Interroger les vérités assénées : l’exemple de l’islam sur Agoravox

par masuyer
lundi 7 janvier 2008

Il peut sembler illusoire de faire preuve d’un minimum d’esprit critique dans nos sociétés modernes saturées d’informations. Pour nous y « aider », les spécialistes et autres experts font usage de rhétorique et usent de tous les arguments, tous plus inattaquables les uns que les autres. N’est-il pas salutaire pourtant d’interroger ces « vérités assénées » ?

Pour illustrer le propos, choisissons un sujet polémique à souhait et sur lequel il faut dérouler des trésors de rhétorique, aligner des troupeaux d’experts afin de tenter, tant que faire se peut, de faire triompher son pertinent point de vue. Etant l’auteur de ce texte, je m’autorise à vous imposer l’un de mes sujets polémiques de prédilection : l’islam.

Vous noterez la pertinence de l’exemple, nous sommes typiquement face à un sujet qui exige une prise de position, un arbitrage tranché. Pris entre deux feux, celui d’esprits éclairés, civilisés luttant pour le progrès humain, la libération de la femme, l’abolition de la tyrannie et autres causes plus nobles les unes que les autres. Et celui de fourbes mahométans obscurantistes et pervers sexuels pratiquant la taqqya afin de maintenir oppression et tyrannie, islamo-fascistes aidés en cela par des "idiots utiles" recrutés dans les rangs des "bobos angéliques auto-flagellatistes" et autres "islamo-gauchistes".

Première vérité assénée, l’islam est irréformable, le Coran étant la parole incréée de Dieu, il ne souffre aucune exégèse ni interprétation. Forcément, cet argument appelle peu de contestation tant il est partagé par les irréductibles des deux camps. Et ceux qui voudraient soumettre le Livre à l’exégèse ne seraient que des adeptes de la taqqya, définit comme étant l’art de dire une chose en en pensant une autre, une sorte de double-langage, de langue de bois, mais en plus voilée. En plus, celui qui a réussi à placer taqqya (inutilisable, hélas sous cette graphie, au Scrabble© en français) se place résolument dans la position du type qui en sait long sur le sujet, de ceux que Coluche brocardait comme étant les "milieux autorisés". Il suffit pourtant d’une simple petite réflexion pour interroger cette "vérité". Mais si le Coran est ininterprétable, comment expliquer qu’il y ait des chiites et des sunnites ? On peut pousser la curiosité jusqu’à se renseigner sur cette division pour s’apercevoir que ces deux tendances sont traversées de courants très différents les uns de les autres [1] [2], que tous ces courants s’estiment les plus proches de la parole divine. Et s’il est irréformable, comment expliquer qu’un des exemples favoris des spécialistes de l’islam, le mariage temporaire pour rendre "islamiquement correcte" la prostitution, soit possible ? Dans quel verset du Coran, la "parole révélée de Dieu" tout de même, ce dernier autorise-t-il de telles pratiques ? Et le voile, c’est lequel le bon ? Celui qui couvre juste les cheveux (le plus porté), celui qui laisse apparaître l’ovale du visage en dissimulant cou, oreilles et cheveux, celui n’autorisant que la contemplation d’une paire d’yeux et du creux du nez ou alors la burqa intégrale où le regard est dissimulé derrière un voile grillagé ?

De plus, ses traits de l’islam lui seraient propres, rien de tel dans les autres religions du Livre. La Bible n’étant pas la parole de Dieu, mais un aimable manuel d’histoire prônant l’amour et la paix. Pourtant, le concile Vatican II ne semble pas s’être soumis à cette lecture, comme en témoigne la constitution conciliaire Dei Verbum [3] [4]. La polygamie n’est-elle pas compatible avec la foi chrétienne ? Une frange des mormons la pratique pourtant [5]. Et d’autres textes dont certains tirés de la bible (évangiles compris) permettent de relativiser certains discours [6] [7] [8] [9] [10]. Le dernier lien est particulièrement intéressant, il s’agit de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens proposée dans trois traductions, celle de la Bible de Jerusalem, de la traduction oecuménique de la Bible et de la Bible de la liturgie catholique romaine. Une fois passée la justification du voile par Paul, il est important de noter que, selon les traductions, il existe de subtiles différences sémantiques. Ce problème de traduction est souvent éludé, or il a été (et est encore) un enjeu pour les religions à vocation universelles. Rappelons les débats qui opposèrent réformateurs et Eglise autour de la Bible en langue vulgaire, en n’oubliant pas que la Bible en langue "non vulgaire" était écrite en latin et donc était déjà une traduction. Ce débat existe aussi au sein de l’islam [11].

La dialectique à "la française", à laquelle nous avons été formés lors de notre scolarité, nous a appris à illustrer nos arguments par des exemples. Cet exemple, s’il est bien choisi permet de donner un peu de corps à un argument fallacieux. Or, pour dénoncer un système ou une idéologie, il est une figure qui s’impose pour son efficacité rhétorique, celle du "repenti". Je veux dénoncer les méfaits du capitalisme financiarisé, je convoque un ancien golden boy écoeuré par certaines pratiques. Le communisme, un ancien apparatchik converti au libre-échange. Le terrorisme islamique, un ex-candidat à l’attentat-suicide. Vous en trouverez toujours au moins un. Sur un sujet aussi brûlant que l’islam aujourd’hui, la figure du repenti est incontournable. Elle permet notamment de s’abriter derrière elle pour éviter l’accusation de racisme, de xénophobie, de sectarisme ou d’idéologie (dans son acceptation actuelle, c’est-à-dire teintée négativement). Procédé très ancien. "Les Protocoles des Sages de Sion", qui sont rappelons-le des faux, utilisaient ce procédé. On me rétorquera qu’il s’agit ici d’un faux, mais il est aisé de trouver d’autres exemples. Le Pen se sert d’adhérents et de militants issus de l’immigration maghrébine pour se défendre de tout "racisme". D’où l’importance de s’interroger sur la valeur de l’exemple. Est-il représentatif ? Peut-il être manipulé ? Il faut aussi se demander pourquoi c’est tel ou tel qui a été choisi comme exemple. Parmi les opposants à un système se trouvent des courants très variés, des visions et des analyses fort différentes. Le choix n’est pas anodin. Lorsque nous voulons dénoncer un système sans trop interroger cette dénonciation, nous choisirons plus volontiers un "repenti" dont le discours nous agrée.

Ce questionnement permanent est le premier pas vers l’exercice de son esprit critique. J’en profite pour renvoyer ceux qui ne veulent pas se laisser submerger par ce que l’on hésite à appeler propagande pour ne pas passer pour un "complotiste" vers un manuel salutaire de Normand Baillargeon, Petit cours d’autodéfense intellectuelle, sorte de "Pensée critique en société informationnelle pour les nuls".


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