INES : Identité Nationale Électronique Sécurisée

par Desmaretz Gérard
vendredi 21 février 2020

La carte nationale d'identité est le seul document officiel ayant pour objet exclusif de certifier de son identité. En application d'un décret n° 2000-1277 du 26 décembre 2000 (simplification de formalités administratives et la suppression de la fiche d'état civil), elle vaut extrait d'acte de naissance et certificat de nationalité française pour l'accomplissement de démarches courantes. La CNI est également reconnue comme document de voyage dans certains États pour des séjours égaux ou inférieurs à trois mois. Facultative et gratuite, elle peut être demandée par tout Français quel que soit son âge. Elle comprend un numéro à 12 chiffres, le nom patronymique, les prénoms dans l'ordre de l'état civil, le sexe, la date et le lieu de naissance, l'adresse, la signature, la photographie du titulaire, la durée de validité, la date de délivrance du document, ainsi que la qualité et la signature de l'autorité qui s'en est chargée. La durée de validité des CNI délivrées aux personnes majeures est passée de 10 à 15 ans en 2014 ; toutefois, même périmée, la CNI continue à certifier de l'identité de son titulaire s'il est reconnaissable sur la photographie qui y figure.

Les « fraudeurs » profitent des défaillances de la « chaîne de l'identité » et de la diversité des règles nationales et internationales pour exploiter les failles des dispositifs de contrôle. Deux exemples, le Service régional de police des transports a mis fin aux agissements d'une bande de Congolais qui avait réalisé 22 000 faux billets de train. Les faussaires avaient scanné un billet du chemin de fer allemand dont ils avaient remplacé les mentions (date, départ, arrivée, numéro de réservation, wagon, place) par les détails d'un déplacement sur les lignes de la SNCF. Les contrôleurs étaient confrontés à un billet rédigé dans une langue qu'ils ne comprenaient pas mais dont les mentions étaient exactes ! Des candidats à l'émigration (Chinois et Africains) réservaient sur Internet un vol à destination d'un pays pour lequel aucun visa n'était requis, avec escale en Suisse. Une fois le billet imprimé, ils annulaient leur vol prévu et munis du billet imprimé, ils s'en allaient acheter un billet d'avion à destination de la Suisse. Il leur suffisait de montrer ce billet pour embarquer sans visa.

Au cours de ses travaux, la mission d'information a pu recueillir des chiffres significatifs qui attestent de la réalité de la fraude documentaire et de sa progression sans toutefois pouvoir la quantifier précisément. Selon une étude du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie, il y aurait près de 210 000 victimes d'usurpation d'identité chaque année en France. La « clientèle » est pléthore : le clandestin qui veut des papiers pour se loger, trouver un emploi, ne pas craindre un contrôle de police - le criminel qui veut échapper à un mandat de justice - l'utilisateur de moyens de paiements subtilisés (achats sur Internet) - la personne qui veut se soustraire à ses obligations familiales ou légales - l'individu qui veut changer de vie et ne pas être retrouvé par sa famille - l'homme ou la femme qui mène une double vie - l'artiste qui utilise un pseudonyme pour placer un écran entre vie privée et vie publique - la personne convaincue que son nom ne « sonne » correctement - le conducteur qui ne dispose pas du permis de conduire - le « vampire » qui désire percevoir des allocations ou prestations sociales indues - l'impécunieux qui souhaite contracter un emprunt - le bigame qui entend célébrer un second mariage sans dissolution du précédent.

Été 2008, un mariage s'apprête à être célébré en la mairie de Vitry-le-Francois. Une adjointe au maire a remarqué une déformation suspecte de la lettre « M » pour monsieur, sur l'acte de naissance du futur époux. Elle téléphone à la mairie de Thionville qui lui confirme que l'acte en question correspond à une personne de sexe féminin. Une employée des impôts, âgée de 54 ans, a perçu un salaire supplémentaire pendant quinze ans. Chargée de la paie des professeurs de l'université de Marne-la-Vallée (77), elle avait tout simplement créé un faux poste d'enseignant.

Seul l'esprit limite les applications possibles qu'un individu « tordu » peut faire de l'usage d'une fausse identité et ainsi profiter des très nombreuses failles d'un système qui repose en grande partie sur la confiance citoyenne (plus d'un million de cartes Vitale en trop). Un sondage IPSOS de mai 2005 nous apprenait déjà que 74 % des sondés se déclaraient favorables à la création d'une carte nationale d'identité électronique comportant des données personnelles numérisées telles que les empreintes digitales, la photographie ou l'iris de l'œil, et 69 % estimaient que la future carte d'identité nationale électronique sécurisée devrait être rendue obligatoire. Leur vœu a été reçu 5/5. Le Premier ministre Édouard Philippe avait évoqué lors de sa déclaration de politique générale (5 juillet 2017), la création d'une plateforme numérique où chaque administration pourrait y placer ses applications et les comptes citoyens en ligne. Le Gouvernement souhaite délivrer la carte nationale d'identité numérique sécurisée afin de réduire les risques de fraude, tout en offrant à leurs titulaires de nouveaux services tels que l'authentification à distance, la signature électronique et la possibilité d'inscrire sur la puce des données personnelles communicables.

