Il peut s’en faire, des cheveux blancs...

par morice
mercredi 14 juillet 2010

Barack Obama est dans la tourmente. Pas seulement celle que lui impose la situation en Golfe du Mexique : il se bat actuellement pour conserver intacte l’image de son armée. Une situation inattendue pour un prix Nobel de la paix. L’héritage transmis par son prédécesseur est tel que la publication de nouveaux documents sur les exactions américaines peut ruiner complètement sa réputation, si tentée qu’elle en ait encore une. Le président américain est confronté à un dilemme proche de celui qui consisterait à révéler les dessous de l’assassinat de Kennedy. Tout le monde se doute que ça ne s’est pas passé comme on a pu le dire. Mais l’avouer serait mettre en cause la CIA, voire la supprimer, ce qui est impossible aux USA. Le problème, c’est que d’autres photos d’Abou Ghraïb existent (il y en a 44 encore à montrer), et qu’une autre vidéo de massacre traîne dans les tiroirs de Wikileaks, connu pour son premier document « interdit ». Quand sortira la vidéo d’un des massacres, car elle sortira, ça en sera fini de la crédibilité de l’armée américaine. Ce ne sera pas celui de Kunduz, je pense, mais peut-être celui du village de Der-Rahoud-Karakak en 2002, ou celui d’Azizi, en 2006, voire plutôt celui des véhicules d’Oruzgan le 21 février 2010, le plus récent des trois massacres. Le président US, en décidant de faire condamner récemment les hommes à la source des fuites, a donc décidé de sauver les meubles, et rien d’autre. L’histoire jugera plus tard du bien fondé de sa démarche. Pour l’instant, on peut surtout en dénoncer le principe, entièrement opposé aux principes de transparence émis par Barack Obama lors de sa campagne électorale.
 
Tout est venu de Guantanamo, et de la promesse de vider ce cloaque imaginé par G.W.Bush, Dick Cheney et Donald Rumsfeld. Juridiquement, on l’a vu, Guantanamo était au départ un truc fort mal ficelé. Des juges tenaces n’ont toujours pas lâché le morceau, ce que j’avais déjà écrit ici il y a deux ans déjà en ce qui concerne ceux de la Cour Suprême... Une juge fédérale américaine, Gladys Kessler, a remis ça récemment sur le grill, en convoquant récemment Dan Fried, de l’administration d’Obama, chargé pourtant du problème, au sujet d’un détenu, Ahri Saeed Bin Mohammed. Ne faisant pas partie pourtant des six autres algériens capturés à Sarajevo et torturés (*). Un prisonnier renvoyé par les USA en Algérie, où il craint pour sa vie une fois ré-expédié là-bas. Ce n’est pas le seul couac du moment. Des organisations ont également décidé de porter plainte contre les mauvais traitements infligés aux détenus... à partir de témoignages comme ceux d’Adel Hasan Hamad, un soudanais, qui vient lui de porter plainte contre... Donald Rumsfeld en personne, mais aussi contre l’actuel responsable de la Défense : Robert Gates, l’homme issu du sérail de la CIA et qui a traversé tous les régimes présidentiels... on comprend mieux alors l’embarras du pouvoir actuel. Garder Robert Gates est devenu une fausse bonne idée, et Obama est obligé d’attendre maintenant la fin de son mandat.
 
Les accusations d’Hamad sont en effet assez effarantes : outre les sévices ("Hamad affirme qu’il travaillait comme travailleur humanitaire au Pakistan quand il a été capturé dans son appartement, torturé et envoyé vers la base militaire à Cuba. Il dit avoir été contraint de manger des mets avariés, de boire de l’eau croupie, avoir été soumis à des températures extrêmement froides, et avoir été contraint de rester debout pendant trois jours, sans manger ni dormir"), il y a aussi dans son cas un problème légal. "Avant son renvoi au Soudan en 2007, ses avocats avaient appris que l’ordre de le libérer datait déjà de deux ans". Libérable, mais gardé deux années supplémentaires en détention ? Mais c’est plutôt le profil de l’incompétence généralisée qui se dégage de la gestion de Guantanamo.... et qui soulève à nouveau le problème juridique de ses statuts d’origine.
 
