Immigration clandestine en Méditerranée et droit maritime

par Desmaretz Gérard
mardi 3 juillet 2018

Matteo Salvini, ministre de l’intérieur italien, a déclaré le vendredi 29 juin : « Les ONG verront l’Italie seulement en carte postale » et que les ports leur seront fermés « tout l’été  », d'ajouter que l’interdiction s'étendait aux « activités de fourniture de carburant aux ONG », avant de poursuivre : « Comme me disent les militaires italiens et même les Libyens, les ONG aident les passeurs, consciemment ou pas ».

Selon le rapport de l'Agence européenne de garde-côtes et de garde-frontières publié le 20 février, 204.719 migrants ont franchi illégalement les frontières de l'Union européenne via trois grandes routes migratoires maritimes : la Méditerranée orientale - les Balkans occidentaux - la Méditerranée centrale. En 2017, 435.786 migrants vivaient illégalement en Europe, chiffre établi à partir des arrêtés d'expulsions pris à l'encontre de clandestins interpellés sans documents valides..., pas vu, pas pris ! Combien sont-ils ? Si les voies terrestres ont connu une baisse de l'immigration, on ne peut en dire autant de la route de la Méditerranée occidentale. Les derniers chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations (14 mai) nous apprennent que sur les 53.639 personnes qui ont emprunté la route vers l’Europe en 2017, 45.118 ont choisi la voie de la Méditerranée centrale.

Le régime juridique de la mer est fixé par le droit international public maritime. La mer est « la partie du globe terrestre recouverte par les espaces d'eau salée communiquant librement et naturellement les uns avec les autres ». La mer Morte n'en fait pas partie. Si 60 % de l'espace maritime de la planète n'appartiennent à aucun État, il n'en va pas de même pour les eaux côtières. Le principe de liberté des mers a commencé à s'imposer au XVII° siècle. « Le pouvoir de l'État finit là où finit la force de ses armes » (Bynkershoek). En 1782, Galiani proposa de fixer la largeur de la mer territoriale à 3 milles, distance correspondant à la portée moyenne des canons. Cette distance ne fit jamais consensus. Les États latino-américains voulaient étendre leur mer territoriale à 200 milles (188 + 12), d'autres, de réclamer une zone de pêche exclusive de 12 milles. Le compromis allait déboucher sur la « formule 6 + 6 ». La France adopta le 24 décembre 1971 une loi fixant à 12 milles la limite de sa mer territoriale, zone s'étendant de la laisse de la basse mer « épousant » le trait de côte jusqu’à 12 milles (22 km), zone recouverte par les eaux en permanence, et la loi du 28 novembre 1968 a incorporé le sol et le sous-sol de la mer territoriale au domaine public maritime. La zone territoriale relève uniquement de la souveraineté nationale. Toute île ou îlot a sa mer territoriale, ce qui n'est pas sans poser de problèmes géopolitiques lorsque les zones des pays côtiers se chevauchent (guerre des Malouines). Les eaux autour de : Lampedusa, Lampione, Linosa, et Pantelleria sont revendiquées par Malte, l'Italie, la Tunisie.

Cet espace maritime est doublé d'une zone contiguë qui s'étend jusqu’à 24 milles (12 + 12) des côtes, dans lequel l'État côtier a le pouvoir d'y exercer des droits de douane et de police. Au delà de cette bande de 24 milles, se trouve La Zone Économique Exclusive définie par l’article 76 de la Convention des Nations-Unies signée en 1982, et qui s'étend jusqu'à 200 milles. L'État a le droit d’y exploiter les ressources halieutiques, minières, énergétiques, pétrolières (proclamations Truman du 28 septembre 1945), et la Convention de Montego Bay y permet : la pose des câbles, de pipelines sous-marins, la liberté de navigation et de survol, les recherches scientifiques. L'État côtier a également : « le droit de construire sur son plateau continental, comme dans sa zone économique exclusive, des îles artificielles, installations et autres ouvrages, et d'établir autour de ceux-ci des " zones de sécurité " d'un rayon de 500 mètres au maximum ». Si la marge continentale (fin du talus continental représentant le prolongement du continent) s’étend au-delà de la limite des 200 milles, l'État peut prétendre exercer sa juridiction jusqu’à 350 milles de la ligne de base.