Le gouvernement français a pris l'Estonie pour référence, dans ce petit pays membre de l'Union européenne de 1,3 million d'habitants, 96 % des échanges avec les services publics se font sur Internet, 96 % des foyers paient leurs impôts en ligne, et 99,8 % des transactions bancaires sont dématérialisées... Le Sésame ? la carte d'identité numérique pourvue d'une « puce » qui permet de réaliser tous les actes et démarches administratives en ligne, de l'état civil aux permis de construire en passant par la Justice. Le citoyen insère sa carte dans un lecteur connecté à son ordinateur, après avoir saisi ses deux codes secrets il peut signer numériquement tout document officiel. La carte d'identité est également capable de remplacer la carte bancaire, la carte de sécurité sociale, le permis de conduire, voire servir de badge d'accès à des sites administratifs (pointeuse numérique)...

«  Les niveaux de sécurité des cartes nationales d’identité délivrées par les États membres (…) varient considérablement, ce qui accroît le risque de falsification et de fraude documentaire et entraîne des difficultés pratiques pour les citoyens lorsqu’ils cherchent à exercer leur droit à la libre circulation . Il a donc été décidé d’harmoniser les cartes d'identité des pays membres pour «  améliorer la sécurité à l’intérieur de l’Union européenne et à ses frontières. Les nouvelles cartes qui seront progressivement délivrées auront la taille d’une carte de crédit. Elles seront munies d’une puce électronique lisible sans contact et contiendront des informations biométriques supplémentaires  » (une photographie et deux empreintes digitales). Autre argument avancé « augmenter la sécurisation des opérations effectuées sur Internet et scanner sa carte avec un Smartphone ou sur une borne dans un bâtiment public... Il a été répondu aux citoyens qui s'inquiètent d'un transfert d'informations du téléphone cellulaire qui mémorise déjà de nombreuses informations à leur insu : «  Ce sera à la charge du législateur de mettre des barrières juridiques, notamment pour ne pas que n’importe quelle administration soit autorisée à utiliser toutes les données. Par exemple, la mairie pourrait se contenter de l’adresse et de l’état civil ». D'après le nouveau règlement européen, elles ne seront plus «  valides à leur expiration ou au plus tard le 3 août 2031, la date retenue étant la date la plus proche  ».

Le J.O du 28 novembre 2019 a entériné le projet, la date retenue, le 2 août 2021 (on comprend La volonté d'Édouard Philippe à vouloir garantir un accès au très haut débit, partout en France)... Les défenseurs de la vie privée y perçoivent les risques liés à la traçabilité de toutes les opérations faites en utilisant cette carte, craintes « paradoxales » selon le ministre de l'Intérieur : « Quand c’est l’État qui est à la manœuvre, on se méfie, alors qu’à l’inverse avec tous les opérateurs privés (…) on donne toute une série de données de vie privée sans jamais s’en préoccuper ». Quatre vingt et un pour-cent des enfants de moins de deux ans ont déjà une présence numérique, c’est-à-dire une ou plusieurs photos postées sur les réseaux sociaux par leurs parents (Johanna Godet) !

Christophe Castaner avait annoncé le 30 janvier 2020 lors de sa visite au Forum de la cyber-sécurité de Lille, que la carte INES sera mise en place en 2021 «  avec ce souci d’équilibre entre la protection des données absolument indispensable, et en même temps la meilleure sécurité pour les usagers » lors de l'accès aux services numériques publics ou privés. Sera-t-elle suffisante pour lutter contre les dérives rencontrées sur les réseaux sociaux (harcèlement, atteinte à la réputation, faux comptes, etc.) et sur les sites Web ou les fournisseurs de services qui se satisfont d'un « anonymat » de bon aloi en confondant l'identité réelle, déclarative (inscription en ligne), attribuée (par recoupements des habitudes de navigation), l'usage d'un pseudonyme ou d'un avatar, et Web public / Web privé, on peut en douter sauf à sombrer en cyber-dictature...

Par ailleurs, aucune date n'a encore été fixée pour la mise en place de l’application « Authentification en ligne certifiée sur mobile » (en phase de test sur la plateforme « FranceConnect » depuis juin 2019) sensée simplifier les démarches administratives via la reconnaissance faciale sur Androïd. La Commission Nationale Informatique et Liberté reproche à l'application de ne pas laisser le choix aux citoyens de passer, ou pas, par une étape de reconnaissance faciale pour accéder au service. Alicem repose sur une « vidéo prise en temps réel par l’utilisateur qui doit réaliser une série de défis imposés par l’application : clignement des yeux, mouvement de la tête, mouvement du visage présentés dans un ordre aléatoire. Il s’agit d’éviter que l’on se serve d’une banale photo pour usurper le système ».

Ce projet du ministère de l’Intérieur et de l’Agence nationale des titres sécurisés pose la question d'une possible mésutilisation de la reconnaissance faciale. Un officier supérieur appartenant à la Gendarmerie nationale y voit une opportunité qui « pourrait mettre fin à des années de polémiques sur le contrôle au faciès puisque le contrôle d’identité serait permanent et général ».

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