Ici Cuba, effondrement en cours…

par ticotico
vendredi 21 janvier 2022

« Dans 10 ans, comme là bas, ici » Jacques Higelin (Paris New-York, New-York Paris)

L’intention première de ces quelques remarques n’est pas tant de désigner des responsables, mais plutôt de faire part d’observations sur les réactions d’une population et d’un état confrontés à un processus d’effondrement. Quelques similitudes peuvent être observées avec des comportements qui ne sont qu’embryonnaires dans nos sociétés dites développées…

Un robinet qu’on tourne… et l’eau ne coule pas, un interrupteur qu’on actionne et la lumière ne vient pas, un autobus qu’on attend en vain… Ces situations font partie du quotidien depuis des années à Cuba.

Petit à petit, ces inconvénients se font plus nombreux, plus durables et gagnent de nouveaux secteurs, agriculture, santé, éducation…

Cette accumulation de problèmes amène à se poser la question : l’état est-il en train de faire défaut sur une grande partie des attributions qui sont les siennes ?

En d’autres termes, la situation actuelle de Cuba correspond-elle à la définition de l’effondrement donnée par Yves Cochet « le processus à l’issue duquel les besoins de base ne sont plus fournis à une majorité de la population par des services encadrés par la loi ».

Après s’être proclamé le laboratoire du socialisme, Cuba serait en train de devenir le laboratoire de l’effondrement ?

Depuis bientôt deux ans le tourisme, qui constituait la première source de devises du pays n’existe plus. La multiplication des pénuries rend chaque jour plus palpable cet état d’effondrement que prévoient les collapsologues pour l’humanité entière.

Quand sait-on qu’on est face à un effondrement ?

Des magasins qui n’ont plus rien à vendre, des heures de queue quand de l'huile ou du poulet sont annoncés, des maisons qui s’écroulent, ce sont des indices, mais ça ne suffit pas. Ce que l’on constate devant les étals vides est confirmé par les chiffres, la chute de la production agricole est spectaculaire : le sucre voit chaque année battre un nouveau record catastrophique : avec 1,3 million de tonnes, la récolte de 2020 n’atteint pas 15% de celle de 1970, soit un niveau inférieur à celui de 1905 !

Celle de l’aliment de base, le riz, est en chute libre : la production 2020 correspond à 50 % de celle de 1986. Le lait a quasiment disparu, la quantité de viande de porc produite dans les fermes d’état a diminué de 44 % entre 2020 et 2021…

Plus grave, l’indice qui avait mis Emmanuel Todd sur la piste de la fragilisation du système soviétique, la mortalité infantile, a progressé de 92 % entre 2018 et 2021 (source gouvernementale ici). C’est d’autant plus inquiétant que Fidel Castro avait fait de cet indice l’unique critère d’évaluation de la performance du système de santé, aussi bien à l’échelon local que national.

Bien sûr, le gouvernement a des explications pour chacun de ces déclins, le covid, l’embargo, la réforme monétaire, les pesanteurs bureaucratiques… Bien entendu, vu l’ampleur des dégâts, cela ne peut être causé que par l’action simultanée de nombreux facteurs négatifs.

Cette accumulation multi factorielle est justement une caractéristique de ce qui déclenche la bascule vers une situation d’effondrement. De plus chaque dégradation en entraîne une autre, moins d’énergie, c’est moins de production, donc moins de ressources, donc moins de moyens de financer la production d’énergie, donc, une spirale infernale difficile à arrêter.

Déjà, le système bancaire est incapable de fournir des devises étrangères au taux de change officiel, ce qui n’est pas anecdotique puisque une grande partie des produits de base, y compris alimentaires, est payable uniquement en devises.

Le change au marché noir est donc, avec les « remesas » (envoi d’argent de l’étranger), le seul moyen de se procurer les indispensables devises. Le gouvernement reconnaît pour 2021 un taux d’inflation de 70 %. Ce chiffre est bien en dessous de la réalité, puisque il se base sur la fiction d’un taux de change officiel presque quatre fois plus avantageux que celui pratiqué au quotidien.

 

Quand tout s’effondre… on se dit que ça ira mieux ailleurs… ou demain… ou même hier.

Affronter une catastrophe ponctuelle et massive, cyclone, tremblement de terre, est sûrement plus simple que de réagir à un délitement progressif et généralisé du cadre de vie.

La première solution à laquelle pensent les cubains est l’exil. A l’heure actuelle il y a des queues interminables devant les compagnies aériennes des pays qui acceptent les citoyens cubains, tel le Nicaragua, « pays frère » qui a l’avantage de n’être qu’à quelques frontières terrestres du « paradis » états unien. Le gouvernement encourage cet exode, y voyant à la fois le moyen de se débarrasser des citoyens les plus remuants et celui d’accroître le nombre d’exilés envoyant de l’argent à leur famille restée au pays.

Ceux qui décident de quitter le pays aujourd’hui ont longtemps résisté à l’appel de l’étranger, ils ont parfois tenté de démarrer de petites entreprises lors de la période de rapprochement initiée par Obama et Raul Castro, mais devant l’accélération de la dégradation et l’absence de perspectives, ils ont fini par se résoudre au départ.

Souvent, ils vendent leur maison pour financer leur voyage et le démarrage de leur nouvelle vie. Comme ils sont plus jeunes, plus actifs et plus diplômés que la moyenne, cela crée de nouveaux déficits et Cuba est en train de devenir le pays le plus âgé d’Amérique Latine.

Ce vieillissement de la population est intégré dans le discours triomphaliste du gouvernement qui y voit une preuve de plus de l’efficacité du système de santé national.

