Identité nationale et immigration

par fleg
mercredi 14 mars 2007

Vendredi, le jour même où Simone Veil lui apportait son soutien, Sarkozy a déclaré que s’il était élu, il créerait un « ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale ». Cette formulation me rend malade. Elle sous-entend en effet que l’immigration comporterait un risque, voire représenterait un véritable danger pour l’identité nationale ! Mais de quoi parle-t-on ?


Quelle identité ?


L’identité, d’après le dictionnaire de la langue française1, ce sont les « données qui déterminent chaque personne et qui permettent de la différencier des autres ». En d’autres termes, et dans le contexte qui nous intéresse, c’est ce qui distingue la France des autres pays, ce qui en fait la spécificité, ce qui nous caractérise, nous différencie des autres nations2. On peut disserter à l’infini sur ces « caractéristiques », il suffit de voyager un peu pour voir que ce qui marque le plus de la France dans le monde, c’est son art de vivre (sa cuisine, ses vins...), les idéaux que notre pays a forgés et portés, plus ou moins fièrement, au long de son histoire (les droits de l’homme, la liberté - en particulier celle de la presse - l’égalité, la tolérance, la laïcité, la justice, l’ouverture aux autres...), son organisation politique (bon nombre de constitutions dans le monde sont inspirées du modèle français) et notre incroyable arrogance qui nous fait nous croire indispensables à la bonne marche du monde, disserter sans arrêt sur tout, réfléchir et nous poser des questions sur n’importe quel sujet, et nous poser volontiers en donneurs de leçons, en maîtres à penser de l’humanité.


Une menace ?


En quoi, alors, l’immigration représenterait-elle une menace pour notre identité  ? Cette idée n’est pas nouvelle ; elle a longtemps été véhiculée par l’extrême droite et étend ses racines, sous d’autres formes, au début du siècle dernier, dans la stigmatisation des Juifs censés être la cause de tous les maux du monde. Qu’elle trouve aujourd’hui résonance dans le discours d’un ministre de l’Intérieur, candidat tentant de capter les voix du Front national, est une chose inquiétante dans la mesure où cela correspond à une « institutionnalisation » de ce discours, et peut-être pour la première fois dans la bouche d’un homme susceptible d’accéder aux responsabilités les plus hautes, une volonté de traduire dans les faits ce type d’idées nauséabondes.

Mais à bien y réfléchir, l’immigration ne représente en rien une menace concrète contre l’identité nationale française. Au contraire, l’une des spécificités de la France, l’une des caractéristiques de son identité, c’est d’être une terre d’accueil et d’asile, un lieu de passage au coeur du continent européen, un pays qui s’est construit des apports multiples de ses immigrés et des échanges tissés au cours de son histoire avec les autres peuples. Car c’est de l’échange que naît la progression d’une société, c’est de la confrontation que jaillissent de nouvelles idées et c’est comme cela que la France s’est construite. La France n’a pas une identité culturelle, mais des identités culturelles. Et c’est cette diversité qui fait notre richesse et notre spécificité. Notre pays est un agrégat de régions aux cultures et aux traditions parfois très différentes, aux habitants de divers horizons, réunis sous un même étendard, celui de la république3. Or en rien l’immigration ne remet en cause ce ciment de notre société, si ce n’est dans le fantasme d’une immigration massive qui dévoierait nos valeurs et aurait pour objectif planifié le renversement du système républicain. Fantasme largement alimenté par une presse en mal d’images chocs et prête à monter en épingle quelques sujets de société pour « créer » l’événement et faire monter l’audimat. L’exemple du foulard islamique à l’école en est une excellente illustration. Comme le dit Pierre Bourdieu dans Le Foulard islamique en questions (éditions Amsterdam) :

« L’emprise de médias qui ne connaissent que la recherche du sensationnel, l’empire des sondages qui permettent de transformer les faux problèmes médiatiques en objets de consultation "démocratique" (...) En projetant sur cet événement mineur, d’ailleurs aussitôt oublié, le voile des grands principes, liberté, laïcité, libération de la femme, etc., les éternels prétendants au titre de maîtres à penser ont livré, comme dans un test projectif, leurs prises de position inavouées sur le problème de l’immigration : du fait que la question patente - faut-il ou non accepter à l’école le port du voile dit islamique ? - occulte la question latente - faut-il ou non accepter en France les immigrés d’origine nord- africaine ? -, ils peuvent donner à cette dernière une réponse autrement inavouable. »

La mise en exergue de quelque cas isolés alimente le fantasme d’une « islamisation » de notre société et stigmatise les immigrés en les présentant comme une menace potentielle pour la laïcité et de ce fait, pour l’identité nationale. Il en va de même pour les émeutes des banlieues lorsque l’on fait l’amalgame entre délinquance et immigration ou lorsque Sarkozy brandit la menace terroriste pour licencier des employés de l’aéroport d’Orly au simple motif qu’ils sont musulmans. Et c’est bien là qu’est l’amalgame. Le ministre de l’Intérieur, dans une campagne médiatique parfaitement orchestrée, flirte ouvertement avec les thèses nationalistes en pointant du doigt les immigrés musulmans. D’ailleurs, le concept d’immigration choisie avancé par M. Sarkozy établit la distinction entre la « bonne immigration », celle qui apporte à la France (et dont il se proclame volontiers l’exemple le plus représentatif) et la mauvaise immigration, la dangereuse, celle des gens différents de nous, celles des musulmans tous supposés islamistes et terroristes. Les attaques concernant le regroupement familial vont dans le même sens car visant essentiellement l’immigration en provenance de pays à fort taux de natalité ou autorisant la polygamie.

