Infractions routières : pour des PV proportionnés aux revenus

par Fergus
mercredi 25 septembre 2019

Chacun a pu l’observer dans le cadre du Grand débat national induit par le mouvement des Gilets jaunes depuis l’automne 2018 : les Français sont, à juste titre, très remontés contre la politique fiscale inéquitable qui, dans notre pays, défavorise les classes populaires au profit des plus riches. Mais il n’y a pas qu’en matière de fiscalité que l’injustice de traitement est flagrante, voire choquante aux yeux d’un grand nombre de nos concitoyens : c’est également le cas dans le domaine des infractions routières, notamment dans la répression des dépassements de vitesse...

Tout le monde peut en témoigner, ou plus simplement avoir un avis sur la question : un procès-verbal d’infraction routière de 135 euros n’a évidemment pas le même poids lorsqu’il sanctionne un employé modeste qui conduit une Renault Clio d’occasion que lorsqu’il cible un automobiliste fortuné au volant d’un coupé Porsche 911 rutilant. Ni en termes d’incidence sur le pouvoir d’achat – le premier automobiliste étant beaucoup plus impacté que le second –, ni en termes de modération ultérieure sur le comportement au volant et le respect du Code de la Route auquel chacun est tenu de s’astreindre.

C’est en s’appuyant sur ce constat de bon sens que plusieurs nations européennes ont, depuis des années, choisi de mettre en place un système de sanction graduée selon les revenus des contrevenants. C’est notamment le cas, dans des proportions différentes et sur la base de modalités spécifiques à chaque pays, en Finlande, en Grande-Bretagne, en Norvège, en Suède et en Suisse. Et cela peut coûter fort cher : dans plusieurs de ces pays, l’on a vu à différentes reprises ces dernières années des excès de vitesse entraîner l’application d’amendes de plusieurs dizaines de milliers d’euros à des contrevenants riches, les plus modestes n’étant exposés qu’à des amendes plancher. Le record en la matière est détenu par la Suisse où un conducteur du canton de Saint-Gall s’est vu infliger une amende de… 300 000 francs suisses (280 000 euros) pour un dépassement de 40 km au volant d’une Ferrari Testarossa. Si l’on en croit les rumeurs, il semblerait qu’un autre de nos voisins, la Belgique, soit également tenté, pour des raisons d’équité et d’efficacité comportementale, de s’aligner sur cette politique drastique de répression des excès de vitesse.

Sur le principe, l’idée est bonne car, en matière de justice, elle rejoint le concept de proportionnalité de la peine en fonction du profil du contrevenant que l’on retrouve dans le droit pénal de la plupart des pays occidentaux*. Dès lors, rien d’étonnant au fait qu’une revendication de ce type ait été exprimée ici et là lors du « Grand débat national » en matière d’équité de traitement des infractions routières. Mais, aussi vertueux soit-il, ce système a ses limites car il ne prend pas en compte l’état réel de la fortune. Il est en effet basé sur le montant des impôts payés. Un référentiel parfois très éloigné de la réalité du train de vie des contrevenants. Tout particulièrement de ceux qui, avec l’aide d’experts très pointus, pratiquent avec beaucoup de talent et de cynisme l’optimisation fiscale, au point parfois d’échapper presque totalement à l’impôt ! Qui plus est, cette méthode de sanction oblige les pouvoirs publics à croiser les données routières avec les données d’imposition.

C’est pourquoi la meilleure solution ne réside sans doute pas dans ce système. Dès lors, comment procéder pour mettre en place des sanctions différenciées équitables ? La réponse pourrait venir d’une autre piste, de surcroît facile à mettre en œuvre : lier le montant du procès-verbal d’infraction à la puissance fiscale de la voiture** que conduisait le contrevenant, et non à sa situation personnelle en matière d’imposition. Cela pourrait se faire dans le cadre d’un barème combinant de manière automatique ladite puissance fiscale – au-delà d’un seuil pouvant être fixé à 6 CV – avec le nombre des kilomètres de dépassement de la limitation de vitesse en vigueur sur le lieu de l’infraction. 