Il faut bien se mettre à la place des travailleurs de l’information sommés de trouver des titres positifs dans une période où tout va mal. Dans la même lignée, soir après soir, les informations continuent de montrer des assemblées studieuses de dirigeants, des ministres qui visitent des centres de travail qui connaissent d’excellents résultats, des contacts prometteurs avec de futurs investisseurs étrangers…

Si la télévision n’informe guère sur l’état du pays, elle permet de mesurer à quel point ceux qui le dirigent vivent dans un univers parallèle. Le journal télévisé répète à l’infini un mantra démenti par toute confrontation avec le monde réel : tout va bien, tout ira bien.

En plus d’un hypothétique futur radieux, on y invoque aussi un passé glorieux. Dans ce pays friand de commémorations et d’inaugurations, on ne compte plus les occasions de mettre en avant l’histoire et ses héros disparus, au premier rang desquels on trouve Fidel. 

Trois exemples très récents : un grand centre entièrement à la gloire du Comandante à la Havane

L’érection d’un bras en béton de 5 mètres de haut dans la ville de Cienfuegos

Et une oeuvre montrant Fidel en superman combattant les cyclones

Le mot d'ordre principal du parti au pouvoir est "Continuidad", on ne promet plus rien pour l'avenir, on se contente d'affirmer que la légitimité du pouvoir actuel provient d'une "continuité" avec les dirigeants passés. 

La réaction du gouvernement : surtout ne rien changer

De la même façon qu’un conducteur appuie sur l’accélérateur quand son véhicule s’enlise, le gouvernement cubain ne modifie en rien ses pratiques de toujours pour tenter de remettre le pays sur pied. Il multiplie les mesures et les structures, les réunions et les projets… et tout cela sans le moindre résultat.

Un exemple concret, le plan intitulé « 63 mesures pour dynamiser l’agriculture » en vigueur depuis avril 2021 n’a pas réussi à enrayer le recul de la production. Si vous comprenez l’espagnol, et que vous avez suivi l’option « teque » (langue de bois cubaine) voici un compte rendu assez éclairant sur la mise en oeuvre de ces mesures.

Cet extrait est relatif à la distribution de terres en usufruit à ceux qui en ont fait la demande afin de pouvoir mettre en production des parcelles non cultivées.

El ministro dijo que se han radicado 50 726 solicitudes, aunque persiste la dilación en el cumplimiento de los términos establecidos para el proceso y la resistencia de quienes administran y gestionan la tierra para su entrega en usufructo. 

Traduction : Le ministre a dit que 50 726 demandes ont été formulées, bien que persistent le retard à se conformer aux délais établis pour le processus et la résistance de ceux qui administrent et gèrent la terre pour sa distribution en usufruit.

Interprétation : Cela signifie qu’à la date du 20 décembre la distribution de terres applicable depuis avril n’a pas réellement démarré, les termes employés permettent de supposer que les blocages administratifs sont imputables à une bureaucratie qui malgré l’urgence alimentaire attend toujours des dessous de table pour faire avancer les dossiers.

Bien qu’il n’y ait pas de solution miracle, on ne sent aucune volonté de faire évoluer un appareil d’état momifié. Chacun à son niveau continue d’agir comme hier, en pleine conformité avec un carcan idéologique inamovible, seule clef d’une carrière sans remous. Cette sélection des responsables en fonction de leur aptitude à la soumission et à la conformité est un excellent moyen de transformer de simples échecs en catastrophes majeures.

Quand le navire tangue, on se cramponne à ce qui semble solide et ceux qui détiennent un peu de pouvoir, ici comme ailleurs, font de leur maintien aux postes de contrôle une priorité absolue, bien avant la défense de l’intérêt commun.

 

Trafics et délinquance en plein essor

Dans un contexte de pénuries généralisées, la solidarité se limite à des cercles très restreints. On s’entraide toujours à Cuba, mais seulement à l’intérieur d’une famille, d’un groupe d’amis ou entre voisins… Les comportements antisociaux se multiplient, ainsi, dès qu’un produit apparaît dans les magasins, qu’il s’agisse de lait en poudre ou de machines à laver, des acheteurs se dépêchent d’acquérir tout le stock disponible qui se retrouve ensuite en vente sur internet à un tarif bien supérieur.

 

Dans ce pays qui se vantait d’être l’un des plus sûrs du monde, les vols se multiplient. Vols de téléphones ou de scooters électriques, mais on dérobe aussi les légumes dans les potagers ou le linge mis à sécher. Pour l’instant, c’est plus la ruse que la violence qui est utilisée.

Le gouvernement se concentre sur la communication et la répression

Quand on ne peut satisfaire les besoins de la population, on essaie de lui faire croire que ça ne va pas si mal et si la communication ne suffit pas, la répression étouffe toute tentative de protestation. 

La descente économique du pays va de pair avec une croissance de la répression judiciaire et policière, avec une spécialité locale qui refait surface, « los actos de repudio » : le harcèlement des « mauvais » citoyens par les « bons ». A savoir des rassemblements hostiles et bruyants devant les domiciles des dissidents trop actifs.

En France, on n'en est pas à organiser ce genre d'activités devant les domiciles des non vaccinés ou des wokistes islamo-gauchistes, mais le macronisme inaugure une nouvelle ère dans la gestion du pays par une communication qui s'apparente plus à de la propagande qu'à de l'information ainsi que par le franchissement de nouveaux paliers dans le domaine de la répression.

Quand va survenir la prochaine crise, économique, financière, monétaire, environnementale, énergétique... il est fort probable que nous assistions dans de nombreux pays aux mêmes dérives : l'abandon de toute apparence démocratique, l'exacerbation du chacun pour soi, une désagrégation sociale accrue, une désignation permanente d'ennemis intérieurs et extérieurs... Le bonheur est en marche !

 

 


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