Interdiction des minarets en Suisse : cause ou conséquence de l’intégrisme ?

par Cosmic Dancer
lundi 7 décembre 2009

Ce n’est pas un scoop, la votation suisse sur l’interdiction des minarets n’a pas manqué de passionner. Et pas seulement la « blogosphère ».

Les Identitaires et avec eux les marges et les franges de l’extrême-droite française, sans surprise, s’en sont donné à cœur-joie. Sabrant le champagne et priant pour qu’un tel débat sanctionné par une loi (à défaut d’article constitutionnel, comme c’est le cas chez les Helvètes) contamine (sans rêts, ah ah) la douce France. France qui, selon les sondages Ifop-BVA - et contrairement aux clics de votes sur internet -, n’envisage pas vraiment de légiférer sur la question, tout occupée qu’elle est à définir son identité nationale entre "traditions" et "modernité", entendre "France moisie" versus "multiculturalisme".

Il y aurait certainement une troisième voie, comme on dit, à trouver, mais ce n’est certainement pas Edwy Plenel (journaliste et créateur du site Mediapart) quand il coupe délibérément la parole à Elisabeth Lévy (rédactrice en chef du site Causeur) sur Public Sénat et qu’il use envers elle d’arguments d’autorité dignes des pires forums du Web, qui y contribuera. Quand bien même il initie une pétition signée par, selon ses termes, quelque dix mille savants et amoureux de la connaissance (le monde de l’intelligence serait tout petit, et les imbéciles tous les autres), destinée à sabrer le débat sur une question somme toute légitime : qu’est-ce que la France ? Que peut-elle être et devenir ?

Proposer de clore un débat, c’est tout de même, en démocratie, quelque peu contradictoire. Dont acte pour Edwy Plenel.

Mais revenons-en à la question démocratique, donc à la votation populaire selon les termes de la démocratie en Suisse. Et à son résultat : les Suisses ne veulent plus que soient érigés des minarets dans leurs paysages d’Heidi, de vaches à cloches et de montres intransigeantes.

Après que se soit offusquée la classe politique française de gauche, en appelant à la discrimination, sans surprise non plus, le prédicateur Al-Qaradawi (haut membre du Conseil européen de la fatwa et supra-intervenant en terme de conformité à la charia), loi islamique, l’Iran, la Libye, l’Egypte se sont offusqués et de nationale voire de voisinage, la question, apparemment cruciale, a gagné les cercles actifs des relations internationales.

"Mon minaret m’appartient !", semblent nous dire ces personnalités concernées tant par les droits islamiques que par les Droits de l’homme, oubliant que ces derniers concernent les individus et leurs libertés fondamentales (vivre, s’exprimer) et non pas de quelconques groupes religieux s’estimant lésés par un choix national, quand bien même il fut impulsé par un parti populiste. Oubliant également que, comme l’ont rappelé quelques spécialistes, les minarets n’ont jamais été affaire sacrée, qu’elle fût symbolique ou transubstancielle. Absents aux premiers temps de l’islam, ils ont d’ailleurs largement intégré les paysages dans lesquels ils étaient construits.

En France, Caroline Fourest, journaliste et essayiste, rédactrice en chef de la revue Prochoix, qui avait manifesté son désaccord avec cette votation, a réagi quelques jours plus tard dans les colonnes du Monde, exprimant sa crainte de voir les mouvances de l’islam intégristes s’approprier cette décision pour s’en draper dans leurs oripeaux victimaires coutumiers et, jouant sur cette fibre sensible, recruter de manière décuplée.

Il est probable que la Suisse ait renvoyé à Mouhammar Kadhafi un chien de sa chienne (ou une horloge de sa fabrication). Confère les récents problèmes avec le fils Khadafi, ainsi que les otages suisses chez le Guide lybien. Mais s’est-on demandé si la majorité des votants n’a tout simplement pris conscience que, sur ce petit territoire aussi apprécié pour le calme de son lac Léman que méprisé pour sa neutralité hors finances, se fourbissent déjà, et depuis longtemps, les armes du djihad armé, certes, mais également celles de "l’invitation à la conversion" que prônent, dans un premier temps, les Frères musulmans ?

Courant complexe, multiple et rassembleur né en Egypte dans les années vingt par la volonté d’Hassan al-Bana, le mouvement des Frères musulmans joue sur le Nil la carte de la violence ou de la compromission démocratique selon les circonstances. L’une de ses particularités est son adaptabilité extrême aux circonstances, précisément. Et la densité de son réseau, dont les petits-fils du fondateur, Tariq et Hani Ramadan, représentent les ramilles. Le premier Centre islamique européen. Il a été créé par Hani Ramadan. Il est basé à Genève. Son site internet est accessible à tous et son contenu est éloquent.

L’activisme des frères Ramadan a été décrypté, en tout cas celui de Tariq Ramadan, par Caroline Fourest, à qui l’on doit cet immense travail d’analyse. Ce travail d’analyse que ses détracteurs qualifient d’"ignorant" car selon eux, il ne se réfère en rien, il est vrai, à la phraséologie des "savants" (entendre les oulémas) auxquels s’adresse le prédicateur. Et qui pourtant pose les termes d’une discussion véritable, et non d’exégèse. Cette exégèse dont les oulémas dispensent leurs ouailles de la pratiquer.

Ce dialogue-en-lecture de Caroline Fourest (Tariq Ramadan a longtemps refusé de débattre avec elle sur un plateau de télévision) a le mérite de pointer les ruses rhétoriques du prédicateur qui s’affuble de titres universitaires qu’il n’a pas, et d’en expliciter la clé principale, la takkia (double langage). La takkia, notion qui dans l’islam, face à des mécréants, consiste à pratiquer un double langage.

Or si Tariq Ramadan est accroché à une certaine forme de fondamentalisme, il déplore lui aussi l’absence de minarets en Suisse, que les salafis (ceux qui prônent le retour à un islam originel pur) eux, considèrent en revanche comme une abomination puisqu’ils n’existaient pas aux temps du prophète (non, je ne souhaite pas l’écrire avec une capitale initiale).

Parce que dans sa vision "réformiste" de l’islam, largement critiquée par les "savants" auxquels il aime à faire appel, il n’oublie pas, malgré tout, que ce territoire non islamique que constituent les démocraties européennes demeure celui du "témoignage". Et que pour témoigner, eh bien, l’on se présente en habits neufs.
 
 

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