Intentions de vote à la présidentielle : quid de Filteris ?

par Fergus
vendredi 31 mars 2017

Les instituts de sondage traditionnels sont depuis longtemps suspectés d’être aux ordres de l’oligarchie et de manipuler l’opinion. Dès lors, nombre d’internautes se détournent d’eux pour s’informer des intentions de vote, soit auprès des médias du web qui publient des sondages en ligne, soit en se tournant vers le site canadien Filteris. Mais quelle crédibilité accorder à ces derniers ?

Présidentielle 2017 : les 11 candidats (photo Europe 1)

Disons-le tout net, les sondages réalisés en ligne et qui publient en continu les données brutes constituées de votes libres hors de tout panel représentatif n’ont strictement aucune valeur, pas même comme mesure des intentions de l’électorat à un instant T. Et cela pour une raison évidente : les résultats obtenus sont directement dépendants de la sociologie des usagers du site et plus encore des effets du militantisme, possiblement accentués par l’utilisation de techniques – les « proxies » par exemple – destinées à permettre les votes multiples à partir d’une unique adresse IP, un art de la manipulation parfaitement maîtrisé par les cellules numériques de certains états-majors.

Conséquence : selon la fréquentation des sites par les sympathisants du Front National, par les adhérents de la France Insoumise ou par les groupies des Républicains, c’est ici Marine Le Pen qui se situe à un très haut niveau, là Jean-Luc Mélenchon qui atteint des sommets, ailleurs François Fillon qui devance très nettement ses adversaires. Le comble du baroque étant évidemment atteint par François Asselineau : grâce au stakhanovisme numérique de ses militants, le candidat de l’UPR est censé se mêler aux principaux candidats pour la qualification au 2e tour, quand il ne les bat pas à plate couture !  

Pour se convaincre de cette pantalonnade – et sourire un peu –, il suffit de se rendre sur le site « Présidentielle 2017 ». On y découvre les intentions de vote de 1er tour suivantes (en chiffres arrondis) :

1) Fillon, 29 % ; 2) Le Pen, 24 % ; 3) Macron, 22 % ; 4) Asselineau, 14 % ; 5) Mélenchon, 8 % ; 6) Hamon, 2 %. Pas très crédible, c’est le moins que l’on puisse dire !

Ces données sont d’ailleurs très largement contredites par le site « Élection présidentielle 2017 », de loin le plus désopilant du web (là encore, chiffres arrondis) :

1) Asselineau, 42 % 2) Mélenchon, 20 % ; 3) Fillon, 11 % ; 4) Macron, 10 % ; 5) Le Pen, 8 % ; 6) Dupond-Aignan et Hamon, 4 %. Encore un petit effort des militants de l’UPR, et Asselineau sera donné gagnant dès le 1er tour !

Bref, tout cela n’est pas sérieux, et seuls les grands naïfs peuvent croire en de telles inepties. De cela, la plupart des internautes ont heureusement conscience, et c’est pourquoi nombre d’entre eux, échaudés par de récents fiascos sondagiers et méfiants à l’égard des instituts patentés*, partent en quête de données alternatives plus fiables que ces extravagants sondages en ligne.

C’est là qu’intervient Filteris. Cette société canadienne publie régulièrement les résultats de ses enquêtes sur l’élection présidentielle française. Des données reçues par les internautes comme des intentions de vote, ce qui n’est pas le cas, loin s’en faut. Filteris ne réalise en effet aucun sondage et ne mesure donc pas le rapport des électeurs au scrutin à venir à un instant T comme les instituts traditionnels. Ce que mesure Filteris, c’est ce que son patron – le Français Jérôme Coutard – nomme le « bruit médiatique », autrement dit l’« analyse big data » (sic) des articles de presse et du buzz sur les réseaux sociaux – qu’il soit positif ou négatif – autour de chaque candidat.