Les navires se trouvant en haute mer relèvent de la compétence exclusive de l'État de leur pavillon, certaines compétences sont toutefois reconnues à d'autres États (délit de contrebande, piraterie, fraude au pavillon, trafic d'êtres humains, terrorisme). Si un délit est commis à bord, les poursuites pénales appartiennent à l'État du pavillon et à celui du coupable ou de la victime. En cas d'abordage, l'État du bateau abordé entre en lice. Les pouvoirs de police sont graduels : déroutement, immobilisation, saisie, confiscation, destruction (constitution d'un danger grave, exemple le bombardement du Torrey Canyon).

Le phénomène migratoire n'est pas nouveau, mais il a pris une nouvelle ampleur avec la guerre en Libye (2011) et la révolution tunisienne. Les opérations Mare Nostrum (2013), italienne - Triton (2014) - EUNAVFOR MED/ Sophia (2015), se sont succédées pour entraver la route libyenne sans grand succès. L'Italie se retrouve en première ligne. La Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritimes (Hambourg 1979) précise : « Les États sont en charge de zones phares pour la recherche et les secours en mer, et doivent installer des centres de coordination avec les moyens de surveillance. (...) L'État dont le centre de coordination de secours a pris en charge et coordonné le sauvetage en a l'obligation ». Les capitaines sont tenus : « de débarquer les personnes secourues en un lieu sûr et ce, dans un délai raisonnable », amendements (2004) non ratifiés par Malte et qui ne donnent aucune définition juridique d'un lieu sûr, ni n'évoquent un débarquement à terre ! En vertu du règlement de Dublin, c’est le premier État qui enregistre l’arrivée d’un migrant sur le sol européen qui délivre la demande d'asile. Les autorités maltaises ont ouvert une enquête contre Le capitaine du Lifeline, coupable « de n'avoir pas respecté les lois internationales ». L'ONG se retranche derrière le principe du non-refoulement qui s'oppose à la reconduite d'une personne en Libye contre sa volonté en dehors des 12 milles, et de marteler : « nous ne pouvons pas ramener les personnes sauvées en Libye car il n’y a pas de port sûr ».

Les mers et les océans du globe sont divisés en zones de compétences Search And Rescue. Comme on peut le constater sur la carte en annexe, la SAR italienne chevauche une partie de la SAR maltaise. La SAR ne saurait influencer la souveraineté des États, Malte revendique cependant une zone 750 fois plus étendue que son territoire, mais est heureuse de passer la main aux autorités italiennes pour les opérations de sauvetage dans cette zone ! Le sauvetage dépend du pavillon du navire portant secours et de la SAR concernée. La SAR maltaise ne coïncide pas avec les ports maltais comme cela devrait être le cas ! La zone de sécurité définie la plus proche reste Lampedusa ! Quelque chose de différent se passe dans la région de SAR Libyenne. Le refuge où sont amenés les réfugiés n'est ni un port du pays SAR, ni le port le plus proche, mais toujours un port italien. 