Juridiquement bancal, dénoncé par la plus haute autorité du pays, Guantanamo pose depuis hier un autre problème : celui des sommes astronomiques qu’on y a englouti, comme le révèlait hier le Washington Post . Exemples effarants à l’appui :  "13 millions de dollars ont été dépensés pour construire un tribunal sur mesure, pour juger Khalid Cheik Mohammed, le « cerveau » présumé du 11 septembre et ses coaccusés (que l’administration Obama voudrait maintenant juger sur le sol américain). Et encore, à l’origine, en 2006, le Pentagone avait demandé un budget de 125 millions de dollars pour ce tribunal. Un hôpital-prison a coûté 18,2 millions de dollars et 2,9 millions encore pour y ajouter un service psychiatrique de 12 lits"... ce qui n’est encore rien au regard des détails : "Mais les gaspillages les plus flagrants portent sur les aménagements destinés au personnel de la base. 188 000 dollars pour une enseigne lumineuse annonçant « Welcome Aboard » sur fond de carte de Cuba (pour ce prix, elle donne aussi l’heure et la température), 249 000 dollars pour un terrain de volley abandonné, 296 000 pour une piste de go-kart inutilisée (les six voitures importées n’ont jamais vraiment fonctionné), 683 000 dollars pour rénover un café qui vend des glaces et du café Starbucks, 773 000 dollars pour héberger un restaurant KFC et un Taco Bell… La base compte aussi 27 terrains de jeux pour les enfants qui sont au nombre de 398 (moins de 18 ans). Dans la région de Washington, le ratio habituel n’en aurait guère prévu plus de deux, compare le WaPo". Une fois encore, certains se sont grassement servis. Comme on avait pu le voir avec notre blondinet devenu troisième de la CIA : j’avais en effet dénoncé bien avant ses "révélations" les agissements de Kyle D. Foggo, en novembre dernier ! L’homme qui s’était grassement servi sur la construction des prisons "fantômes" en Europe !
 
Aujourd’hui, les langues se délient, dans le civil comme dans l’armée, et Obama n’arrive plus à les faire taire. Cela, ou la déclassification de documents obtenus par des militants de la transparence, plutôt efficaces : si le scandale de Salt Pit réapparaît, c’est parce que le 28 mars 2010, on a pu (enfin) fourrer le ne dans ce que sont les notes du conseiller juridique de G.WBush, Jay Bybee. L’homme clé du "bétonnage" procédurier de l’installationde Guantanamo. Car il y en a aussi d’autres de Guantanamos, comme justement cette prison de Salt Pit, aux abords de Kaboul même. Où avait été tué, après avoir été torturé Gul Rahman, arrêté le 29 octobre 2002, lors d’une opération des forces spéciales visant le mouvement Hezb-e-Islami et son chef Hekmatyar Gulbuddin.
 
Or Rahman n’avait pas été arrêté seul, mais en compagnie de quatre autres individus, nous dit aujourd’hui Kboi2. Dont Dr. Ghairat Baheer, un physicien, le leader du mouvement Hezb-e-Islami, le beau-fils d’ Hekmatyar Gulbuddin, le chef de guerre, et pour lequel Rahman avait servi de chauffeur à une époque. Les deux hommes se connaissaient donc bien. Baheer, resté 6 ans à Bagram et 6 mois à Salt Pit, avait vu Rahman emprisonné, laissé nu sur le béton, toutes ouvertures laissées ouvertes dans une cellule, en plein hiver. L’homme, on le sait, avait été retrouvé mort gelé, et l’on avait fait disparaître discrètement son corps après. Il n’avait jamais été retrouvé. Selon plusieurs témoignages recoupés, un médecin militaire appelé aurait conclu à une mort par "hypothermie" : le premier témoignage enregistré d’une exaction ayant entraîné la mort de prisonnier. Dès que l’affaire avait fait quelques articles dans la presse, les américains avaient pris la décision... de raser Salt Pit, supprimant toute possibilité d’investigation ultérieure.
 
