Il y a 30 ans : le « Village de Bamboula », dernier zoo humain de France
par Fergus
lundi 2 septembre 2024
Cette choquante histoire ne pourrait évidemment plus se produire dans notre pays. Aussi étonnant que cela puisse nous sembler de nos jours, le « Village de Bamboula » a pourtant bien existé, il n’y a pas si longtemps, dans le cadre d’un parc animalier de la région nantaise : 25 Ivoiriens (hommes, femmes et enfants), employés dans des conditions indignes, y ont été exposés aux yeux des visiteurs...
À l’origine de cette histoire l’on trouve deux entrepreneurs de la région nantaise, Monique et Dany Laurent (décédé en 2014). Le 1er juillet 1984, ils ouvrent à La Boissière-du-Doré en Loire-Atlantique un zoo de taille modeste, initialement dédié aux espèces animales locales avant d’être progressivement diversifié et agrandi au fil du temps. Huit ans plus tard, le couple crée dans le même département un deuxième parc animalier, beaucoup plus ambitieux, sur une superficie de 140 hectares à Port-Saint-Père, entre Nantes et Saint-Brévin : Safari africain*. Dès son ouverture, le 1er mai 1992, petits et grands peuvent y observer un demi-millier d’animaux, dont la plupart ont été importés du continent africain.
Dany Laurent voit plus loin : dès 1993, il forme le projet de construire en marge du parc animalier un « village africain » de cases destiné à être animé par des personnes venues tout exprès d’Afrique pour exposer aux visiteurs de Safari africain un mode de vie typique de la brousse. L’hiver venu, des équipes d’ouvriers ivoiriens bâtissent cette reconstitution d’un « village authentique »**, dont la finalité est officiellement de « promouvoir le tourisme en Côte d’Ivoire », afin qu’il soit opérationnel dès le printemps 1994. « Une première sur le sol français, et même européen », se félicite Dany Laurent devant les caméras de la télévision régionale sans que cela ne suscite de réactions négatives immédiates à l’époque.
L’entrepreneur a bien monté son affaire. Il a même obtenu des autorités ivoiriennes l’assurance de pouvoir disposer d’artisans et d’artistes durant la totalité de la saison estivale 1994. En parallèle, il a négocié avec les dirigeants de la Biscuiterie Saint-Michel un partenariat financier destiné à promouvoir la marque de sablés chocolatés Bamboula sur les paquets desquels figure un garçon noir vêtu d’une tenue de peau léopard et censé vivre au Bambouland. Il fallait un nom évocateur au village africain de Dany Laurent, il est tout trouvé : ce sera le Village de Bamboula. Le 13 avril 1994, il est inauguré par le Premier ministre ivoirien, Daniel Kablan Duncan, en présence de personnalités locales.
Non à la réserve humaine
Entretemps, des associations se sont émues de l’ouverture annoncée de ce « zoo humain ». Le jour de l’inauguration, des manifestants sont présents sur le site, mais ils sont tenus à l’écart. Encore n’ont-ils pas conscience de l’ampleur du scandale à venir, et pas seulement parce que la visite du parc animalier se termine par le Village de Bamboula, tel un symbole de la proximité des animaux et de ces humains restés à un état de civilisation peu développé. Parqués dans le village, les 25 Ivoiriens, enfants compris, vaquent à leurs tâches sous les yeux des visiteurs, à charge pour les artistes*** de produire plusieurs fois par jour des spectacles de musique et de danse traditionnelles, parfois les seins nus pour les femmes.
Mal habillés pour résister aux journées fraîches du printemps ligérien et logés dans des espaces réduits, les Ivoiriens – auxquels on a retiré les passeports – sont, pour la plupart, contraints de travailler 7 jours sur 7 en tenue traditionnelle, y compris les enfants, privés de tout accès à l’école. Certes, tous sont rémunérés, mais ils le sont en francs CFA au tarif ivoirien, très loin des standards de salaire de la France métropolitaine. Ces conditions connues, les associations – dont la Ligue des Droits de l’Homme et SOS Racisme – engagent dans le cadre d’un collectif dénommé « Non à la réserve humaine » la lutte pour faire cesser le scandale que constitue l’exploitation de ce « zoo humain » aux relents colonialistes.
Le 14 septembre 1994, tout prend subitement fin après que des magistrats du Tribunal de Grande Instance de Nantes aient décidé de donner suite aux plaintes déposées à l’encontre des gestionnaires de Safari africain. La Justice mettra trois ans pour rendre son verdict (le 1er juillet 1997) : une condamnation du parc pour « violation du droit du travail » et « violation des droits fondamentaux » des Ivoiriens employés de manière indigne au sein du Village de Bamboula. Cette histoire honteuse pour notre pays montre que les idées reçues et les clichés colonialistes étaient encore présents dans la société française des années 90. Sommes-nous certains qu’ils aient tous disparu ?
* En 1998, le parc a changé de dénomination : il est devenu Planète Sauvage.
** Dany Laurent : « Je me suis inspiré d’un village authentique qui s’appelle Fégéré en Côte d’Ivoire. J’ai voulu que ce soit une vraie reconstitution. »
*** Tous appartenaient à l’ensemble artistique Djolem, une école de danse d’Abidjan au sein de laquelle résonnaient djembés et balafons. Leur recrutement a été directement supervisé par le ministre ivoirien du Tourisme.
À voir : le documentaire intitulé Le Village de Bamboula. Réalisé par Yoann de Montgrand et François Tchernia, il a été diffusé en novembre 2022 sur l’antenne de FR3 Pays de Loire.