Immobilier, Pouvoir d’Achat et Civilisation

par Frederic Stephan
lundi 21 janvier 2008

Permettre à tous les Français d’être propriétaires de leur logement, voilà le souhait, Monsieur le président, que vous avez exprimé lors de la campagne présidentielle. Analysons donc quelques mois plus tard, la conjoncture foncière de l’époque et les mesures adoptées pour nous inciter à devenir propriétaire de notre maison ou appartement.

Toute personne qui cherche ou souhaite acquérir un bien immobilier n’est pas sans savoir que depuis quelques années les prix ont flambé. Pour mieux quantifier cette augmentation, je vous propose d’utiliser le Tunnel de Jaques Friggit (Conseil général des Ponts et Chaussées) comme indicateur (sources en fin d’article).

Pour mieux vous aider à comprendre ce graphique, lorsque l’indice de Friggit est le même pour deux années A et B, cela signifie que pour acheter le même logement, il fallait le même nombre d’années de revenus par ménage l’année A et l’année B.

Pour les plus matheux, on peut déduire les équations suivantes :

IA = k x (PA / RA), IB = k x (PB / RB) et donc PA = PB x (IA x RA) / (IB x RB)

IA , IB  : Indice de Friggit pour les années A et B

PA , PB  : Prix des logements pour les années A et B

RA , RB  : Revenus disponibles par ménage pour les années A et B

Si le graphique montre clairement l’inflation des prix des loyers, rien n’est mieux qu’un petit exemple, pour mieux appréhender le problème, et éviter les phrases du type : seul les plus riches peuvent encore acheter leur logement.

A titre d’exemple, je vous propose un couple avec deux enfants dont les revenus nets imposables correspondent à 3 fois le Smic (valeur du Smic brut pour simplifier), et qui souhaite acheter une maison de 100-120 m² sur un terrain de 600-800 m² en province. Le prix d’une telle maison en 2007 était d’environ 250 000 €, valeur que nous retiendrons pour notre calcul, bien que d’une région à une autre ce prix puisse varier. De plus, comme 70 % des couples avec 2 enfants gagnaient moins de 3 787 € en 2004, vous conviendrez que le souhait du couple pris en exemple ne semble pas démesuré à leur catégorie, sachant de plus qu’énormément de maison en vente actuellement ont un prix nettement supérieur à celui que nous avons retenu.

Grâce aux valeurs de l’indice de Friggit et à la formule mathématique écrite plus haut, nous pouvons estimer le prix du même bien immobilier pour les années précédentes et établir le tableau suivant.

Par le calcul du taux d’endettement lié au crédit, on démontre clairement que depuis 2004, un couple avec deux enfants et presque 4 000 € net de revenu mensuel, ne peut plus acheter une telle maison sans posséder un apport conséquent (en plus de l’apport pour les frais de notaire), car aucun organisme de crédit digne de ce nom n’accorde de crédit immobilier si le taux dépasse un tiers des revenus. Pour acheter une telle maison de manière sereine, il faut désormais plus de 5 000 € de revenu mensuel net à notre couple, car il y a toujours un petit crédit voiture ou électroménager en cours.

Que ceux qui me répondront : « ils n’ont qu’à faire un crédit sur 25 ou 30 ans » calculent la mensualité correspondante et surtout le coût total du crédit, et ils réaliseront quel mauvais conseil ils donnent là.

Nous aurions pu faire le même tableau pour un couple plus modeste (2 Smic) souhaitant acheter un appartement, cela nous aurait conduit à la même conclusion : depuis trois ans, il n’est plus conseillé d’acheter un bien immobilier aux tarifs en vigueur.

Alors pourquoi Monsieur le président, malgré cette conjoncture, avez-vous exprimé le souhait louable de nous voir propriétaire de nos logements, tout en nous y incitant avec votre loi permettant une déduction d’impôt ?

Comptabilisons donc cette déduction d’impôts pour notre couple achetant leur maison à 250 000 €. Une fois lissée, la déduction équivaut à 170 € par mois pendant cinq ans, ce qui réduit de 39 % à 35 % le taux d’endettement, qui reste malheureusement très au-dessus des 27-29 % des années précédentes.

Alors pourquoi une telle volonté dans un marché aux prix prohibitifs, surtout lorsqu’on se veut le président du pouvoir d’achat ?