Une semaine plus tard, Baheer avait été libéré sans aucune charge contre lui. Une enquête menée par l’inspecteur principal de la CIA diligenté sera transmise à deux procureurs fédéraux, Paul J. McNulty and Chuck Rosenberg, qui n’arriveront pas à savoir quel individu exactement avait eu Gul Rahman en charge d’interrogatoire, à la CIA. Mieux encore : l’inspecteur général avait cité deux noms d’officiers ayant "interrogé" Gul Rahman. Questionné quelque temps après sur le sujet, le responsable de la CIA avait refusé d’en donner les noms lui aussi. Or ce responsable, à l’époque le troisième plus haut gradé de la CIA, s’appelait Kyle D. Foggo, encore lui, qui purge toujours actuellement une peine d’emprisonnement de 37 mois pour diverses malversations et divers détournements de fonds au sein de l’organisme. On est en droit aujourd’hui de se poser quelques questions sur le sort de son prisonnier, à voir avec quel état d’esprit il il avait "dirigé" ses services en les détournant à son profit !
 
Pourquoi donc avait-on libéré Baheer ? Car il avait une autre chose à raconter encore. Gul Rahman, en 1994, aurait été celui qui aurait sauvé la vie d’Hamid Karzaï, lors d’un épisode rocambolesque où les services Afghans talibans avaient arrêté le futur président, qui n’avait dû son salut qu’à un obus providentiel qui lui avait permis de s’échapper, avec Rahman, confirme le frère de ce dernier. Une histoire aussi attribuée parfois au chef de Rahman, Gulbuddin Hekmatyar. A-t-on à partir de là tenté d’étouffer l’affaire d’une bavure évidente ? Sans nul doute !
 
L’histoire aurait pu cependant en rester là, dans une indifférence médiatique, si d’aucuns n’avaient pas noté une différence de traitements entre les responsables de prison, en comparant le cas de Kaboul et celui de Bagdad. "Pusieurs anciens hauts responsables de la CIA se sont posé la question de l’avancement de carrière du responsable de la prison de Kaboul après la mort de Rahman. Aujourd’hui devenu officier supérieur, l’homme a été promu au moins trois fois depuis qu’il a quitté l’Afghanistan en 2003, ajoutent d’anciens officiers. En revanche, selon les mêmes officiers, à Bagdad le chef de la prison de la CIA à Bagdad a été rétrogradé après la mort d’un Irakien à la prison d’Abou Ghraib par les militaires en novembre 2003". Le responsable d’Abou Ghraib est bien connu : c’est une femme officier, venue depuis expliquer que les interrogatoires de la CIA étaient "secrets", et qu’elle n’avait pas eu droit au chapitre sur le comportement de ceux qui les menaient. Après être passée pour la bouc-émissaire idéale, la Brigadier General Janis Karpinski, rétrogradée colonel, aujourd’hui à la retraite d’office, était en effet venue expliquer devant les caméras  en avril 2009, que cette partie de la prison était le fait des mercenaires travaillant au nom de la CIA. Elle y mouillait en particulier le colonel Thomas Pappas, qui lui avait apporté d’un coup 500 "security detainees". Des prisonniers qui étaient les mêmes qu’à Guantanamo : des gens raflés à la hâte... pour montrer que l’on faisait quelque chose contre le terrorisme. Du type torturer Mohammad Jawad, âgé de...12 ans.
 
