Il est temps de revoir la loi Toubon !

par Laurent Herblay
vendredi 4 juin 2021

Papier publié sur le FigaroVox

 

En 1994 cette loi était passée pour « protéger le patrimoine linguistique français  ». Déjà, le Conseil Constitutionnel en avait limité la portée au service public. Vingt-sept ans après, elle est tellement inefficace que notre future carte d’identité sera bilingue, et le globish bourgeonne dans bien des communications de nos services publics, sans même parler du secteur privé. La France a donc besoin d’une nouvelle loi pour rétablir le français comme seule langue de communication de notre pays.

 

Combattre l’invasion du globish

Le comble a récemment été atteint par l’ajout de l’anglais sur notre carte d’identité. Dans une tribune forte, Mathieu Bock-Côté pointe que « ce n’est plus dans sa langue seule que le Français se présentera désormais au monde (…) Le français, sur cette carte de référence, n’est plus qu’une langue sur deux, presque optionnelle, réservée aux nationaux, mais jugée insuffisante à l’extérieur des frontières  ». Il souligne que le choix de l’anglais revient « à se placer sous l’hégémonie symbolique du monde anglo-saxon  » et rappelle qu’Emmanuel Macron est prompt à un tel comportement, lui qui avait choisi la langue de Shakespeare pour s’exprimer à Berlin en janvier 2017. On pourrait également épingler le choix d’un slogan anglais pour la candidature de Paris aux J.O. 2024

Encore une fois, l’UE était à l’œuvre, exigeant des papiers d’identité bilingues. Le promotion de l’usage de l’anglais pourrait sembler paradoxale après le Brexit, alors qu’il n’est plus la langue maternelle que de 1% de la population de l’Union, et que le continent a offert au monde des langues parlées sur toute la planète par des centaines de millions de personnes. Mais ce faisant, comme le pointait le Général de Gaulle, l’UE montre à nouveau qu’elle est un projet qui sert plus la globalisation anglo-saxonne que les pays européens. Quelle tristesse de contribuer ainsi à l’applatissement linguistique du monde.

Et malheureusement, nos services publics, pourtant théoriquement encadrés par la loi Toubon, ne se privent pas de l’usage du globish. Le cas du nom du nouveau pass Navigo easy, de la RATP et la SNCF, a été justement épinglé par l’association Francophonie Avenir, qui a porté le sujet au tribunal administratif. « Navigo facile » aurait parfaitement fonctionné, et nous aurait épargné cette nouvelle invasion du globish. Malheureusement, les juges se sont appuyés sur une interprétation biaisée de la loi pour rejeter la requête de l’association. Valérie Pécresse, présidente du conseil d’administration de la société Ile-de-France Mobilité, ne pourrait-elle pas agir pour changer le nom du pass et passer à une dénomination en français ? On peut également ajouter le choix contestable par la SNCF de rebaptiser ses TGV « Ouigo », mélange franco-anglais, à la sonorité qui penche bien trop vers le globish.

Mais ce ne sont pas seulement les services publics qui devraient exclusivement utiliser le français pour leurs noms de marques ou leurs communications. En France, il devrait être normal que toutes les campagnes de publicité n’utilisent que la langue de Molière. Après tout, si Mercedes parvient à le faire pour la plupart de ses véhicules, pourquoi Peugeot nous inflige actuellement un « Il est temps de changer  » en anglais pour son 3008, et « une nouvelle performance pionnière  » pour sa 508, après avoir déjà promis de rendre le futur moins ennuyeux avec sa nouvelle 208 l’an dernier  ? Peugeot se démarque également défavorablement avec son label Peugeot Sport Engineered et son Store

Derrière cette invasion du globish, il y a la logique du capitalisme globalisé, qui préfère pouvoir utiliser les mêmes slogans et les même noms de marque pour le monde entier : cela coûte moins cher et permet un contrôle central plus fort. C’est la raison pour laquelle des entreprises françaises, comme Danone, persistent à faire la promotion d’Evian en France avec le slogan « vivre jeune », en anglais, ou celle de ses yaourts en promettant de « rester fort  », en anglais aussi  ! La logique ultime de la globalisation dérégulée, c’est un espace public totalement aplati et unformisé, d’où plus une distinction locale ne subsisterait, le tout, dans un globish pauvre et superficiel, au nom de la commodité marchande.

Comme le pointe Mathieu Bock-Côté, la France se doit d’être un pôle de résistance à cette uniformisation. Et puisque le cas Navigo easy montre que la loi Toubon ne permet même pas d’assurer l’usage du français pour un service public comme le transport en commun, il est essentiel de revoir la loi. Comme au Québec, où il a fallu s’adapter aux décisions de la justice, il faut aller plus loin pour interdire l’usage de l’anglais dans toutes les communications, du secteur public, comme du secteur privé. Ce n’est tout de même pas demander grand chose que s’assurer du respect de la langue officielle de notre pays, d’autant plus que cela ne nuira à personne. Et il faudrait sans doute également instaurer une réglementation plus stricte des choix linguistiques pour des marques ou des enseignes et ne pas permettre qu’Ile-de-France Mobilités intitule un pass Navigo easy à l’avenir, et préfère l’appeler Navigo facile.

Après tout, Nespresso aurait-il eu moins de succès en demandant « Quoi d’autre ?  » dans notre pays ? Le respect de notre langue n’est pas une demande extravagante. Ce qui l’est, c’est laisser-faire l’invasion du globish et l’effacement du français dans l’espace public pour satisfaire la volonté d’uniformisation de la planète d’un capitalisme marchand refusant les particularismes nationaux.


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