Les plus conspirationnistes d’entre nous diront que c’est pour mieux nous manipuler, car lorsqu’on est criblé de dettes, on essaye de s’en sortir pour ne pas tout perdre sans chercher à comprendre le reste.

Vos adversaires politiques répondront bien évidemment que vous faites le jeu de vos amis du bâtiment et que vous faites des cadeaux fiscaux aux plus riches.

Les plus terre-à-terre ont compris que ce souhait énoncé lors de votre campagne présidentielle était avant tout un argument démagogique permettant de récupérer des voix. Comment cela pourrait-il être autrement ? En effet, qui pourrait imaginer que vos conseillers économiques ne vous aient pas informé de cette bulle immobilière qui n’attend que d’exploser ?

Et effectivement, alors que la déduction d’impôts promise pourrait laisser croire à une croissance de la demande immobilière et par conséquent à la croissance des prix, on assiste à un tassement du marché ; tassement bien logique vu les prix de vente actuels. Et comme vous souhaitez également « inciter la construction de logements pour faire baisser les prix », nous nous dirigeons bien vers une explosion de la bulle.

Que ceux qui croient que le marché de l’immobilier est un marché qui ne baisse jamais analysent la bulle immobilière en région parisienne au début des années 90, dans le Tunnel de Friggit, ils comprendront que cette bulle financière n’aura profité qu’aux spéculateurs, tout comme la bulle actuelle. En effet, nombreux sont les spéculateurs qui ayant converti une grande partie de leur portefeuille d’action en valeur immobilière à partir de 2001, année de récession du marché boursier, sentent qu’il est désormais temps de vendre avant l’effondrement du marché. Et qui risque de trinquer ? Les personnes qui auront emprunté pour l’achat de leur habitation durant ces trois dernières années et qui, suite à des difficultés financières, une séparation ou même une hausse de leur taux variable, se verront contraints de revendre leur logement moins cher qu’ils ne l’ont payé.

Je vois déjà certains d’entre vous en train de s’agiter, en justifiant simplement par la loi de l’offre et de la demande, la situation dans laquelle le marché foncier se trouve. Effectivement, on ne peut pas empêcher quelqu’un de vendre la maison qu’il a construite ou achetée, au plus offrant. Cependant, on oublie souvent qu’une maison est avant tout construite sur une parcelle de terrain, parcelle qui avant d’être constructible est bien souvent agricole ou parfois communale, et qui voit son prix au m² s’envoler dès qu’elle devient constructible. Je ne m’attarderai pas sur les rivalités et les débats houleux que cela génère dans chaque commune, mais souhaite bien mettre en avant que c’est l’évolution spéculative du marché foncier de l’ancien qui fait s’envoler comme par magie le prix du m² de terrain constructible.

Alors, Monsieur le président, vous qui êtes attaché à une politique de civilisation, qui souhaitez tant une loi sur le droit au logement opposable, ne pensez-vous pas qu’il est temps de changer notre façon de gérer le prix de notre Terre ? Les Indiens d’Amérique considèrent que la Terre n’appartient à personne et ne doit pas être monnayée. Sans être aussi extrémistes qu’eux, ne pensez-vous pas qu’il sera temps, dès que l’indice de Friggit sera revenu dans son tunnel, de mettre en place une loi qui permettra d’indicer le prix du terrain constructible sur le cours de la vie et de taxer ce prix lorsque la transaction ne sera pas pour le logement principal du propriétaire ?

Certes, il y aura beaucoup de paramètres à définir, mais il me semble qu’un tel projet de loi vous permettrait d’être digne de dire que vous vous inscrivez dans une politique de civilisation et ce serait le premier pas pour nous sortir d’une gestion médiévale de la propriété foncière.

Sources :

Tunnel de Friggit

http://fr.wikipedia.org/wiki/Bulle_immobili%C3%A8re

http://www.foncier.org/statistiques/accueil_statistiques.htm

Observatoire des inégalités

http://www.inegalites.fr/article.php3?id_article=1

Prix du Smic

http://www.insee.fr/fr/indicateur/smic.htm

Taux des crédits immobiliers (mois de juin retenu pour le tableau)

http://www.empruntis.com/financement/lettre.php

Calcul de la déduction d’impôt

http://www.meilleurtaux.com/calculatrice/deduction-impot.php

Evolution de la loi sur la déduction d’intérêts

http://www.quinquennat.fr/deduction_interets_emprunt.html

Projet de loi de finances pour 2008

http://portail-patrimoine.com/Finances/loi-finances-2008_164p.html


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