Immigration mythes fantasmes réalités

par Alain Roumestand
jeudi 23 février 2023

Que de littérature sur l'immigration et pas toujours de la meilleure dans certaines sphères politiques. 

Un livre nouveau pose " 10 questions sur l'immigration en France" "la réalité des politiques de l'immigration", loin des mythes et des fantasmes.

Son auteur Eric Savarèse, spécialiste de la citoyenneté, professeur de science politique à l'Université de Montpellier, où il dispense un cours "Nationalité, citoyenneté, émigration".

Il a étudié l'histoire, les chiffres, les faits, les politiques migratoires en France depuis plus d'un siècle et demi, avec la tradition à la française d'asile et d'accueil, les débats sur l'identité nationale, sur la citoyenneté républicaine, sur le racisme, sur les statistiques ethniques...

Premier constat : "dans la France des années 20, ouverture des frontières et appel à l'immigration avec le choc démographique provoqué par la première guerre mondiale ("1300000 français de métropole décédés").

Deuxième constat : "au cours des 30 Glorieuses, la France a fait massivement appel à des travailleurs immigrés et l'immigration n'est pas le problème mais la solution au manque de main-d'oeuvre dans les usines ; depuis 1973, les frontières sont fermées et l'immigration est perçue comme un problème". "Alors que le chômage s'installe, que les besoins de main-d'oeuvre se tarissent".

Troisième constat : "1975 3887000 immigrés soit 7,4% de la population française. Aujourd'hui 6964000 immigrés soit 10,3% de la population"

Quatrième constat : "au milieu du 21 ème siècle la population va baisser dans 150 états. Les pays pauvres auront besoin de main-d'oeuvre, sans excédents de population et pourront freiner l'émigration".

Cinquième constat : "dans l'histoire, la situation démographique est une variable des politiques de l'immigration".

Sixième constat : "La France est depuis longtemps une société d'immigration qui a connu de multiples vagues d'immigration, Belges, Italiens, Espagnols, Polonais, Portugais, Algériens, Marocains, Sénégalais".

Pendant des siècles l'Etat en France a mis en avant un projet assimilateur pour homogénéiser la société française, sous l'Ancien Régime des rois, sous la Révolution française et après, avec l'état-nation.

Puis à partir du moment où une société d'immigration se met à exister en France au 19 ème siècle, apparaissent plusieurs distinctions :"pour le national-citoyen, né en France de parents français, l'appartenance à la nation n'a pas à être questionnée ; pour l'étranger elle n'a pas à être évoquée ; s'agissant en revanche de l'immigré, ce dernier ne saurait être membre de la nation, donc citoyen, qu'en prouvant sa volonté d'y participer".Cette citoyenneté individualiste, universaliste, laïque, et écartant la race, protège la liberté de croyance et de culte pour "permettre la coexistence de populations culturellement diverses".

La loi de 1889 fonde le "national-citoyen", la France conservant le droit du sol qui permet de continuer d'homogénéiser la nation ( "paysans, classes laborieuses, immigrés mais également indigènes sur le terrain colonial"). "Le droit du sol transforme les enfants nés en France de parents étrangers en Français".

Plus près de nous 1986-1988, une déclaration de volonté d'obtenir la nationalité française fut créée, mais "il était possible de devenir français sans le vouloir" ; puis en 1993 la loi Pasqua fut votée, mais "après cette loi on pouvait ne pas le devenir en le souhaitant". D'où la loi Guigou de 1998 avec "droit du sol et meilleure prise en charge de la volonté individuelle".

En 2007 un ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Codéveloppement est créé.

Une loi de 2010 exige pour la naturalisation, pour obtenir la nationalité française, que les postulants connaissent les droits et devoirs du citoyen. Un livret du citoyen est édité. "L'islamisme radical (Charlie hebdo, le 13 novembre 2015 à Paris, le 14 juillet 2017 à Marseille, l'assassinat de Samuel Paty) suscite une vigilance accrue des services de la préfecture" lors de l'entretien final de naturalisation.

La proposition d'autoriser le vote des immigrés aux élections municipales, inscrite dans les "110 propositions "de François Mitterrand en 1981, reformulée par François Hollande en 2012, n'a jamais vu le jour.

Tout au long de cette période années 80,90, 2000, se pose la question de l'intégration" processus par lequel des individus aux caractéristiques et aux appartenances (religieuses, culturelles, linguistiques, professionnelles) diverses, en viennent à se reconnaitre comme membres d'une société".Dans la même période Droite et Gauche politiques évoluent. La Droite s'est ralliée à la lutte contre le racisme, thème de Gauche. La Droite républicaine adopte une vision républicaine de la nation et de l'immigration. La Droite passe de l'assimilation à l'intégration, la Gauche au pouvoir parle d'insertion sociale. Au début des années 90 le terme d'intégration remplace peu à peu celui d'insertion et le fait disparaitre.