Des algorithmes confidentiels

Dès lors, les résultats, pour n’être pas farfelus comme ceux des sites mentionnés ci-dessus, n’ont qu’un intérêt de curiosité et ne peuvent donner lieu à des débats de nature stratégiques suffisamment sérieux sur l’évolution de l’opinion dans l’optique du scrutin présidentiel. Cela n’empêche pas des auteurs d’articles citoyens, des gestionnaires de blogs, ou des militants engagés sur les réseaux sociaux, de s’appuyer sur les données publiées par Filteris pour étayer leur action en faveur de tel ou tel candidat mieux servi sur le site canadien que dans les enquêtes des instituts traditionnels.

La dernière vague de Filteris (publiée le mardi 28 mars) se traduit par ces données : 1) Le Pen, 23,27 % ; 2) Fillon, 22,39 % ; 3) Macron, 21,81 % ; 4) Mélenchon, 16,38 % ; 5) Hamon, 9,95 % ; 6) Dupond-Aignan, 4,52 %.

On comprend qu’elle soit plébiscitée par l’équipe de campagne du candidat LR, Fillon étant donné par Filteris en situation de prétendre à la qualification. À ce détail près qu’il y a deux « loups » dans ces données : 1) La direction de Filteris semble proche des Républicains comme l’indique la vice-présidence de Daniel Quéro, un ami de Pierre Fillon ; une proximité trop voyante : ce nom, par trop gênant, a été effacé de l’organigramme il y a 3 semaines. 2) L’un des reproches faits aux instituts de sondage est le recours au redressement des données brutes. Or, sur ce plan, Filteris n’a rien à leur envier, l’entreprise reconnaissant affiner elle aussi ses données à l’aide d’algorithmes. Mais pas question d’en savoir plus : il s’agit là, dit Jérôme Coutard, d’un « secret industriel » ! Étrange, non ?

Cela précisé, il est également instructif de s’interroger sur les références qui ont permis à Filteris de s’implanter sur le web français et d’y connaître un certain succès du côté des mélenchonistes, et un succès certain du côté des fillonistes. Ces références sont au nombre de deux : la prédiction du succès de Donald Trump aux États-Unis, et la prédiction du Brexit au Royaume-Uni. Problème : si Filteris a bel et bien anticipé la victoire de Trump, l’entreprise n’a jamais pronostiqué le Brexit comme tentent de le faire croire les fillonistes sur les réseaux sociaux. Questionnés sur le sujet, les dirigeants de Filteris le reconnaissent d’ailleurs sans détour sur leur compte twitter : « Nous n'avons jamais travaillé sur le Brexit... cette info ne vient pas de nous. »

Il va de soi que Filteris s’est également intéressé de près aux primaires de l’automne. Et là, le moins que l’on puisse dire est que l’entreprise canadienne n’a pas fait preuve d’une grande clairvoyance. Certes, elle avait donné Fillon vainqueur de la « primaire de la droite et du centre », mais face à un Sarkozy présumé net vainqueur de Juppé au 1er tour alors que c’est le maire de Bordeaux qui a devancé l’ex-président de 8 points et l’a bouté hors du jeu. Quant à la « primaire de la Belle alliance populaire », elle a carrément tourné au fiasco, Filteris pronostiquant au 1er tour une large victoire de... Valls sur Montebourg, Hamon étant éliminé.

Ces constats posés, force est de reconnaître que si l’on fait abstraction du soupçon de coup de pouce donné par Filteris à Fillon – avec pour nécessaire corollaire une sous-estimation de ses rivaux directs Le Pen et Macron –, les résultats des analyses du « bruit médiatique » de l’entreprise canadienne ne sont guère différents de ceux des enquêtes que nous fournissent les instituts de sondage ayant en France pignon sur rue. D’une certaine manière c’est rassurant, et de toute façon nettement plus crédible que les pronostics farceurs publiés par les sites évoqués en début d’article.

À chacun de se faire son opinion et d’aller voter le 23 avril, en tenant compte ou pas des données fournies par Filteris et les instituts de sondage.

Les principaux sont BVA, CSA, Harris Interactive, Kantar (ex-TNS Sofrès), Ifop, Ipsos, LH2, Odoxa et Opinion Way


Lire l'article complet, et les commentaires