"Qui sont les security detainees d’Abou Ghraib ?  » La plupart d’entre eux sont des « bystanders » [spectateurs] , affirme Janis Karpinski. Des Irakiens qui se trouvaient pris dans une opération de l’armée au mauvais moment, parfois avec leurs femmes, ou qui ont été dénoncés contre de l’argent. Tous, loin de là, ne sont pas des insurgés ou des "terroristes". Comment les repérer ? Déterminer qui est "antiaméricain" ? Qui détient des informations utiles ? Les officiers du renseignement les interrogent à la chaîne. Ce n’est pas un travail facile. C’est brutal. Janis Karpinski ne participe pas aux interrogatoires – sauf une fois, reconnaît – elle, à titre d’observateur. Ce n’est pas sa responsabilité, le renseignement". Que les détenus aient été innocents, Bush le savait et il l’avouera même. Une bonne partie n’avait même pas été raflée mais... achetés à des dénonciateurs, 5000 dollars la tête. Après Pappas, c’est le général Miller, arrivé le le 23 janvier 2004 pour superviser tout le renseignement, qu’accuse la Brigadier General Janis Karpinski : selon elle, c’est lui qui aurait poussé Pappas à des interrogatoires plus musclés, sur ordres venus de plus haut. Trois mois à peine après son arrivée, les premières photos des tortures apparaissent et le scandale éclate. Un deuxième et un troisième lot de photos sera encore plus compromettant : sur l’une d’entre elles, on a bien un cadavre passé à la bombe au phosphore : celles utilisées à Faludjah.
 
Comment emmenait-on les prisonniers, à Salt Pit  ? Un membre de la police locale pro-US témoigne : "le 1 er mai 2004, il était affecté à un poste de contrôle quand une voiture est passé au travers. « À l’intérieur il y avait des hommes habillés comme des Arabes, mais ils c’étaient des hommes de l’Ouest", a-t-il dit. "Ils avaient des prisonniers dans la voiture."Sardar a tiré un coup de semonce pour que la voiture s’arrête. "Les hommes de l’Ouest ont répliqué, et au bout de quelques minutes, deux hélicoptères d’attaque des États-Unis tournaient au-dessus de nous. Ils ont tiré trois roquettes sur la station de police. L’un est passé prés de moi en faisant du boucan. J’ai vu sa queue et son panache noir." Ces hommes aussi, je vous les ai décrits : ce sont ceux de Blackwater ou de Zapata. Capables aussi de tirer sur les policiers qu’ils sont censés former...
 
L’usage du phosphore blanc a toujours été nié par les américains : cela ne doit pas se savoir. On prend prétexte des tortures pour éviter à tout prix de reconnaître un massacre qui a eu lieu à deux reprises au même endroit, avec des armes interdites : c’est plus qu’embarrassant. Selon Karpinski, les huit personnes qui seront plus tard condamnées (dont Charles Graner, condamné à dix ans de prison, et la "fameuse" Lynndie England), sont toutes des lampistes. C’est Rumsfeld en personne qui avait ordonné les interrogatoires plus "coercitifs" ajoute Karpinski devant le présentateur de CountDown. "Ou étiez-vous il y a cinq ans, mr Rumsfeld ?", lui lance-t-elle, alors, hors de ses gonds ! Tout est donc lié en effet : l’administration d’Obama est coincée, car toutes les photos n’ont pas été transmises à la presse. Il en reste, les pires, soit 44 clichés, encore plus avilissants, montrant davantage encore le comportement déshumanisant de l’armée et des mercenaires qu’elle emploie. Le public américain ne les pas encore vus et pour l’instant ne les verra pas. Le 14 mai 2009, Obama refusait leur publication, pourtant ordonnée par un juge fédéral. Une façon de sauver son armée, et rien d’autre. Obama ne savait pas à quoi il allait s’attendre en s’attaquant à la fermeture de Guantanamo.
 
