IKEA : « Rien ne vaut le bon exemple »

par Karol
mercredi 17 février 2016

Le parcours du consommateur... (1)

 

" Rien ne vaut le bon exemple.". Ainsi s'exprime Ingvar Kanprad fondateur de la multinationale IKEA, dans une brochure " Le testament d'un négociant en meubles" datant de 1976, pour vanter le "modèle-business" de son entreprise. ( lien )

Cette maxime vaut son pesant d'or à la vue de l'ingénieux montage financier mis au point par la firme pour échapper au fisc et exfiltrer le maximum de richesse des divers pays où se réalisent les bénéfices. Cas exemplaire de détournement d'argent public par le jeu de l'optimisation fiscale, mais malheureusement pour les pays concernés, IKEA n'est pas la seule à être montrée du doigt. Mac Donald, Apple, Google, Amazon, etc... ont optimisé à tour de bras grâce à la duplicité de certains États qui n'hésitent pas à pratiquer le dumping fiscal pour ramasser quelques miettes de ces mastodontes qui se moquent des frontières et des législations nationales.

DU PARCOURS DU CONSOMMATEUR AU PARCOURS DE LA DEFISCALISATION.

Tout bon client du groupe suédois connait le parcours obligé du consommateur pour "rentrer dans des ambiances, se les approprier, chercher des idées" et ...succomber au final à l'achat. Comme ce parcours du consommateur, il existe, plus discrètement, le parcours des bénéfices à travers les pays européens pour optimiser la contribution en matière d'impôt de cette multinationale du meubles et des accessoires en tout genre.

Ainsi d'après un rapport publié par les élus écologistes du Parlement européen ce géant suédois du meuble Ikea a échappé à environ 1 milliard d'euros d'impôts sur la période 2009-2014 en recourant à des circuits financiers qui traversent plusieurs pays de l'Union européenne.

L’étude se concentre sur le cas d’Inter Ikea Group, une holding néerlandaise possédant la marque Ikea. Chaque magasin Ikea implanté dans divers pays européens reverse à cette entité, en « royalties », l’équivalent de 3 % de ses ventes, au titre de l’usage de la marque Ikea. Cela permet à ces magasins de réduire leur base imposable et donc leur contribution fiscale dans les pays concernés.Les Pays-Bas étant connus pour leur législation généreuse sur la non-imposition des royalties, ainsi l'entité néerlandaise ne paie que très peu d’impôts dans ce pays. Mais comme la holding batave, pour racheter la marque Ikea, s’est endettée en 2012 auprès d’une filiale luxembourgeoise,elle lui renvoie une grande partie des royalties sous forme d’intérêts qui servent à rembourser son prêt. Or, ces intérêts ne sont pas taxés à leur « sortie » des Pays-Bas. Par ailleurs, au Luxembourg, il existe un « ruling » (un accord entre Ikea et le fisc du Grand Duché), qui permet à Inter Ikea Group de n’être taxé qu’à 0,06 % de ses profits. Enfin,dernière étape, des dividendes sont versés de la filiale luxembourgeoise vers la fondation du Lichtenstein. Il se trouve que dans ce paradis fiscal niché au cœur de l'Europe, les dividendes des filiales venus de l’étranger ne sont pas taxés… ( lien ).

Le rapport souligne que "Rien que pour l'année 2014, les pertes fiscales sont de 35 millions d'euros pour l'Allemagne, 24 millions d'euros pour la France et 7,5 millions d'euros pour la Belgique".

Voilà comment, Ingvar Kamprad , créateur de la marque et "exilé" pendant de longues années en Suisse, avec la complicité de législation "accommodante" est devenu le 4e homme le plus riche du monde, avec une fortune estimée à 33 milliards de dollars américains, ce qu'il ne cesse de contester (lien) : « Ni moi ni ma famille ne sommes propriétaires d'IKEA. Voilà plus de 20 ans que j'ai cédé toutes mes actions afin de garantir la continuité de l'entreprise ». Le groupe Ingka Holding est sous le contrôle de la Fondation Ingka de droit néerlandais. Reste que selon une enquête récente, Ingvar Kamprad a conservé les droits sur la marque même après avoir transmis l'entreprise à une fondation néerlandaise, Inter Ikea Group, en 1982. Il a continué à toucher, dans le plus grand secret, des dividendes qui, au fil des ans, ont constitué sa fortune. En 2015, Ingvar Kamprad paie pour la première fois ses impôts en Suède en 40 ans. ll avait quitté la Suède en 1973 notamment pour échapper à la fiscalité du pays. A 89 ans, il a en effet déclaré 17,7 millions de couronnes suédoises (moins de 2 millions d’euros), dont 1,2 million au titre des revenus du travail et 16,5 millions au titre des revenus de capital, précise le quotidien de référence "Dagens Nyheter" sur son site internet. ( lien ). Ses impôts se sont élevés à six millions de couronnes, ce qui représente un taux de prélèvement de 34%, équivalent à celui d’un cadre. Ingvar Kamprad a décidé de revenir sur ses terres natales après le décès de son épouse.