Les lobbies automobiles vent debout contre une telle mesure

Dans le cas pris en début d’article, notre conducteur de Renault Clio resterait donc – à dépassement de vitesse égal*** – exposé à un PV de 135 euros (plus 1 à 4 points de retrait du permis de conduire en fonction du dépassement) alors que le conducteur de la Porsche 911 se verrait infliger, en plus de la perte des mêmes points, une amende pouvant atteindre plusieurs milliers d’euros, compte tenu de la puissance de son véhicule (en l’occurrence, de 23 à 49 CV selon le modèle pour une Porsche 911).

La mise en place d’un tel système de sanction graduée a-t-elle des chances de voir le jour dans notre pays ? C’est malheureusement très peu probable tant les lobbies, et notamment celui – très influent – des constructeurs automobiles monteraient au créneau pour tuer dans l’œuf toute tentative des pouvoirs publics visant, dans le cadre d’une politique de sécurité routière, à l’instauration d’une réponse de ce type aux infractions commises. Un lobbying d’autant plus appuyé que, malgré un ralentissement de la progression des parts de marché en 2019, le nombre des ventes de SUV a explosé depuis 5 ans, au point d’être en passe de devenir la principale source de profits de la filière automobile. Et peu importe aux dirigeants de ces groupes industriels que cette forte progression des ventes de SUV soit une calamité, eu égard à la motorisation très puissante de la plupart de ces véhicules et à leur impact très négatif au plan environnemental en termes de consommation de carburant et de rejet de CO².

L’autre menace pourrait venir du Conseil constitutionnel. Le 27 octobre 2017, cette instance a en effet invalidé une mesure (lien) visant à faire payer, proportionnellement au revenu des contribuables pris en défaut, les amendes infligées en cas de non déclaration de contrats d’assurance-vie souscrits à l'étranger. Aux yeux des « Sages » du Palais-Royal, il s’agissait là d’une sanction « disproportionnée » pour un « simple manquement à une obligation déclarative » qui n’aurait pas dû, selon eux, excéder le paiement d’une amende forfaitaire. Un parallèle en l’occurrence avancé par les opposants à l’application d’une sanction graduée aux contrevenants de la route. Mais comme le dit le proverbe, « comparaison n’est pas raison », et nul ne peut présumer ce que serait une décision du Conseil constitutionnel s’il était saisi de cette question.

Entre l’action des lobbies et un risque de retoquage constitutionnel peu mobilisateur pour les parlementaires, le plus probable est, par conséquent, qu’il ne se passe rien. De ce fait, les conducteurs inciviques de grosses cylindrées – tous ne le sont pas, fort heureusement – pourront probablement continuer encore longtemps à violer, quasiment en toute impunité, les règles en vigueur, au risque de tuer comme ce propriétaire d'une Maserati – un délinquant routier récidiviste – qui a été jugé à Laon le jeudi 19 septembre pour avoir tué deux petites filles et grièvement blessé leur mère et leur petit frère après deux courtes suspensions de permis****. Ils y seront encouragés par le caractère indolore sur leurs moyens financiers personnels du montant des amendes et par le coût, dérisoire en rapport de leurs revenus, des éventuels stages de récupération de points qu’ils pourraient être contraints de suivre. Dans un pays où l’on ne cesse – à juste titre – de revendiquer l’équité de traitement de tous les citoyens dans les différents actes de la vie sociale, ce constat est aussi choquant qu’immoral !

Pour terminer, une statistique à méditer : en 2018, 32 % des tués de la route ont perdu la vie dans un accident causé par un excès de vitesse !

À vol de même nature et de préjudice identique, celui qui a été commis par cupidité sans besoin donne lieu à une condamnation beaucoup plus lourde que celui qui a été la conséquence d’un état de grande précarité et, a fortiori, de « nécessité ».

** Cette information figure sur le fichier centralisé de gestion des immatriculations (SIV), parfois dénommé « fichier des cartes grises ».

*** Hors délit de grande vitesse (supérieur à 50 km/h au-dessus de la limite autorisée).

**** Quatre ans de prison dont deux fermes avec mandat de dépôt ont été requis par le procureur à l’encontre de ce chauffard.

Nota : pour en savoir plus sur la législation actuelle, cf. le site officiel Legipermis.


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