L' intégration ne concerne pas que les hommes et les femmes issus de l'immigration, mais le modèle colonial ( présenté comme une oeuvre bénéficiant aux métropolitains comme aux colonisés) a été un échec patent, impactant, dramatique à bien des égards, avec les politiques successives menées dans le passé par la France. On connait ses séquelles dans l'Algérie coloniale,avec la catégorie des français non-citoyens, les français musulmans et les musulmans convertis, appelés musulmans-chrétiens.

Depuis 50 ans quelle que soit la couleur politique des gouvernements, les politiques de l'immigration se durcissent : expulsions de clandestins, politiques d'aide au retour, contrôle des frontières, contrôle des flux migratoires, "suspicion accrue à l'égard des étrangers bénéficiant de titres de séjour". "Le renforcement des pratiques de contrôle des étrangers est favorisé par le déclassement des agents publics affectés aux guichets de l'immigration ; ces fonctionnaires qui appartiennent aux fractions supérieures des classes populaires ont le sentiment de défendre leurs intérêts : lutter contre la fraude pour conserver les acquis de l'état providence".

Et l'Europe ? 

En 1990 c'est la création de l'espace Schengen "auquel adhère la quasi-totalité des pays de l'Union Européenne, ce qui signifie qu'un étranger qui dispose d'un visa ou d'un titre de séjour accordés par l'un des états membres peut circuler sans contrainte dans les autres pays de l'espace Schengen". La liberté de circulation. De pair avec le renforcement des frontières extérieures de l'Union Européenne, la collaboration renforcée des polices et des justices nationales".

La France terre d'immigration ancienne, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne terres d'émigration ancienne, sont dans un même ensemble, dans un contexte économique morose, avec "la transformation de l'immigration de travail en immigration de peuplement", avec "une convergence verticale avec inclusion du droit européen dans les droits nationaux", avec " contrôle répressif de l'immigration devenu la norme", avec " le risque de fabriquer des clandestins de l'intérieur", avec " une activité criminelle très lucrative, comme celle des passeurs de frontières".

Chaque état définit ses politiques de la diversité, "les dispositifs d'accueil et d'intégration des immigrés relevant de la compétence des états". Les politiques d'immigration des états européens convergent aussi et sont traduites dans le droit européen.

En Europe on a 2 citoyennetés :" un individu ayant la nationalité de l'un des états de l'Union bénéficie également d'une citoyenneté européenne, avec liberté d'installation, de circulation, de résidence, de travail au sein de l'Union Européenne, droit de vote aux élections locales et aux élections européennes, droit de pétition, possibilité de saisir le médiateur européen..." 

Il y a dans l'Europe 2 catégories d'étrangers : les ressortissants de l'un des états de l'U.E. et les ressortissants d'une autre partie du monde. Et "la citoyenneté se trouve à la fois plus difficile à obtenir et plus facile à perdre".

"L'Union Européenne recommande aux états membres de se doter d'outils de mesure permettant de mieux connaitre les discriminations pour les combattre". Mais en France les statistiques ethniques sont absentes, comme en Italie, en Espagne ou en Allemagne, contrairement aux pays à modèle multiculturel comme les USA, le Royaume Uni, les Pays-Bas.

 

L'étude d'Eric Savarèse est donc incontournable, car frappée au coin de l'honnêteté intellectuelle, notamment historienne, pluraliste et internationale. L'étude s'articule autour de données d'archives, d'enquêtes fouillées, d'analyses historiques, de statistiques comparées. Les propos d'élus, d'experts, de journalistes, de chercheurs sont passés au crible, comparés. Compatibilité de l'Islam avec la République française, communautarisme, identité française sont pris en compte.

Un livre à lire absolument dans notre contexte français actuel pour éviter les amalgames, les contre-sens, les a-priori, les faux semblants, les à-peu-près, les poncifs, les tensions inutiles, les manipulations.

Eric Savarèse : "Aujourd'hui, les descendants des anciens immigrés maghrébins sont identifiés à la cité, dans une société toujours capitaliste mais postindustrielle. Avec la fermeture des usines, ils n'ont pas bénéficié, comme leurs devanciers, d'une intégration qui reposait sur le travail. En quelque sorte, ils sont les laissés-pour-compte d'une société où ils souffrent non plus d'être exploités, mais de ne pas travailler et accéder à la société de consommation... Ils souhaitent consommer, accéder au logement, acheter une voiture... L'accès à une vie sociale décente ( emploi, revenu disponible, logement, autonomie) reste l'enjeu majeur, quel que soit l'emballage idéologique, assimilation à la française, multiculturalisme aux Pays-Bas, en Grande Bretagne, aux USA"

" A l'image de tous les autres groupes d'individus,qu'il est possible de recenser dans la société française, les musulmans ne constituent pas un groupe homogène". "La bonne question est celle des pratiques sociales multiples et des nombreuses façons de concevoir la citoyenneté française chez les musulmans de France... Tout ou presque indique qu'il n'y a pas de communauté musulmane en France".


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