Ils ont osé se moquer de la grève !

par Paul Villach
mardi 8 juillet 2008

Ce qui est intéressant avec le président Sarkozy, c’est que parfois il dit tout haut ce qu’il pense tout bas. Le 8 janvier dernier, au cours de sa conférence de presse, les journalistes accrédités ont ainsi appris en quelle estime il les tenait : quand vous êtes à mes basques, leur a-t-il lancé en substance, c’est que je vous ai sifflés, sinon vous ne m’approchez pas.

L’éloge de la grève invisible

C’est au tour des syndicats de comprendre ce qu’il entend par dialogue social. Déjà, l’accord hybride sur la représentativité syndicale et les expérimentations locales de dépassement des 35 heures signé par le Medef, la CFDT et la CGT leur en avait donné une idée : il a été unilatéralement déchiré par le gouvernement en juin. Et voici que devant le conseil national de l’UMP, samedi 5 juillet 2008, le président de la République a déclenché rires et applaudissements dans la salle en se moquant de la grève : « La France est en train de changer, a-t-il déclaré, elle change beaucoup plus vite et beaucoup plus profondément qu’on ne le croit : désormais quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit. » Les syndicats crient à la provocation. Il est bien temps de gémir.

La grève, du délit au droit

Car a-t-on jamais entendu président de la République, garant du respect de la Constitution, oser ridiculiser publiquement un droit démocratique conquis difficilement qui a contribué à édifier une société française plus humaine. Même la Révolution française n’en a pas voulu : ses artisans étaient traumatisés par les entraves qu’accumulaient les corporations sous l’Ancien Régime. Et s’il faut attendre 1864 pour que la grève cesse d’être un délit, elle reste une rupture de contrat pouvant justifier le licenciement du gréviste. Ce n’est qu’en 1946 que le droit de grève finit par être inscrit dans le préambule de la Constitution de la IVe République, soit après deux guerres mondiales. La Constitution de 1958 a intégré ce préambule.


La grève douloureuse par nature

Ainsi, avant d’être un droit, la grève a été pendant près de deux siècles un des seuls moyens efficaces à la disposition de ceux qui ont, comme seules ressources, leur travail et sa cessation momentanée pour faire pression sur leur patron. C’est à elle qu’ils ont dû des augmentations de salaire, la diminution du rythme des cadences, l’accroissement de la sécurité dans l’entreprise, la réduction du temps de travail ou parfois l’annulation d’un licenciement.

Et forcément, ces conquêtes n’ont pu être obtenues par la seule philanthropie patronale et gouvernementale : elles n’ont été arrachées que sous la contrainte parce que, dès l’origine, la grève dérangeait tout le monde et les grévistes en premier lieu qui ne percevaient plus leur salaire. Une grève n’est jamais une partie de plaisir, mais le dernier recours pour un enjeu jugé vital.

Le patronat comptait justement sur « le pourrissement » du mouvement par l’épuisement des grévistes pour qu’ils reprennent le travail au plus vite. À défaut, toutes les manœuvres étaient bonnes : la fermeture de l’entreprise, le licenciement, la division du personnel, l’intimidation par des milices patronales. L’armée pouvait même être envoyée pour déloger les grévistes qui parfois occupaient les lieux de travail, et « rétablir l’ordre public » qui, lui, n’était pas dérangé par des horaires de travail épuisants et des salaires de misère.

Existe-t-il un autre moyen de progrès social ?

L’efficacité d’une grève tenait donc obligatoirement à son pouvoir de nuisance. Si elle perturbe la production, la vie de l’entreprise, voire celle d’une région ou d’un pays, alors, bon gré mal gré, les patrons et les gouvernants sont obligés d’en tenir compte. Si, en revanche, elle n’incommode que ceux qui la font, elle ne sert à rien ? Et on peut en rire avec le conseil national de l’UMP.

C’est cette grève indolore et inutile que le président de la République vient de saluer.
Est-ce à dire que l’augmentation des salaires, la limitation du temps de travail et l’amélioration des conditions de travail n’ont plus besoin de ces confrontations d’un autre âge pour être acquises ? Suffit-il donc désormais entre gens responsables et généreux de s’asseoir autour d’une table et de négocier ? On peut en douter, à en juger par la manière dont le gouvernement a roulé deux syndicats en ne tenant aucun compte d’un accord signé avec le patronat sur les expérimentations locales de dépassement des 35 heures qu’un projet de loi a généralisées.

Que reste-t-il donc à faire aux salariés ? Subir sans mot dire le démantèlement méthodique de la protection sociale qui a été si longue à édifier ? Se féliciter des augmentations de salaires phénoménales que s’attribuent chaque année les grands patrons, de leurs parachutes et retraites dorées ? Servir de claque à une cohorte de parvenus qui exhibent leur richesse à la télévision ? Et entendre sans broncher un conseil national de l’UMP rire et applaudir aux railleries du président de la République contre la grève devenue indolore ? Oui, sans doute, jusqu’à ce que, le fond ayant été touché, une grève d’un autre genre, car douloureuse celle-là, vienne leur rentrer leur rire dans la gorge, à ces nantis qui ont tout oublié ou rien appris.

Paul Villach


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