Pas à ça, en tout cas, révélé en avril 2010 : "Lawrence Wilkerson, chef d’état-major de l’ancien chef de la diplomatie américaine Colin Powell, affirme dans une déclaration jointe à une plainte d’un prisonnier de Guantanamo, que l’ancien vice-président Dick Cheney et l’ex-secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld savaient que la majorité des personnes détenues en 2002 sur la base, soit à l’époque 742, étaient innocentes mais qu’il était impossible politiquement de les relâcher. MM. Cheney et Rumsfeld ne voulaient pas relâcher les « innocents » car cela aurait « révélé la confusion incroyable » qu’a été leur arrestation, ajoute-t-il. Le maintien « d’innocents se morfondant à Guantanamo pendant des années était justifié par la guerre contre le terrorisme et le petit nombre de terroristes responsables des attentats du 11 septembre 2001 »." On vous a dit déjà que tout était faux, dans cet "guerre au terrorisme". En avril dernier, on apprenait que les prisonniers de Guantanamo (et des autres centres de rétention) aussi l’étaient.
 
Surtout que d’autres témoignages de sévices parviennent à la presse. Les derniers en date rappellent étrangement ce que j’ai pu aussi vous décrire sur la CIA et son emploi à peine déguisé dans les années cinquante d’anciens tortionnaires nazis, notamment à Fort Bragg. Cette fois on parle de piqûres, pas moins, chez Physicians for Human Rights mais aussi d’étranges expériences. Des tests sur le manque de sommeil, par exemple, mais annotés, enregistrés et réitérés, après modifications. Or les expérimentations médicales sur les détenus, rappelons-le, sont interdites par la "Convention contre la torture et autres peines cruelles, inhumaines et dégradantes" de l’ONU. Encore plus embarrassant, car ces techniques sont bien celles du SERE, qui avaient été bannies en 1976. Les deux hommes ayant commis les sévices, les mercenaires James Mitchell et Bruce Jessen, étant connus pour les avoir appliqués. En pire. Les deux individus que n’avait pas voulu révéler Kyle D. Foggo.
 
Un Kyle Foggo qui aura tout tenté, à une époque, pour étouffer l’affaire Rahman. Entre les textes administratifs pondus par Bybee qui légalisait en quelque sorte la torture, et l’application de celle-ci et Kyle Foggo, responsable de la CIA, il y avait un homme, John Rizzo, à la tête de l’OGC (l’Office of General Counsel, l’organisme régulateur de la CIA**) depuis 2005. La chaîne décisionnaire et son timing ont été clairement établis depuis 2001. Or John Rizzo va se voir imposé par Foggo une secrétaire qui n’est autre que la maîtresse de....Kyle D. Foggo. A son arrivée, Obama avait demandé à Rizzo de rester en place malgré la fin de son mandat, persuadé des qualités de l’individu. Or quelques mois plus tard, on s’apercevait qu’il avait bien qu’il avait bien des contacts étroits avec Foggo, au sujet de l’emploi de sa maîtresse. Au même moment, les mails de Foggo révélaient qu’il se posait beaucoup de questions sur les "tortures tapes", ces bandes enregistrées des interrogatoires que G.W.Bush a fait broyer juste avant de quitter le pouvoir. Foggo, en cela, avait approché John Durham, chargé de faire le rapport sur les destructions de cassettes. Au bout du compte, c’était bien Porter Goss, faucon parmi les faucons et directeur un temps de la CIA qui se retrouvait visé. Porter Goss, conseillé alors par John Negroponte, l’homme de tous les coups bas de la CIA depuis près d’un demi-siècje maintenant. Porter Goss, L’homme qui était derrière l’histoire de la baie des Cochons en 1962 était aussi celui qui avait couvert les tortures : voilà pourquoi Barack Obama ne peut rien faire. Soulever le couvercle de Guantanamo, c’est ouvrir la boîte de pandore de plus de cinquante ans d’exactions !
 
