Impressions algériennes

par Paul ORIOL
lundi 17 juin 2019

Impressions algériennes, très subjectives, sans aucune ambition notamment politique dans ce moment important pour l’Algérie, à la suite d’un voyage éclair de 3 semaines en Algérie (fin février-début mars), après y avoir vécu de juin 1963 à juin 1972 et fait une brève visite quelques années plus tard...

 

Visite amicale et touristique : quelques jours à Tamanrasset, Alger et Tipaza, Arzew-Oran avec escapades à Mostaganem et Tlemcen enfin Constantine en passant par Djemila.

Retrouvaille nostalgique des lieux. Les personnes connues à cette époque ont disparu ou ont été perdues de vue en dehors des deux amis de cinquante ans, depuis 1964-65, qui nous ont accueilli dans leur famille. Visite de redécouverte très partielle d’une Algérie nouvelle, inconnue, au moment où une nouvelle histoire semble commencer.

 

Revenir en Algérie, après une si longue séparation, est étrange. C’est revoir un ami qu’on a perdu de vue, qu’on retrouve, le même et différent, familier ici, changé là, inconnu ailleurs.

Un pays dont on connaissait bien de nom, avant d’y venir, les lieux et les personnalités, devenus familiers à cause de la longue guerre qui avait correspondu aux années étudiantes. Et l’Indépendance venue, on en découvrait la réalité physique, en parcourant le pays dans tous les sens, et un peu la vie dans le travail quotidien, en accord avec ses propres choix professionnels.
Un pays qui se construisait, nouveau. Un pays dont on suivait les moindres réalisations avec le même espoir de réussite que les nationaux.

 

Un pays qu’on connaissait ou croyait connaître. Un pays dont on sentait la complexité avec, à la fois une proximité de langue, de langage, qui permettait le dialogue, le partage mais dont une part importante nous échappait. Parce que nous n’étions pas Algériens. Parce que nous ne parlions pas l’arabe, malgré de faibles tentatives peu encouragées par l’entourage algérien, et, encore moins, le berbère-tamazight, (kabyle, chaoui…).

Mais le pays a beaucoup changé. Dès l’arrivée, de nuit, en voiture de l’aéroport de Dar El Beida à Ben Aknoun, on espère la Route moutonnière, parcourue deux fois par jour pendant 6 ans, et on passe par l’entrée de Los Angeles ou de tout autre métropole. La Route moutonnière est tapie quelque part, sur la droite, dans l’obscurité et la mémoire.
Le lendemain, avec la lumière, on retrouve la familiarité du centre, la Grande poste, les rues Larbi Ben M’hidi, Didouche Mourad, le boulevard Mohamed V, la place de l’Émir, l’appartement, la cinémathèque et on s’amuse à voir ce qui n’a pas bougé et ce qui a changé…

Il en sera de même à Constantine, avec la place de la Brèche modifiée (place du 1er novembre), la Direction Départementale de la Santé, le Centre paramédical, le Lycée El Hourrya, le Monument au morts, le Rhumel et ses ponts et son nouveau grand pont, les arcades de la rue Abane Ramdane, la place Amirouche (de la pyramide)...

Au retour de ce périple, quelques personnes nous posent les mêmes questions sur le voyage qu’elles ou d’autres nous posaient dans les années soixante… Et la sécurité ? Vous étiez en sécurité ? Comment étaient les gens avec vous dans la rue ?

Curieusement, la réponse est la même, aujourd’hui et alors : impression de sécurité absolue même si, à Tamanrasset, des gendarmes nous accompagnaient pour assurer notre sécurité, en tant qu’étrangers, dans les excursions en dehors de la ville. Et l’extrême gentillesse des gens.
 

A l’époque, la guerre était finie, et pour eux et pour nous, presque oubliée. Non effacée. Nous étions là parce que cette guerre avait eu lieu et nous avait marqués. Mais nous étions des Français qui venaient travailler à l’Algérie nouvelle.
Aujourd’hui, cette époque est pratiquement oubliée. La grande majorité de la population algérienne est née après notre départ. Le passage des coopérants dans les années après l’Indépendance n’est pas connu de ceux que nous croisons dans la rue. Nous sommes probablement pour eux des pieds-noirs nostalgiques en visite. Et la gentillesse est la même.


La guerre d’Algérie est finie, bien finie. Enfin presque.

 

Car la France demeure l’ancienne puissance coloniale, la présente puissance néocoloniale. Et comme à l’époque, demeure aussi le refus de l’immixtion étrangère (entendre de la France). Hier proclamé par le gouvernement et, aujourd’hui commune au système en place et à ceux qui veulent le faire tomber. Immixtion, pour les uns, manipulation des opposants, pour les autres, soutien de Bouteflika et du régime.

Dans l’air, un petit quelque chose a changé. Hier, une certaine connaissance-complicité réciproque supposée avec tout le monde. Avec les amis algériens, une langue commune, le même langage, nous partagions les même plaisanteries, le nationalisme et la fraternité allaient de pair, parce que nous avions un passé politique commun même si c’était à des niveaux très différents. Et un espoir commun.

Aujourd’hui, notre histoire n’est plus commune. Nous nous sommes doucement éloignés. Le nationalisme a été distillé par cinquante années de discours, d’enseignement… Sans partage. Sans contact humain, relativisant. Et notre attention à l’Algérie n’a pas été aussi intense que pendant la guerre...

Quand un homme d’une cinquantaine d’années, parlant parfaitement le français, nous dit, au cours d’un conversation sur la scolarisation et l’enseignement, qu’en Algérie, il y a deux langues, l’arabe et l’anglais, il dit deux choses claires : il affirme une identité, il est arabe (en réalité d’origine chaouia) et musulman (il nous demande peu après ce que nous pensons de l’islam), rejette le tamazight pourtant officiellement reconnu, - langue de la division ? - et la langue française, langue du colonialisme, encore enseignée et utilisée largement, au profit de la langue anglaise...