L'UNION EUROPÉENNE COMPLICE DE CE DÉTOURNEMENT DE RICHESSE

Le scandale Luxleaks, en novembre 2014, avait révélé comment, les géants du Net, des télécoms, de la finance ou de la grande consommation s’appuient sur un État comme le Luxembourg et ses règles fiscales particulièrement adaptées, comme sur les failles de la réglementation internationale, pour y transférer des profits afin qu’ils n’y soient très peu taxés. Ce sont des milliards d'euros de recettes fiscales évaporées grâce à des accords fiscaux secrets entre le Luxembourg et plus de 300 multinationales. Si les responsables européens feignent de s'offusquer de ses manipulations, ce sont bien les mêmes responsables comme J.C. Juncker, qui sont à l'origine de telles réglementations particulièrement adaptées à l'évaporation fiscale. Certes depuis Luxleaks, on assiste à quelques changements des règles d'octroi des fameuses tax rulings, mais ils s'effectuent à la marge, afin de rendre les critères d'éligibilité un peu plus transparents et surtout de les harmoniser sans remettre en cause l'ingénierie fiscale qui permet cette confiscation d'une grande part des recettes fiscales des pays de la communauté européenne.

Dans un entretien accordé au Monde le 29 octobre 2014 , M.Gramena, ministre des finances luxembourgeois s'est montré clair : « la pratique des tax rulings fait partie de notre patrimoine et nous voulons la perpétuer dans le respect des règles, déclare-t-il. (...) Le maintien d'une certaine compétitivité, loyale, entre les Etats dans le domaine fiscal est indispensable. » Le Luxembourg étant très dépendant de ces activités financières. ( lien).

"IKEA constitue l’archétype de l’entreprise multinationale tirant avantage de toutes les échappatoires juridiques pour se soustraire à sa responsabilité fiscale. Bien qu’il soit essentiel que la Commission européenne enquête au plus vite sur ce cas d’école, il est également urgent de réformer le cadre réglementaire actuel qui facilite les stratégies de planification fiscale agressive en Europe. Les tergiversations dont font preuve les gouvernements européens dans ce domaine sont incompréhensibles et coûtent très cher aux contribuables européens." Si Eva JOLY, membre Verts-ALE de la Commission TAXE s'émeut légitimement d'une telle situation il serait urgent d'exiger que cessent de telles pratiques pour construire à l'échelle de l'Europe une politique fiscale qui permettent à chacun des pays de recevoir la juste contribution fiscale de tous ces groupes supranationaux. Mais il est à craindre que nos commissaires européens comme Moscovici se satisfassent de quelques déclarations de principe sans s'attaquer réellement aux causes de ce scandale de l'évasion fiscale.

Le coût de l'évaporation fiscale dans l'Union européenne s'élèverait à plus de 1.000 milliards d'euros. Pour l’État français la perte fiscale est de l'ordre de 50 milliards d'euros, soit de quoi payer chaque année les intérêts de la dette ou aussi de quoi s'offrir l'ensemble du PIB du Luxembourg.

Ce coût qui s'ajoute au poids des niches fiscales ( 80 milliards d'euros) révèlent comment ceux qui n'ont que leurs bras et leur intelligence comme unique richesse contribuent non seulement directement par leur travail mais aussi indirectement, à leur insu, grâce à la complicité de l'élite politique de tout bords, à la réalisation de la sur accumulation du capital entre les mains d'une minorité de plus en plus réduite mais de plus en plus vorace. Prédation d'argent publique qui prive du même coup les États de moyens suffisants pour lutter contre la précarité et la misère et offrir à l'ensemble de la communauté des services publics qu'elle est en droit d'attendre.(2)

LA SCIENCE DU PARTAGE

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(1) https://blogs.mediapart.fr/jean-lucien-hardy/blog/211014/au-rayon-eclairage-ikea-ne-vend-plus-que-des-leds

(2)Voir aussi le premier article sur IKEA de 2013.


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