Déboussolée par les vidéos promises par Wikilieaks (dont les serveurs sont suédois), ou les documents qui "sortent" chaque jour ou presque, et la crainte d’en voir arriver de nouveaux, l’administration américaine sous Obama a réagi à sa façon... en tapant dans le tas. Le premier visé étant le militaire ayant fourni la vidéo des tirs de l’hélicoptère Apache qui a fait la tour de la planète. Brad Manning, 22 ans, analyste militaire arrêté au Koweit en risquant gros : son acte est vécu comme une trahison par le Pentagone. L’administration a fondu sur l’individu, car le poste-clé où il était lui a permis d’engranger d’autres documents interdits de diffusion : une seconde vidéo sur un massacre de civils, celui des véhicules d’Oruzgan le 21 février 2010 ou une plus ancienne sur celui de Deh Rawud en 2002, ou encore celui d’Azizi, en 2006, mais aussi une autre menace sérieuse : le contenu de 260 000 telex diplomatiques qui pourraient mettre en péril l’actuel pouvoir, notamment Hillary Clinton, auteur d’une grande partie d’entre eux. Un pouvoir qui a de quoi être furieux, à apprendre quelle technique "hypersophistiquée" avait été employée pour recopier les fichiers "J’entrais avec de la musique sur un CD-RW libellé avec quelque chose comme « Lady Gaga », effaçais la musique puis gravais un fichier compressé en plusieurs morceaux » aurait déclaré le "whistleblower" (le "lanceur d’alerte").. C’est plus la honte qui semble dévorer aujourd’hui l’administration US elle qui a tant tanné le public avec son Homeland Security et sa parano sécuritaire.
 
Le second n’est pas moins surprenant : le Thomas A. Drake, 53, un vétéran des services secrets et de la NSA devenu collectionneur d’ordinateurs, qui vient d’être accusé d’avoir révélé des secrets d’état et risque pour ça dix années de prison. L’homme, selon la police, serait à l’origine de la révélation de la surveillance de l’ensemble des citoyens au nom du Homeland Security. Ce sont des articles de Siobhan Gorman du Baltimore Sun évoquant le sujet qui avaient fait scandale : or tout cela date de 2005, et Drake est inculpé en 2010 seulement. Sous G.W.Bush, personne ne l’avait été, note The Independent. Or les articles très bien documentés de Siobhan Gorman évoquaient surtout les failles énormes de la NSA ! A Drake et Brad Manning on peut aussi ajouter en décembre 2009 Shamai Kedem Leibowitz, traducteur pour le FBI, ayant plaidé coupable d’avoir refilé 5 documents classés à un bloggueur. 
 
Même chose enfin pour tenter de masquer le paravent USAID dont se sert la CIA comme on a pu le voir ici à plusieurs reprises. Après avoir longuement hésité, Obama avait fini par nommer Mark Feierstein comme administrateur adjoint pour l’Amérique latine et les Caraïbes, qui avait été pris la main dans le sac en 2002, lors de la campagne électorale de l’ ancien président bolivien Gonzalo Sanchez de Lozada et son Mouvement nationaliste révolutionnaire (MNR). Mark Feierstein travaillait alors pour Greenberg, Quinlan & Rosner, qui se chargeait de la campagne électorale de Gonzalo Sanchez de Lozada. Un groupe reconnu responsable de massacres d’indiens lors de la "guerre du gaz". "La conclusion d’un accord par Sánchez de Lozada avec les compagnies pétrolières américaines portant sur la vente et l’exportation du gaz naturel bolivien via le Chili donne lieu à des manifestations de masse, en particulier dans les régions de La Paz et de El Alto. Ces événements, qui portent le nom d’« Octobre noir », se soldent par la mort d’au moins 80 personnes et plus de 400 blessés, y compris des femmes et des enfants – chiffres produits par l’assemblée permanente –. Le Président Sánchez de Lozada retire sa proposition d’accord. Le 13 octobre 2003, Sánchez de Lozada est forcé à la démission. Il s’en va en exil aux Etats-Unis d’Amérique. Carlos Mesa, le Vice-Président alors en fonction, reprend la présidence." Mark Feierstein, outre ses fonctions officielles, écrit régulièrement dans le New-York Times, relais direct du pouvoir en place dans ce cas. Le 11 juin dernier, le président bolivien Morales l’a décrété persona non grata sur son territoire, ainsi que Rajiv Shah, récemment nommé responsable d’USAID, dont j’ai montré ici-même les intrusions politiques patentes. 
 