Il est donc évident que le candidat et ministre de l’Intérieur joue volontairement sur les mots pour réactiver la peur de l’immigration et les fantasmes en découlant. L’unique but de cette manoeuvre étant de flatter les électeurs du Front national et de tenter de reprendre à l’extrême droite les voix qu’il est en train de perdre au centre avec la montée en puissance de F. Bayrou. Et pour mieux faire « passer la pilule », il n’omet pas de rappeler habilement l’apport de l’immigration à la France, espérant ainsi occulter les accents xénophobes du reste de son discours.


Une autre menace ?


Certes, il ne faut pas non plus se voiler la face : la défense de nos valeurs républicaines est un combat de chaque jour, un combat de fond dont il ne faut absolument pas abandonner l’exclusivité à l’extrême droite. Mais ce combat, il convient de conduire avec réalisme et pragmatisme et sûrement pas avec démagogie, comme le fait Mr Sarkozy. Car si l’immigration n’est pas une menace pour l’identité nationale, nous aurions tort de nier que certains groupes activistes extrémistes (entre autres musulmans), bien souvent d’origine étrangère, constituent une menace pour la société, leur objectif étant la destruction de celle-ci. Le but de ces factions n’est autre que de déclencher une véritable « guerre de religion ». Et elles trouvent dans la politique occidentale au Proche et Moyen-Orient de quoi alimenter leur fanatisme. Mais ces groupes, minoritaires mais actifs, ne représentent en rien l’immigration actuelle. Le combat contre de telles mouvances doit exclusivement relever de la lutte contre le terrorisme et le crime organisé (comme cela a pu être le cas à l’époque des Brigades rouges, par exemple), pas du contrôle et de la politique de l’immigration. A moins de vouloir faire leur jeu. Et c’est malheureusement ce que fait le ministre de l’Intérieur actuel.

En revanche, il est une autre menace pour « l’identité française », beaucoup plus grave à mon sens. C’est l’immigration des capitaux et des multinationales qui contribuent à l’uniformisation des sociétés et à la dissolution de leurs spécificités dans un mouvement d’internationalisation destructrice. A titre d’exemple, l’un des piliers de la spécificité française, sa cuisine, est jour après jour battue en brèche par l’installation à coups de millions de nouveaux fast-food ou de chaînes internationales proposant des plats identiques et aseptisés. Ce phénomène d’ailleurs ne concerne pas uniquement la cuisine française mais toutes les cuisines nationales, lentement réduites à l’état de caricatures et de stéréotypes dans ces chaînes ne distribuant que des aliments aux goûts standardisés et uniformisés. De la même façon, la prééminence des séries américaines à la télévision modifie la vision qu’a la population du fonctionnement de notre société : qui aujourd’hui sait que le mandat de perquisition n’existe pas en France mais qu’il s’agit d’une commission rogatoire d’un juge d’instruction ? Combien de « jeunes », lorsqu’ils sont interpellés, s’étonnent qu’on ne leur lise pas leurs droits comme dans les feuilletons américains ? Combien de personnes s’adressent au juge en l’appelant « Votre honneur » ? Ce ne sont que des exemples, mais ils traduisent à quel point cette « immigration financière et économique » s’attaque à notre « identité nationale » en effaçant notre culture, et combien il est important de s’organiser pour y résister. Car contrairement à l’immigration « humaine », basée sur l’échange et une réciprocité permettant un enrichissement mutuel, cette « immigration financière » n’a rien à apporter, au contraire, elle n’est là que pour prendre et exploiter, que pour détruire pour mieux piller.

1http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr/

2« Mon identité c’est ce par quoi je me définis et me connais, ce par quoi je me sens accepté et reconnu comme tel par autrui ». Ref : http://www.wolton.cnrs.fr/glossaire/fr_identite.htm

3 Selon Michèle Tribalat, démographe à l’Ined et spécialiste de l’immigration, plus de 23% des habitants de l’Hexagone - près de 14 millions - sont d’origine étrangère (au moins un parent né à l’étranger) : 6,9 millions viennent des pays de l’Union européenne, 3 millions du Maghreb et 700 000 d’Afrique subsaharienne. (http://www.lexpress.fr/info/societe/dossier/mosquees/dossier.asp?ida=415633&p=2)


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