Identité française : offrons à Eric Besson quelques pages de Renan
par Bernard Dugué
mardi 27 octobre 2009
Le grand débat à venir, ce sera la question de l’identité française. Est-ce vraiment une priorité, une question vitale, ou à défaut, cruciale, bien plus importante que d’autres problèmes comme le chômage, les déficits, l’endettement, l’agriculture, l’éducation en crise, la santé avec, la gestion calamiteuse de la fausse pandémie grippale, l’enlisement en Afghanistan, le pétrole cher à venir, la montée des incivilités et autres violences ? Oui, la question de l’identité française est une priorité, tout comme peut l’être la nécessité de se regarder dix fois dans un miroir lorsqu’on est dans la cabine d’un navire dont on pressent une avarie prochaine et qui sait, un naufrage.
La notion d’identité française est-elle philosophique, ou alors politique ? Mais au fait, l’identité est-elle accessible ? Un philosophe des Lumières s’est penché sur cette question. Le Moi n’a pas une identité ontologique, une substance, mais résulte d’un conglomérat de perception, d’idées et de sentiments. Imaginons qu’il y ait 60 millions de Moi, alors l’identité française se présente comme un conglomérat d’agrégats d’idées, de perceptions, de sensations. Le Breton aura en tête les vagues sur les récifs ; alors qu’un Savoyard pensera inévitablement à la fondue et aux sommets enneigés des Alpes. L’affaire se corse ! Une chose est sûre, Eric Besson devra passer commande pour un ordinateur surpuissant, du genre de ceux qui calculent un milliard de décimales du nombre pi, un calcul d’une utilité incontestable, comme du reste l’identité française qui peut-être, sortira d’un ordinateur une fois les données envoyées par les sous-préfectures.
La politique ne reconnaît pas la notion d’identité. La science politique classique s’occupe des méthodes de gouvernement, la politique moderne s’est penchée sur le fonctionnement de l’Etat, alors qu’un penseur décalé comme Carl Schmitt conçoit la tâche du politique comme devant spécifier la distinction entre amis et ennemis. De ce point de vue, on entre dans le dessein de Besson. Un ministre qui en fin de compte, doit réaliser ce type d’enquête parce que c’est marqué dans son intitulé. Un resto qui a pour nom la taverne belge se devra de servir la moule frite. Le ministère de l’identité nationale doit cracher ce qu’est cette identité. En filigrane, on devine qu’il s’agit de distinguer l’ami de la France de son ennemi. Voilà une précision utile qui espérons-le, aidera Besson dans son immense tâche. L’identité française, c’est l’ensemble des amis de la France et ceux qui sont les ennemis de la France ne sont pas dans l’identité française. On s’en doutait, la France, on l’aime ou alors, on la quitte et si c’est pas possible, eh bien on n’entre pas dans son identité. Dis comme ça, l’affaire paraît plus simple.
Accordons néanmoins à Besson une hauteur de vue dépassant le procès d’intention que je viens de dresser. On pourrait imaginer que la question de l’identité s’élève au niveau des valeurs. De ce point de vue, il faudrait dessiner un portait axiologique et éthique des Français en essayant d’extraire les valeurs auxquelles ils adhèrent et qu’ils sont prêts à défendre en y accordant un peu de leur temps d’action et d’opération. Une France définie par ses valeurs, ça aurait de la gueule, bien plus qu’une France définie par les tenues et les signes qu’il ne faut pas porter. De ce point de vue, on rejoindrait la question de la nation telle qu’elle fut configurée par Renan. Une nation définie par un héritage du passé spirituel, culturel et militaire, mais aussi par une aspiration envers un avenir qu’on désire réaliser ensemble. L’occasion se sortir cette phrase idiote de Saint-Exupéry que l’on se sert entre amoureux férus de psychologie de bistrot et de livres de Jacques Salomé, s’aimer, c’est regarder dans la même direction. Une nation, c’est des gens qui veulent aller dans une même direction et qui s’aiment, ou alors qui la quittent. Mais y a-t-il une direction partagée ? Certainement pas. A l’ère individualiste, hyper technique, on ne peut guère escompter une aspiration commune si ce n’est l’augmentation du pouvoir d’achat, horizon naguère proposée par le petit timonier de la France.
Au bout du compte, le mieux serait d’offrir à Eric Besson quelques pages de Renan. Des lignes extraites de son fameux texte et qui méritent une critique philosophique et historique car elles traduisent le glissement vers les sociétés modernes organisées sur un plan d’immanence et forcément, sécularisées à l’extrême. De l’idée de nation chez Renan au débat sur l’identité française, nous voyons sans doute les signes d’une chute, d’une descente des les caniveaux de l’immanence, du prosaïque et du pragmatique.
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« Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. L’homme, Messieurs, ne s’improvise pas. La nation, comme l’individu, est l’aboutissant d’un long passé d’efforts, de sacrifices et de dévouements. Le culte des ancêtres est de tous le plus légitime ; les ancêtres nous ont faits ce que nous sommes. Un passé héroïque, des grands hommes, de la gloire (j’entends de la véritable), voilà le capital social sur lequel on assied une idée nationale. Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple. On aime en proportion des sacrifices qu’on a consentis, des maux qu’on a soufferts. On aime la maison qu’on a bâtie et qu’on transmet. Le chant spartiate : « Nous sommes ce que vous fûtes ; nous serons ce que vous êtes » est dans sa simplicité l’hymne abrégé de toute patrie.
Dans le passé, un héritage de gloire et de regrets à partager, dans l’avenir un même programme à réaliser ; avoir souffert, joui, espéré ensemble, voilà ce qui vaut mieux que des douanes communes et des frontières conformes aux idées stratégiques ; voilà ce que l’on comprend malgré les diversités de race et de langue. Je disais tout à l’heure : « avoir souffert ensemble » ; oui, la souffrance en commun unit plus que la joie. En fait de souvenirs nationaux, les deuils valent mieux que les triomphes, car ils imposent des devoirs, ils commandent l’effort en commun.
Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L’existence d’une nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l’existence de l’individu est une affirmation perpétuelle de vie. Oh ! Je le sais, cela est moins métaphysique que le droit divin, moins brutal que le droit prétendu historique. »
« Je me résume, Messieurs. L’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation. Tant que cette conscience morale prouve sa force par les sacrifices qu’exige l’abdication de l’individu au profit d’une communauté, elle est légitime, elle a le droit d’exister. Si des doutes s’élèvent sur ses frontières, consultez les populations disputées. Elles ont bien le droit d’avoir un avis dans la question. Voilà qui fera sourire les transcendants de la politique, ces infaillibles qui passent leur vie à se tromper et qui, du haut de leurs principes supérieurs, prennent en pitié notre terre à terre. « Consulter les populations, fi donc ! Quelle naïveté ! Voilà bien ces chétives idées françaises qui prétendent remplacer la diplomatie et la guerre par des moyens d’une simplicité enfantine ». - Attendons, Messieurs ; laissons passer le règne des transcendants ; sachons subir le dédain des forts. Peut-être, après bien des tâtonnements infructueux, reviendra-t-on à nos modestes solutions empiriques. Le moyen d’avoir raison dans l’avenir est, à certaines heures, de savoir se résigner à être démodé. »