Pour cacher les exactions et les tortures, le pouvoir en place n’a en fait pas lésiné ; comme le montre un blog qui a tenu à jour les destructions successives de documents compromettants :
 
  • Avant mai 2003 : 15 des 92 des "torture tapes" sont effacées ou endommagées.
  • Début 2003 : les documents du juge Dunlavey enquêtant sur Guantanamo son "perdus"
  • Avant août2004 : les "memos" de John Yoo et de Patrick Philbin sont effacés de leurs ordinateurs.
  • Juin 2005 : toutes les copies signées Philip Zelikow de sa déposition à l’Office of Legal Counsel sont détruites.
  • 8-9 novembre 2005 : 92 "torture tapes" détruites.
  • Juillet 2007 (probablement) : 10 documents de l’Office of Legal Counsel - SCIF "disparaissent".
  • 19 Décembre 2007 : un incendie (providentiel ?) éclate dans le bureau de Dick Cheney... 
 
On voit donc bien pourquoi le pouvoir actuel craint les révélations de WikiLeaks ou d’autres "lanceurs d’alerte" : ces deux guerres, en Irak et en Afghanistan ont été marquées par le sceau du secret. Aucune image dérangeante ne devait en sortir. On a traité le sujet de la mainmise de G.W. Bush ici-même (***). En septembre 2009 encore, lors de la mise en ligne de la mort d’un soldat US, Lance Cpl. Joshua Bernard, fimée en direct, on avait eu droit à une vive réprimande du pouvoir. Robert Gates en personne avait écrit à Associated Press : c’était pourtant bien la seule fois où l’on n’avait pu voir ce genre de choses. Des journalistes italiens avaient pourtant prouvé qu’à Falludjah les américains avaient eu recours à un arsenal dantesque pour venir à bout de la résistance sur place : gaz innervants, napalm et bombes au phosphore.
 
Des massacres, il y en a eu d’autres, on le sait. Kakarak, Azizi, Oruzgan, entre autres. Des images le relatant existent quelque part, et l’administration américaine le sait. Ce qu’elle a craindre, désormais, c’est qu’un jour elles montrent au monde entier comment on a pu faire deux guerres dites "propres", alors qu’elles ont été menées avec une sauvagerie sans nom et un mépris total de la population civile. Si on a déjà appelé Julian Assange, le fondateur de Wikilieaks, "le nouveau gorge profonde", ce n’est pas un hasard en effet. Et cela, l’administration américaine, qu’elle soit de Bush ou d’Obama, ne peut l’accepter, à moins de voir s’effondrer tout un système aussi rapidement que ne s’est effondrée l’Union soviétique...

(*) dont Boumédiène Lakhdar, renvoyé en France où il est rentré le.... "Interrogé par FRANCE 24, l’un des avocats de Lakdhar Boumediene, Robert Kirsch, revient sur la décision d’enfermer son client à Guantanamo : "Tout cela est absurde quand on sait que cet homme n’avait pas d’informations à fournir".

 (**) un excellent dossier sur le rôle de L’OGC figure ici.
 
(***) l’ouvrage de base sur la prise en main des médias sous G.W.Bush s’appelle "Une arme de dissuasion massive", de Sheldon Rampton et John Stauber, paru en France chez Le Pré aux Clercs, en février 2004 (qui ont aussi écrit le remarquable "’Industrie du mensonge : Lobbying, communication, publicité et médias ")
 
Le marigot autour de Kyle Foggo est ici.
http://www.politicalfriendster.com/showPerson.php?id=3748&name=Dusty-Foggo
 

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