Dans la plupart des appels MayDay, c’est le Centre de coordination de sauvetage maritime qui reçoit les alertes. Le Maritime Rescue Coordination Center géré par les garde-côtes italiens, coordonne l'assistance en alertant tous les navires sur zone : de pêche, de commerce, militaires, des ONG, etc. Les membres de certaines ONG qui n'ont pas les moyens d'affréter un navire adapté au sauvetage, positionnent des vigies au large de la SAR libyenne qui signalent au MRCC l'embarcation en « difficulté » (il n'est pas suffisant de définir l'embarcation ou navire comme un engin flottant, les îles artificielles, les pontons, les docks. Au critère de la flottabilité doit s'ajouter celui de la navigabilité.) Là où le bât blesse, c'est que la marine italienne et des ONG s'aventurent à la limite des eaux territoriales libyennes pour y assister des embarcations chargées de réfugiés au lieu de les y refouler ; certaines embarcations n'hésitant pas à se mettre en détresse à l'approche des secours...

Le Conseil européen a reconnu, fin juin, la nécessité d’apporter une aide aux gardes-côtes libyens pour intercepter les candidats au départ et interdire aux ONG de continuer à intervenir dans les eaux territoriales libyennes. L’Organisation maritime internationale, faisant suite, a déclaré que la Libye devenait zone de sauvetage avec la création d’un centre de coordination des secours libyens, le porte-parole de la Marine libyenne, le général Ayoub Kacem s'adressant aux ONG : «  Vous devez respecter notre volonté et obtenir l'autorisation de l'État libyen même pour les opérations de secours  ».

Les migrants ne peuvent ignorer que l'aventure comporte de nombreux risques. « Il y a les vivants, les morts, et les marins » Platon à propos des aléas en mer. La plupart des migrants ne peut invoquer légitimement une quelconque force majeure, la migration économique, politique, climatique, vouloir bénéficier de l'instruction, de soins gratuits et de meilleurs conditions de vie pour leur progéniture ne sont pas mentionnés dans le droit maritime. Ils connaissent les aléas de la traversée en empruntant un bateau surchargé ne répondant pas aux règlements fixant la sûreté et la sécurité. On ne peut donc les exonérer d'une part de responsabilité. Les inciter à tenter le périple en leur laissant espérer qu'ils seront secourus est criminel. Les passeurs ne prennent même plus la peine d'accompagner les migrants jusqu'à destination, au besoin en mode pilote automatique, le temps pour eux de quitter le bord..., ils demandent à un migrant de barrer l'embarcation pneumatique à vue en direction d'un navire appartenant à une ONG. Plus besoin d'une VHF ou d'un téléphone portable... Résultat, augmentation des naufrages en raison d'embarcations surchargées et l'impossibilité pour la police de remonter les réseaux, les ONG faisant office de coupe-circuit. Le procureur de Catane (Sicile), Carmelo Zuccaro, va plus loin, il dit avoir des preuves de collusion entre certaines ONG et les trafiquants libyens !

Les humanitaires entendent dicter leur volonté aux populations européennes et leur politique aux États-Nations ! Inutile d'agiter l'épouvantail émotionnel du 20 heure, leurs discours séduisent de moins en moins. On leur reproche une forme d'« intégrisme », et je n'ose évoquer le salaire de certains cadres ni les coûts d'une campagne en mer... Le président d'une ONG allemande avait qualifié le C-Star, un navire de 40 mètres loué par des identitaires à Djibouti (2017), de « navire nazi » ! Leur action ? surveiller les navires des ONG croisant dans les parages des eaux libyennes pour les avertir par radio : « Nous nous vous demandons de quitter la zone de secours. Vous agissez comme un facteur incitatif pour les trafiquants d'êtres humains » ; les jeunes migrants forment le foyer d'un sous prolétariat payé 3 euros de l'heure pour les bénéfices de riches propriétaires terriens sans scrupules. Toute action humanitaire produit des « effets retour » directs et indirects dont les ONG font semblant d'en ignorer les nombreuses imbrications, la liste est longue et les angles morts le sont plus encore. L'humanitaire maritime est-il en train de vivre ses derniers jours en Méditerranée ? Dernier pied-de-nez, le samedi 30 juin, l’ONG espagnole Proactiva Open Arms « twittait » que son navire transportant 59 migrants secourus se dirigeait le port de Barcelonne.

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