Immobilier : savoir décoder le jargon de la profession
par Fergus
mercredi 16 mars 2016


Quiconque a acheté ou vendu au moins un bien immobilier s’est trouvé confronté aux employés de plusieurs agences et sait par expérience que ces professionnels de la vente n’ont qu’un objectif en tête : réussir la transaction et toucher leur commission...
À de rares exceptions près, les agents immobiliers se montrent courtois et disponibles pour répondre à vos attentes. Leur attitude et leur discours sont délibérément empathiques. Tout vous porte à croire qu’ils vont faire le maximum pour vous aider à vendre au meilleur prix, ou à acheter très exactement la maison ou l’appartement de vos rêves en bénéficiant du meilleur rapport qualité-prix. Encore faut-il savoir décoder leur langage. Car les agents immobiliers sont avant tout des commerciaux bien décidés à vous faire prendre les vessies pour des lanternes. Ils disposent à cet effet d’une arme redoutable et depuis longtemps rodée : le jargon professionnel.
Avant toute chose, il convient de ne pas vous faire d’illusions sur la démarche des agents immobiliers à qui vous délivrez un « mandat » lorsque vous souhaitez vendre votre maison ou votre appartement. Attendez-vous à apprendre que le « produit » en question – auquel vous avez pourtant consacré de nombreux efforts et pas mal d’argent en matière de rénovation ou de déco – souffre de défauts qui le rendent difficile à vendre, surtout dans la conjoncture du moment. Certes, les agents immobiliers ne vont pas jusqu’à affirmer que le produit ne vaut pas tripette, mais eu égard aux défauts répertoriés, vous êtes fortement incité à revoir vos ambitions financières à la baisse. Et pour cause : mieux vaut pour les professionnels vendre rapidement un bien à 250 000 euros qu’espérer en tirer 280 000 après de longs mois en agence et de vaines visites par les clients potentiels, au risque de voir l’affaire conclue par une agence concurrente.
Si vous n’êtes pas vendeur, mais acheteur, c’est évidemment tout le contraire qui ressort du discours des agents immobiliers. Les maisons et les appartements pour lesquels ils ont reçu mandat présentent des qualités remarquables et correspondent parfaitement à vos critères de recherche, même si le niais que vous êtes n’en a pas conscience. Certes, il peut y avoir ici ou là un défaut apparent difficile à dissimuler, mais à en croire ces professionnels, il ne pèse rien en regard des nombreux avantages du produit en question. Telle est en général la tonalité des annonces d’agence et des propos tenus par les agents immobiliers qui, pour bien enfoncer le clou, puisent dans un lexique qu’il est bon de savoir décoder comme le montre cette petite sélection :
La situation géographique est évidemment le premier critère auquel s’intéresse un acheteur. Si vous souhaitez habiter en ville et pouvoir vous déplacer à pieds, fuyez tout ce qui est annoncé comme « proche », ce terme signifiant en général que vous allez être relégué à 10’ en voiture. Cela dit, il convient également de se méfier du terme « centre-ville », désormais réservé par les professionnels aux quartiers périphériques, autrement dit plus près du Géant Casino et de la Halle à chaussures que de la mairie et de la bibliothèque. Pour s’installer réellement au cœur de la ville, inutile de s’intéresser à tout ce qui n’est pas répertorié dans l’« hyper-centre ».
La méfiance est également de mise lorsque l’habitation proposée est située dans un environnement « calme ». Ce terme peut en effet indiquer qu’elle se situe à proximité de la maison de retraite médicalisée et du cimetière, loin du premier bistrot et de sa clientèle jeune. À moins qu’elle ne soit exposée aux effluves de la station d’épuration les jours de vent dominant. Autre possibilité : l’habitation est implantée dans un lotissement excentré non desservi par les transports en commun.
M. Century et Melle Foncia
Lorsque le lieu convient, reste à visiter la maison ou l’appartement proposé par le professionnel. Avant même de vous rendre sur place, il faut savoir que « bon état général » signifie que vous aurez à coup sûr pas mal de bricolage à prévoir et toute la décoration à refaire. C’est toutefois mieux que « à rafraîchir » : sous ce vocable d’apparence bénigne se cache en effet la nécessité de procéder à une rénovation plus complète. Cela dit, il y a pire : « travaux à prévoir » signifie clairement que le lieu est inhabitable en l’état ! Quant à « beau potentiel », cela indique le plus souvent une quasi ruine que vous pouvez espérer transformer en résidence de rêve moyennant de gros travaux effectués par des artisans compétents. Dans le même genre, l’on trouve également « affaire à saisir », voire « affaire rare » : en général une maison certes peu onéreuse, mais complètement délabrée, ou située soit en zone inondable, soit au voisinage d’une autoroute ou d’un abattoir.
Au fil des visites, vous apprendrez aussi à vous méfier du mot « atypique » : ce qualificatif désigne le plus souvent une habitation où la disposition des pièces relève nettement plus du baroque que du fonctionnel. Mais avec un rail de coke dans les narines, cela peut vous séduire. À noter que le même type d’habitation peut également bénéficier de la formulation « beaucoup de charme », encore que cette dernière soit utilisée à peu près à toutes les sauces pour enrober la détermination du vendeur. Y compris pour les appartements anciens à moulures au plafond situés dans un « immeuble bourgeois » : comprendre habité par des vieux qui n’ont plus refait l’électricité et les sanitaires depuis l’année où ils ont vu Gilbert Bécaud à l’Olympia !
« Idéal jeune couple », peut-on lire ici et là. Pourquoi pas ? En général, ce n’est pas très cher et forcément de nature à attirer les « primo-accédant » en mal de financement. Mais cela induit d’emménager dans un deux-pièces étriqué aux équipements vétustes, ou de voisiner avec la « rue de la Soif » et ses débordements éthyliques nocturnes.
Ne pas s’emballer non plus en voyant sur le descriptif la présence de « balcons » : trop souvent, la place disponible vous oblige à faire un choix entre la jardinière de bégonias et vous-même ! Idem pour le « jardinet » accolé à la maison que vous vante M. Century ou Melle Foncia : estimez-vous chanceux si vous avez la possibilité d’y faire cohabiter une table et deux chaises entre une rangée de narcisses et une potée de géraniums.
Un autre classique des annonces immobilières et du discours des agents est la fameuse « vue sur... » la mer, la montagne ou le parc voisin. Certes, on voit le panorama annoncé, mais par-delà un stalag de mobil-homes, ou entre une conserverie de sardines et une barre de HLM. Encore peut-on s’estimer heureux s’il n’est pas nécessaire de se pencher à l’extrémité d’un balcon ou d’ouvrir le vasistas de la buanderie pour bénéficier de cette fameuse vue.
Tout cela vous semble peut-être exagéré, voire caricatural. Et ça l’est, en effet. Mais pas autant que l’on aimerait pouvoir le reconnaître car il est parfois des annonces et des discours encore bien plus trompeurs que les interprétations de ce petit florilège lexical. C’est pourquoi il ne faut pas hésiter à négocier avec les agents immobiliers en exigeant à l’achat un taux de commission maximum compris entre 3 % et 3,5 % avant toute signature d’un « compromis de vente ».
Enfin (anecdote véridique), ne prenez pas mal si, à la vue de vos cheveux blancs, une charmante employée vous demande, les joues empourprées sitôt sa question posée : « C’est pour votre dernière demeure ? »