« Il faut qu’il reste » : une réponse au livre de Sébastien Lapaque

par Matthieu Grimpret
mercredi 4 juin 2008

A ceux qui prétendent que, depuis un an, la liberté d’expression a reculé en France pour cause d’interventionnisme élyséen tous azimuts, Sébastien Lapaque vient d’infliger un cuisant démenti. Son nouveau livre au titre éloquent, "Il faut qu’il parte", tend même à démontrer que la concurrence est rude entre les chacals qui jappent contre le président de la République.

Dès l’incipit, Sébastien Lapaque flirte avec l’outrage dans l’espoir de se distinguer : en couverture, il détourne la photo officielle du chef de l’Etat en faisant disparaître… le chef de l’Etat ! Voilà qui est d’un goût douteux. Difficile de défendre le peuple (demos, en grec) et d’y faire mille références, tout en déclarant nulle la pratique la moins contestable de la démocratie… De toute façon, le coût d’entrée sur le marché de la critique étant bien faible de nos jours, le retour sur investissement ne le sera pas moins : « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire », comme l’écrivait Corneille – on peut connaître la micro-économie et avoir des lettres, n’en déplaise aux spectateurs de la pensée unique antilibérale. Ce n’est pas encore cette fois-ci que M. Lapaque s’en ira à Guernesey.

Pas sûr qu’il eût mérité son ticket, du reste. En effet, son texte n’est pas assez crédible pour paraître dangereux. Sa thèse – difficile à cerner, mais qu’on peut résumer ainsi : avec Sarkozy, l’argent a pris le pouvoir – inspire la circonspection, voire le soupçon. Elle manque d’étayage, ce qui est regrettable sous la plume d’un admirateur du classicisme français.

En premier lieu, Sébastien Lapaque met trop de lui-même dans son propos. Ça sent le fils de concierge. On décèle sous ses morceaux de colère froide des souvenirs de fins de mois difficiles, d’hypokhâgne ratée, de récréations solitaires, de premiers blazers achetés d’occasion, de dîners-débats interminables au restaurant universitaire. Bref, Julien Sorel revu et corrigé par Télé 7 jours et la CFDT. En creux, se devine le syndrome du loser : trop aigri pour être honnête.


Ensuite, Sébastien Lapaque tire vers lui des ficelles faciles à manier, et donc bien usées déjà : le peuple – quid est ? – sert de bouc émissaire ; l’Amérique est la source de tous nos maux ; François d’Assise fut un poète révolutionnaire ; les méchants libéraux souhaitent la disparition de l’Etat ; les gens ne pensent qu’à bouffer, y a plus de vie spirituelle ; le système est pervers ; le profit c’est pas bien ; faut aider les Rebeus à aimer la France pour qu’ils aspirent à rejoindre l’élite républicaine, etc. Sur ce dernier point, d’ailleurs, les professeurs qui enseignent dans des classes très hétérogènes, en milieu modeste, n’ont pas attendu M. Lapaque pour savoir que certains élèves issus de l’immigration sont brillants. Ils tiennent tout de même à préciser ceci : ces élèves-là, qui n’ont de toute façon pas lu La Princesse de Clèves ou traduit La Guerre des Gaules à l’âge de 13 ans, pas plus que leurs professeurs, rêvent moins de devenir instituteur, comme le prétend M. Lapaque, que banquier à Hong Kong ou ingénieur à Londres. Eux aussi ont une certaine idée de la France, et ce n’est pas celle de Marcel Pagnol ou du général de Gaulle. Tant mieux ? Tant pis ? De toute façon, dans une ou deux générations, ils auront les clés en main, et personne ne les empêchera de faire ce qu’ils veulent de ce pays. « Nos valeurs vaincront », chante Diam’s. Ce n’est ni Ségolène Royal ni Fadela Amara qui donnent raison à cette dernière. C’est la démographie, mère des sciences humaines.

Cela nous conduit, troisièmement, à la pensée exposée dans ce petit livre. Idéologue, Sébastien Lapaque essaye de faire un sort au « bourgeois » – notion aussi vague que le « peuple ». Il n’aime pas le XIXe siècle, celui de Guizot, oubliant que les plus grandes familles d’entrepreneurs français, auxquelles des milliers de salariés doivent aujourd’hui leur emploi, ont émergé à cette époque. Il n’aime pas la prétendue arrogance des managers « à l’américaine », comme Christine Lagarde dont il fait un portrait abject, ignorant que le succès durable dans les affaires vient toujours couronner des années d’humilité. Il se réjouit, enfin, que la majorité des Français, d’après un sondage d’ailleurs non sourcé, désavouent l’économie de marché, écartant le souvenir des criminels qui essayèrent, il y a moins d’un siècle, de lui trouver une alternative, au prix de millions de morts.

Au milieu d’une broussaille invraisemblable de généralités et de sentences, Sébastien Lapaque pose cependant une question tout à fait essentielle : « Qu’est-ce que la politique ? » Pour y répondre, il suggère un recours à la « philosophie politique classique ». La bonne blague ! Il ne faudra pas trop en pousser la lecture, alors. Que disent les classiques, en effet ? Que le responsable politique doit remplir les gamelles de poésie ? Certes non. Sébastien Lapaque a raison : « on n’est pas amoureux d’un taux de croissance ». Mais la politique n’est pas l’art de la rencontre amoureuse. C’est l’art de la confrontation aux défis présents et à venir. C’est l’art, non de l’idéal, mais du meilleur possible.

Il faut donc que Nicolas Sarkozy reste, non seulement parce qu’il a engagé de bonnes réformes – ce sont des réformes qu’il nous faut, et non je-ne-sais-quelle bavarde « refondation du lien entre le peuple et les élites » – mais aussi parce qu’à l’épreuve du pouvoir, dans le temps, son appréciation du réel, son sens de « ce qu’il est possible de faire » va s’aiguiser. Non pour le bonheur de la France, mais pour la prospérité des Français. Bref, ce qu’on attend d’un chef d’Etat, et rien d’autre.

Matthieu Grimpret

Professeur d’histoire, essayiste

Dernier ouvrage paru : Traité à l’usage de mes potes de droite qui ont du mal à kiffer la France de Diam’s (Anne Carrière, avril 2008)


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