Israël-Palestine-France : le devoir d’égoïsme

par Olivier Perriet
vendredi 9 janvier 2009

"Le devoir d’égoïsme" : un titre paradoxal et provocateur, comme si l’égoïsme était une vertu, à l’heure d’un nouveau bain de sang dans la bande de Gaza, base de lancement des roquettes du Hamas contre "l’entité sioniste", soumise en retour aux bombardements et à l’offensive terrestre israélienne.

Comme le dit le proverbe : "charité bien ordonnée commence par soi même".

RETOUR SUR LA "DEUXIEME INTIFADA" (2001-2003)… EN FRANCE

Il ne faudrait donc pas oublier les violences et les tensions bien concrètes qui ont eu lieu, non pas en Palestine, mais ici, en France, lors de la "deuxième Intifada" entre 2001 et 2003 : synagogues et, incidemment, églises, brûlées, juifs agressés, campagne de propagande orchestrée sur Internet pour présenter la France comme "antisémite"[1], manifestations et contre-manifestations, mais aussi agressions bidons et incendies douteux surmédiatisés [2], "dérapages" de personnalités jusque là insoupçonnables [3], lobbying communautaire effréné…). 

C’est peu dire que ce conflit a posé avec insistance à la société française la question du communautarisme et, par contrecoup, même si ce ne fut pas présenté comme ça, de la cohésion nationale.

La surmédiatisation de ce conflit en 2001 et 2002 surtout, et ses répercussions en France, sorte de cercle vicieux s’autoalimentant, m’ont personnellement choqué et n’ont guère été évoqués pour expliquer la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour au soir du 21 avril 2002.

Pourtant, quelle meilleure illustration pouvait-on donner de la fameuse "insécurité" que cette focalisation sur une guerre étrangère, importée sur le sol français et semblant précipiter le délitement de la société ?

Effet anxiogène et "sentiment d’insécurité" garantis, du moins par la majorité silencieuse qui ne se sent pas personnellement impliquée dans ces luttes, le soir devant les JT, qui consacraient parfois plus de 15 minutes (sur une petite quarantaine, soit pas loin de 50% !) aux "lanceurs-de-pierre-victimes-des-chars-israéliens" !

Osons une hypothèse : si cette "guerre des pierres" passionne tant les médias européens, c’est qu’elle interpelle leur (et la nôtre) mauvaise conscience matérialiste : ne ressemble-t-elle pas furieusement à une incarnation de la guerre des pauvres "qui n’ont que des pierres pour se défendre" contre les riches "avec leurs grosses armes" ?

Les conflits des pauvres contre les pauvres, en Asie ou en Afrique, sont rarement aussi bien couverts, mais ils ne sont pas forcément, loin de là, moins meurtriers (voir la "première guerre mondiale africaine" dans l’est du Zaïre et la région des grands lacs, qui persiste depuis près de 15 ans). Et quant aux fondements des luttes israélo-palestiniennes, ils doivent si peu aux conflits économiques, même si ceux-ci se surajoutent aux discordes (question de l’eau, du contrôle des terres, du commerce entravé par les violences et les blocus…).

UNE SEMAINE AVANT LE 21 AVRIL 2002 

Illustration de l’importance prise par cette guerre dans les médias et du cercle vicieux de ses prolongements en France (plus on en parle, plus il y a de tensions en France, plus on va parler de ces tensions) le dimanche précédant le funeste 21 avril 2001, au journal de 20 heures de France 2. 

Suite à l’incendie, probablement d’origine criminelle, d’une synagogue à Marseille, deux personnalités sont invitées à débattre en duplex, le mufti de Marseille Soheib Bencheikh et le Président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) Roger Cukiermann.

Dès le départ, le second somma le premier de condamner cet incendie, ce que fit le mufti avant d’accuser mécaniquement Israël de "crime contre l’humanité" pour les violences commises dans les Territoires palestiniens. Et de trouver presque normal que les esprits soient échauffés "ici".

Ainsi d’un côté, et à une heure de grande écoute, le mufti de Marseille est promu responsable unique d’une communauté musulmane inventée et supposée responsable de l’incendie (mais que fait la police ?). Comme si les incendiaires étaient par principe ses ouailles et fréquentaient assidûment ses prêches. De l’autre, les attaques antisémites commises en France sont finalement légitimées par l’ampleur des "crimes" commis "là-bas" contre les Palestiniens. Encore faut-il ajouter, pour être tout à fait objectif et réaliste, que ces deux personnalités communautaires passaient, à l’époque des faits, pour des modérés, voire des traîtres, dans leurs paroisses respectives !

UN CONFLIT QUI SAPE LES VALEURS REPUBLICAINES

L’internationalisation d’un conflit a souvent la vertu d’empêcher les excès commis sur une partie en braquant les projecteurs sur les violences ou les déséquilibres dans les forces en présence. Elle peut avoir aussi, comme c’est le cas ici, l’inconvénient de jeter de l’huile sur le feu et d’exporter des haines communautaires et religieuses. 

Au fond, les personnes qui se mobilisent de bonne foi pour la défense des Palestiniens peuvent-ils continuer de faire semblant de ne pas voir qu’ils manifestent avec les sectateurs de l’islam radical ? Et qu’ainsi ils contribuent à entretenir une mobilisation de type religieuse, puisque ce conflit est l’un des moteurs principaux de l’islamisme, maintenant que le nationalisme arabe est clairement marginalisé [4].