Le voile-foulard est en question en France. Ici, ce qui frappe quand on se promène dans les rues, c’est la disparition totale des voiles traditionnels qui permettaient de distinguer, au premier coup d’œil, les Algéroises, des Oranaises ou des Constantinoises, habillées suivant la tradition à côté de celles qui avaient adopté la mode occidentale. Aujourd’hui, les femmes habillées à l’occidentale, essentiellement en pantalon, cheveux au vent, sont nombreuses. Mais, dans toutes les villes parcourues, la tenue la plus fréquente est le foulard associé aux robes longues : les voiles traditionnels ont complètement disparu ! Nous avons vu en 3 semaines, une Constantinoise et une Oranaise. Et un seul voile intégral..., venu de la banlieue parisienne d’après de jeunes amis...

 

Ce phénomène, un peu anecdotique, parle de notre regard d’hier et d’aujourd’hui. Regard d’hier, attentif et bienveillant, à la fois à la tradition et à l’évolution occidentale, normale pour nous, regard surpris d’aujourd’hui devant une évolution autonome, inattendue.

 

Pendant notre séjour, ont débuté les manifestations du vendredi et du mardi pour les étudiants. Auxquelles nous n’avons, bien sûr, pas participé et que nous avons peu vues.

Les jeunes sont nombreux dans ces manifestations. Parce que la population algérienne est jeune. Mais aussi parce qu’un important effort a été fait au niveau de l’enseignement : plus de 1 655 000 d’étudiants - dont 60 % d’étudiantes - entraient à l’université en septembre 2017 tandis que 324 000 autres la quittaient avec un diplôme en main.

Ces jeunes, étudiantes et étudiants, manifestent avec d’autres aujourd’hui. Ils sont les enfants de pères et surtout de mères qui, toutes, ont été scolarisées et ce phénomène n’est peut-être pas étranger à leur importance présence dans les manifestations...

La scolarisation, notamment des jeunes filles, rappelle la situation tunisienne. C’est en Tunisie que le printemps arabe a commencé, c’est aussi en Tunisie qu’il est allé le plus loin…

 

L’entrée dans Alger, venant de l’aéroport, est le premier témoignage des investissements faits dans les infrastructures. L’autoroute qui traverse toute l’Algérie de la frontière tunisienne à la frontière marocaine en est un autre témoignage. Pour le moment gratuite de bout en bout mais sur laquelle sont en construction les futures stations de péage…

 

Mais ce qui frappe le plus, c’est, dans toutes les villes visitées ou traversées, en dehors des embouteillages urbains surtout à Alger, c’est le nombre de logements construits ou en construction… Il y avait, au moment de l’Indépendance, 10 millions d’Algériens, ils sont aujourd’hui 43 millions !
On voit partout des immeubles en construction ou apparemment terminés mais inhabités (logements non attribués…) ou réellement terminés et habités.
La ville de Constantine qui comptait 200 000 habitants en 1960, en compte plus de 460 000 aujourd’hui, sans compter les villes limitrophes et notamment la ville de 500 000 habitants, Ali Mendjeli, en construction !!!

 

 

Ces investissements dans les infrastructures, dans le logement, sont à l’origine d’un phénomène dont tout le monde parle de la rue jusqu’au plus hautes instances politiques et qui pèse lourd dans les événements actuels, la corruption. Et qui touche, à des degrés divers, beaucoup de monde dans bien d’autres secteurs de l’économie et du social : licences d’importations, attributions de logements, passe-droits…

Il est quelquefois question dans la presse de la présence de travailleurs chinois en Algérie et de migrants subsahariens qui la traversent vers l’Europe. Nous n’avons vu, pratiquement, ni les uns, ni les autres. Si la présence, importante de travailleurs chinois nous a été confirmée, nous avons vu seulement quelques jeunes filles asiatiques traversant la rue.
Par ailleurs, quelques mendiants dont on nous a assuré qu’ils étaient subsahariens… Deux employeurs qui ont embauché des travailleurs sans papiers, au vu et au su de tout le monde, sans problème. L’un d’eux, un Camerounais, nous a déclaré qu’il comptait faire dans quelques mois un voyage dans son pays et revenir...

Mais tout ceci n’est qu’anecdotes de touristes de passage (comme les jeunes qui proposent de vendre ou d’acheter toutes sortes de devises au square Port Saïd à Alger !).

La question aujourd’hui en Algérie est l’avenir du mouvement qui, depuis le 23 février, rassemble, pacifiquement à ce jour, dans les rues des grandes villes algériennes, et place de la République à Paris, des milliers de personnes pour dire son rejet du système : non seulement de Bouteflika qui a dû renoncer à son cinquième mandat, non seulement des ministres ou oligarques dont quelques uns sont aujourd’hui en prison, mais de tous ceux, notamment les militaires, qui, depuis l’Indépendance, ont occupé le pouvoir.

Période délicate de la transition avec la menace improbable d’une évolution de type soudanais… Des Soudanais étaient sur la place de la République ce dimanche...

Période difficile car, grâce à l’unité populaire, le reversement du système peut réussir mais cette unité persistera-t-elle pour la mise en place de nouvelles institutions ? Et surtout pour la mise en place d’une nouvelle politique économique qui dépasserait la simple utilisation des revenus pétroliers pour calmer les mécontentements...

Quelques images du rassemblement dominical d'Algériens sur la place de la République à Paris, le 16 juin 2019.


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