus fort ?
 
Peut-être. Et c’est inquiétant si pour secouer notre apathie croissante, on doit nous frapper de plus en plus fort.
 
A vous de me dire.
 
Manuel Atréide.
 
Crédit illustration : Sarah (superbe crayon)
 

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