De même les soutiens des organisations communautaires juives, qui savent mieux que les autres se parer des oripeaux du discours républicain, peuvent-ils ignorer qu’en accusant par principe la France d’antisémitisme, puisqu’elle n’est pas toujours alliée inconditionnelle d’Israël, ils se soustraient finalement d’eux-mêmes à la communauté nationale ? 

Finalement, le seul tort de la France dans cette affaire c’est d’avoir une part significative de sa population qui est membre de la diaspora juive (puisque tous les Juifs n’ont pas péri en déportation, et que de nombreux Juifs d’Afrique du Nord, fuyant les pays arabes nouvellement indépendants après la guerre des Six Jours et la guerre du Kippour, sont venus renforcer cette présence dans les années 60 70), et une part encore plus importante de sa population d’origine maghrebine, de culture arabe et musulmane.

On peut presque dire que le conflit israélo-palestinien fait jouer des réflexes en opposition complète avec les valeurs sur lesquelles se basent la République (du moins jusqu’à maintenant). 

Opposition frontale entre la France républicaine et laïque, qui se veut dans la théorie, un regroupement d’individus voulant vivre ensemble par delà les clivages religieux relégués dans la sphère privée, et le sionisme (regroupement politique et territorial à fondement religieux), qui peut agir comme un véritable dissolvant pour la cohésion de la nation française (dépeindre la France comme antisémite pour provoquer un rejet radical de leur pays par les français juifs et ainsi les inciter à s’installer en Israël, pays qui a vocation à rassembler la diaspora juive mondiale)

Les divergences sont aussi notables vis-à-vis du nationalisme arabe qui a plutôt emprunté à la conception "allemande" de la nation (autoritarisme, essentialisation de ses membres, oppression envers les minorités religieuses [coptes d’Egypte, juifs séfarades, descendants d’Européens installés depuis la colonisation…] ou linguistiques [kurdes, berbères]) qu’à la conception française qui s’est voulue démocratique et culturelle (au sens d’une culture choisie et non héritée).

Est-il bien nécessaire, enfin, d’évoquer la double opposition entre l’islamisme et les pays européens, et particulièrement la France qui professe une laïcité d’Etat, considérés à la fois comme l’Occident chrétien (les croisades, la colonisation…) et postchrétien (donc mécréant, encore plus étranger, "sauvage", à l’instar des polythéistes, que les fidèles des deux autres monothéismes).

Il n’y a d’ailleurs pas de distinction nette entre l’islamisme radical et le nationalisme arabe, plutôt une ligne reliant deux idéologies, où les discours évoluent insensiblement de l’un vers l’autre. Malgré les apparences, "le FIS est le fils du FLN".

ET APRÈS ?

Alors que faire ?

Et si la sagesse répondait "rien" ?

En effet, que peut-on faire si les Palestiniens de Gaza, et de plus en plus, de Cisjordanie, finissent par porter au pouvoir le Hamas, qui ne fait pas mystère de ses intentions belliqueuses, déçus (pour de bonnes ou de mauvaises raisons) par le Fatah qui a, lui, renoncé aux attaques armées contre Israël ? 

Que peut-on faire si les dirigeants israéliens, à quelques semaines des élections, ne peuvent, sauf à passer pour des lâches aux yeux de leurs citoyens, se permettre de laisser passer sans réagir fermement les tirs de roquettes du Hamas ?

Bref, que peut-on faire, quand on est extérieur au conflit, si les deux parties, pour toutes sortes de raisons, ne trouvent pas de majorité suffisamment organisée de part et d’autre pour faire la paix ensemble ? 

Imposer une paix armée trouve vite ses limites comme le montre l’exemple yougoslave.

C’est, aussi, traiter en adultes les peuples israéliens et palestiniens que leur dire, en préalable à toute forme d’aide extérieure, que la solution ultime ne pourra venir que d’eux-mêmes…

[1] Voir Le Monde édition du 23 août 2002, Xavier Ternisien, "Un site internet fait le lien entre sionistes radicaux et extrême droite".

[2] À l’automne 2003, un incendie ravage le lycée juif de Gagny. D’origine criminelle, le sinistre est considéré illico presto comme un acte antisémite par Nicolas Sarkozy, Ministre de l’Intérieur, en visite le lendemain sur les ruines encore fumantes. L’ensemble de la classe politique reprend cette analyse. Quelques mois plus tard, l’enquête n’excluant aucune piste, le même Sarkozy évoque à nouveau ce fait divers lors du congrès de la LICRA et en profite pour tancer les dénonciateurs trop pressés de l’antisémitisme, "qui font le jeu de ce qu’ils combattent" (cf. Marianne n° 354 : "Antisémitisme : Quand Sarkozy refuse la démagogie").

[3] Dieudonné, Finkielkraut et caetera.

[4] Une mobilisation qui touche tout de même plus les arabes que d’autres peuples musulmans comme les turcs ou les musulmans d’Asie, pourtant tout aussi touchés par l’islamisme en général, mais qui accordent une importance moindre à ce conflit.


Lire l'article complet, et les commentaires